Rien ne justifie qu’on enferme le débat sur la fiscalité dans un faux dilemme, à savoir plus d’impôts et de taxes pour les particuliers ou moins de services publics. Si l’état assume mal sa mission sociale, c’est en grande partie en raison du peu de revenus qu’il tire de la part d’acteurs sociaux nantis. L’usage généralisé, tantôt légal, tantôt illégal, de techniques d’évitement fiscal par les grands détenteurs de capitaux (grandes entreprises, banques et individus fortunés) atteint à l’heure actuelle des sommets historiques. En 2013, Statistique Canada estimait prudemment à 170 milliards de dollars les fonds placés par les multinationales dans différents paradis fiscaux. Ainsi s’explique le contexte actuel d’austérité budgétaire et de coupures perpétuelles dans les services publics.
Autre lieu commun, il est faux de penser que le Canada est isolé à l’échelle internationale et qu’il se condamnerait à agir seul contre les paradis fiscaux. Au contraire, par plusieurs de ses politiques, le Canada encourage aujourd’hui le recours légal aux paradis fiscaux et se trouve en marge de ses pairs de l’OCDE dans les programmes concertés de lutte contre les paradis fiscaux. Le Canada peut tout à fait participer à la mouvance internationale qui cherche actuellement à juguler cette érosion des assiettes fiscales, en instaurant sans plus attendre des solutions concrètes.
Recommandations
Ce rapport propose ainsi une première série de recommandations minimales au gouvernement fédéral pour attaquer le problème de l’évitement fiscal généralisé. Cette série de recommandations doit être considérée comme une première étape devant être suivie de mesures additionnelles afin de réduire efficacement le fléau de l’évitement fiscal international.
Recommandation 1
Modifier les régimes de divulgation volontaire pour y prévoir des pénalités, le cas échéant, aujourd’hui inexistantes en s’inspirant des programmes états-uniens Offshore Voluntary Disclosure Initiative (OVDI) et Stream Line Program.
Les procédures canadienne et québécoise de divulgation volontaire permettent aux contribuables qui n’ont pas déclaré les informations exigées par les lois fiscales de faire une divulgation volontaire, lorsque les conditions prescrites sont réunies. Si les agences de revenu canadienne et québécoise acceptent la divulgation de ses informations, le contribuable ne sera redevable que des impôts impayés et des intérêts sur la dette. Aucune pénalité ne sera imposée et aucune poursuite criminelle ne sera entamée. Les procédures canadienne et québécoise de divulgation volontaire devraient s’inspirer davantage des programmes américains (OVDI et Stream Line Program). Ainsi, les divulgations volontaires devraient être accompagnées de pénalités à des taux variant de 0 % à 30 % selon les circonstances.
Recommandation 2
Participer aux accords multilatéraux d’échange automatique de renseignements fiscaux
Bien que les accords d’échange de renseignements fiscaux (AéRF) permettent aux autorités fiscales canadiennes d’obtenir des renseignements détenus notamment par des banques et des institutions financières situées dans les législations étrangères avec lesquelles le Canada a conclu de tels accords, il n’en demeure pas moins que les requêtes en ce sens doivent contenir une kyrielle d’informations sur le contribuable visé à un point tel qu’on peut mettre sérieusement en doute l’efficacité de cette procédure. En conséquence, nous recommandons que le Canada participe activement à la dynamique internationale visant à mettre en place des accords multilatéraux d’échange de renseignements automatiques.
Recommandation 3
Retirer l’avantage fiscal prévu aux accords d’échange de renseignements fiscaux
Nous recommandons de retirer l’avantage fiscal permettant aux sociétés résidant dans les pays avec lesquels le Canada a signé un AéRF de distribuer leurs profits d’entreprises actives, en franchise d’impôt, au bénéfice de leur société mère canadienne au moyen de dividendes. Les largesses fiscales qui sont accordées aux sociétés résidant dans les législations ayant conclu un AéRF avec le Canada par la législation fiscale canadienne entrainent une érosion malsaine de l’assiette fiscale canadienne tout en provoquant une compétition déloyale à l’égard des entreprises canadiennes qui n’ont pas accès à de tels mécanismes.
à cet effet, nous recommandons que la définition de « pays désigné » au paragraphe 5907(11) des Règlements de l’impôt sur le revenu soit modifiée afin d’inclure seulement les pays ou territoires avec lesquels le Canada a conclu un accord ou une convention générale visant l’élimination de la double imposition du revenu et non ceux avec lesquels le Canada a conclu un AéRF. Cette modification permettrait de réduire sensiblement les possibilités d’optimisation fiscale que le gouvernement canadien a rendues possibles en signant les AéRF dans leur forme actuelle.
Recommandation 4
Revoir certaines conventions fiscales
Nous recommandons de revoir les conventions générales visant l’élimination de la double imposition du revenu signées avec des pays où les taux d’imposition des particuliers ou des sociétés sont nuls ou pratiquement nuls pour certains types de revenus ou pour certains types de sociétés.
Recommandation 5
Modifier la définition de « pays