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Pourquoi Harper se retrouve à la droite du FMI

Pierre Beaudet

Le gouvernement Harper bloque les négociations actuelles au sein du G8 et du G20 entre les principaux joueurs qui voudraient à peu près tous, quoiqu’avec bien des nuances, imposer de nouveaux mécanismes fiscaux aux grandes institutions financières mondiales, qui sont dominées par une poignée de grandes banques états-uniennes, japonaises, européennes et canadiennes. Ces institutions sont dominées par deux grands pôles qui donnent le ton aux autres, celui de Wall Street d’une part, celui de la City de Londres d’autre part. Le dispositif inclut les grands prêteurs, les banques d’affaires, les marchés boursiers, de même que les agences de cotation qui déterminent qui doit payer combien sur les marchés financiers. Tous ces acteurs sont inter-reliés et interchangeables, de même qu’ils sont régulièrement cooptés par les principaux gouvernements dans leurs ministères des finances et dans les banques centrales. Avec tout cela s’est érigé une formidable économie financiarisée qui tente de s’imposer aux couches moyennes et populaires, en redirigant les profits vers la petite minorité de «voleurs en cravate» dominant Wall Street, Bay Street et tous les autres.

Mais cette voyoucratie trop vorace a voulu tout détruire par l’économie-casino qui a mené une grande partie du monde capitaliste à la ruine en 2008, et qui depuis exerce un chantage éhonté sur les gouvernements pour être renfloués, aux frais des citoyens. Elle est donc fortement délégitimées et plus encore, les programmes de «relance» qu’elle a imposé ici et là s’avèrent catastrophiques, d’où la persistance et l’aggravation du chômage et des faillites personnelles, sans compter le crash de plusieurs pays en Europe comme la Grèce.

Plusieurs voix s’élèvent contre cette situation. Une partie de l’establishment capitaliste, impulsé par des intellectuels keynésiens comme Paul Krugman, estime qu’il faut changer d’orientation et revenir à une véritable politique de régulation et de partage des revenus. À l’échelle mondiale, des pays qu’on dit «émergents» comme la Chine ou le Brésil en ont également marre de soutenir les diverses bulles de Wall Street. Enfin il y a des multitudes un peu partout qui n’est pas prête à payer les pots cassés et qui résiste. Tout cela aboutit à une forte pression pour changer, sinon la substance, au moins les modalités du système et c’est de cela dont il est question au G8/G20. Le projet piloté par le FMI n’aurait bien sûr rien de révolutionnaire, mais permettrait de réimposer le collier à l’économie-casino, sans la briser pour autant.

Devant ces «réformes», y a cependant des «résistants». Les grandes institutions financières concernées, de même que des secteurs qui leur sont intimement reliés, notamment l’énergie et l’armement, veulent continuer comme avant, quitte à repeinturer l’édifice qui tombe en morceaux. Des gouvernements et des partis politiques obtus, de droite obstinée ou aveuglés par l’idéologie à la Disneyland de la «main invisible du marché» sont également sur la ligne de front pour bloquer les réformes. Comme par exemple la droite du Parti républicain aux États-Unis.

Ici au Canada, nous avons une situation particulière. Il est vrai que les institutions financières ont mieux résisté à la crise, en partie parce que leurs demandes insistantes à déréguler les marchés financiers ont été refusées par les gouvernements précédents. Nous avons aussi une situation où le secteur financier est extrêmement concentré, donc moins soumis aux aléas d’une concurrence déstabilisante. Enfin, l’économie canadienne est menée par le secteur énergétique et financier, d’où une sorte d’axe Toronto (capitale financière) – Calgary (pétro État par excellence). C’est donc là où Harper trouve sa force. Certes, il peut continuer à régner parce que le principal d’opposition, le Parti Libéral fédéral, est à peu près sur la même ligne, quoiqu’avec des désaccords ici et là.

À court terme, cette opposition de Harper aux «réformes» s’ajoute aux autres politiques par lesquelles le Canada se ridiculise à la face du monde (contre le protocole de Kyoto, soutien militant à toutes les aventures guerrières et à l’expansion de l’OTAN, etc.). À moyen terme, elle reflète une évolution très dangereuse, une sorte de révolution de droite potentielle qui menace de déstructurer en profondeur l’économie et la société canadienne. Pour autant, à part des résistances partielles et épisodiques, le mouvement social reste relativement passif. Les grands syndicats canadien-anglais sont gelés (depuis longtemps) et les mouvements populaires incapables de se coaliser d’une manière stratégique. Plus encore, ces mouvements sont incapables de franchir le pas et de proposer au mouvement populaire québécois une réelle alliance stratégique. Cette impuissance risque de s’aggraver, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer.

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