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Pour la défense d’un Québec laïque

 

À propos de l’ouvrage Les enjeux d’un Québec laïque, la direction de Lucia Ferretti et François Rocher, Del Busso, Dei Busso, Montréal, 2020

 

En marge du procès de la Loi sur la laïcité de l’État à la Cour supérieure du Québec, l’ouvrage collectif sous la direction de Lucia Ferretti et François Rocher Les enjeux d’un Québec laïque renferme quelques textes remarquables. Par exemple, Yasmina Chouakri, politologue et féministe d’origine algérienne, y soutient que, pour la majorité des Québécoises de culture musulmane, cette loi « ne constitue aucunement un problème ».

Forte d’une riche expérience auprès des femmes immigrées et racisées, Yasmina Chouakri précise que la contestation de la loi 21 sur la laïcité ne vient que d’une minorité. Cette dernière exprime, selon elle, « la vision d’un Islam conservateur et dogmatique qui juge que le port du voile est un marqueur de l’appartenance à la religion musulmane ».

La majorité des Québécoises issues de l’Islam est, ajoute-t-elle, « libérale », au « sens émancipateur classique du terme, qui n’a rien à voir avec le conservatisme de la pensée libérale actuelle en Occident ». Cette fine distinction lui permet de déceler l’effet pervers du néolibéralisme, effet très présent au Canada anglais. Une contrefaçon de l’ouverture aux minorités culturelles, au lieu de nous rapprocher de celles-ci, nous en éloigne en les marginalisant.

Yasmina Chouakri l’explique à merveille : le discours néolibéral « cherche à rendre synonymes les expressions “une femme musulmane” et “une femme voilée” ». Pour la politologue, il « essentialise les musulmans » en faisant « disparaître leur appartenance nationale ou citoyenne et les cantonne à leur appartenance religieuse ».

D’une opinion moins tranchée, le politologue François Rocher trouve la liberté de conscience et de religion défendue par les opposants à la loi 21 aussi légitime que la neutralité de l’État, selon la loi. Mais il « espère » qu’un tribunal légitimera la loi au nom du caractère « distinct » de la société québécoise.

Quant à l’historienne Lucia Ferretti, plus fougueuse que Rocher, elle estime que le libéralisme anglo-saxon actuel « repose sur une conception protestante » sécularisée qu’elle repousse et où la diversité l’emporte sur l’unité chère à un catholicisme québécois, lui aussi sécularisé.

Pour sa part, le philosophe Normand Baillargeon, dans une analyse pénétrante comme celle de Yasmina Chouakri, trouve suspect que l’opposition à la loi 21 défie les frontières politiques. Il souligne que la loi a été le projet de la CAQ, parti de centre droit, « tandis qu’un parti de gauche, Québec solidaire, l’a combattue… aux côtés du Parti libéral et du Conseil du patronat » ! D’après lui, ce front « incohérent » traite ses adversaires comme l’Église « condamnait » jadis les « mécréants ».

Le débat sur la laïcité nous ramènerait-il à un exclusivisme religieux révolu et à un conservatisme sociopolitique que le néolibéralisme peine à cacher ?

 

 

 

Extrait de l’introduction à l’ouvrage

L’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21) par l’Assemblée nationale le 16 juin 2019 n’a pas mis fin au débat portant sur la légitimité, voire la légalité, de l’initiative gouvernementale qui vise à encadrer, dans une certaine mesure, comment les institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires doivent respecter les principes de la laïcité dans le cadre de leur mission. Pour l’essentiel, la loi propose d’interdire le port d’un signe religieux pour les personnes œuvrant dans certaines catégories d’emploi au sein de la fonction publique ou parapublique et qui sont en position d’autorité (entre autres, les juges de paix, juristes, agents de la paix, enseignants du secteur public, enseignants et directeurs d’écoles du secteur public). De plus, elle exige que les employés de l’État exercent leurs fonctions à visage découvert et prévoit qu’il en est de même pour toute personne se présentant pour recevoir un service public.

La loi 21 s’inscrit dans un long processus de réflexion collective, souvent marquée par des interventions acrimonieuses, des invectives de toutes sortes, des accusations de racisme et de xénophobie, des condamnations ad hominem, processus amorcé par les événements ayant conduit à la mise sur pied de la commission Bouchard-Taylor en février 2007, suivie par le dépôt du projet de loi no 94 en 2011 par le gouvernement libéral de Jean Charest, la Charte des valeurs soumise par le gouvernement du Parti québécois en 2013 et le projet de loi n⁰ 62 mis de l’avant par le gouvernement libéral de Philippe Couillard en 2017. À chacun de ces moments, le principe de la laïcité a été discuté et débattu de long en large par les citoyens, les universitaires, les représentants de différentes confessions religieuses, les juristes et les militants se portant à la défense des droits des minorités ethnoculturelles et religieuses. Le principe de la laïcité est largement appuyé par une majorité de Québécois, même si le soutien à ses modalités d’application varie selon la nature des symboles religieux portés par des représentants de l’État en position d’autorité ou les enseignants des écoles publiques. L’interdiction du port de la burqa, du niqab (qui masque le visage), du hidjab (qui couvre la tête et les cheveux), du kirpan, d’une croix ostentatoire et du dastar (turban sikh) est soutenue par une majorité, et ce même pour les enseignantes et les enseignants1. Néanmoins, l’opposition à la loi 21 continue à se manifester au Québec tout comme dans le reste du Canada, ce qui est normal dans une société démocratique, et elle a pris le chemin des tribunaux. Le gouvernement du Manitoba a même invité, sans grand succès semble-t-il, les fonctionnaires québécois qui se sentaient menacés par la loi 21 à déménager dans cette province. D’une certaine manière, on peut penser que les arguments et les préférences des uns et des autres se sont cristallisés et qu’il n’y a plus rien à ajouter au débat.

Pourtant, la saga judiciaire qui s’annonce nous invite à prolonger la réflexion. En dépit des discussions ayant porté sur cet enjeu, nous croyons que les principes constitutifs de la laïcité méritent encore d’être approfondis, ne serait-ce que pour jeter un éclairage différent sur la manière dont l’État québécois com-rend les principes de la séparation de l’État et des religions et de la neutralité religieuse de l’État. De même, il importe de revenir sur le contexte particulier du Québec, compte tenu de son histoire singulière en Amérique du Nord, qui justifie une intervention étatique dans ce domaine et la forme particulière de celle-ci mise de l’avant dans le projet de loi 21. Il semble aussi impératif d’apporter une réponse forte aux arguments avancés par les détracteurs du modèle québécois de laïcité. De la même manière, au moment où les tribunaux doivent se prononcer sur la légalité et la constitutionnalité de la Loi sur la laïcité de l’État, il est pressant de rappeler les arguments juridiques qui invitent à une interprétation de la norme juridique canadienne sensible à l’endroit de la différence québécoise. Qui plus est, le recours à la clause dérogatoire prévue à la Charte canadienne des droits et libertés ne peut être considéré que comme une reconnaissance explicite du caractère soi-disant discriminatoire de la loi québécoise à l’endroit des individus appartenant à des minorités religieuses. La réalité est nettement plus complexe et nuancée. Finalement, des considérations touchant la manière dont les symboles religieux portés par les enseignantes et les enseignants sont perçus par les élèves doivent prendre en compte, au-delà des droits individuels de ces personnes, la portée et la signification de la communication en contexte pédagogique. Ce sont notamment ces questions qui sont approfondies dans les différents chapitres du présent ouvrage.

Les différentes perspectives défendues dans ce livre contribuent à jeter un éclairage nuancé sur le bien-fondé de l’initiative gouvernementale en matière d’encadrement des rapports entre le religieux et l’État dans le contexte québécois. Les appréciations des auteurs sur la portée de la loi ne se rejoignent pas toujours ; les angles d’analyse et les sensibilités ne sont pas tous les mêmes ; leur évaluation de la place et de la valeur de l’Église catholique dans l’histoire du Québec peut varier, et enfin, leur rapport à la foi et la religion leur est bien personnel. Mais les auteurs présentent un bouquet d’arguments en appui à la loi 21 s’inscrivant dans plusieurs disciplines : droit, histoire, sociologie, communication, philosophie et science politique. Les auteurs prennent au sérieux leur rôle de contribuer au débat public, à titre d’universitaires, de personnes ancrées dans leur milieu, d’analystes ou d’enseignants, et d’exercer leur devoir de pensée

 

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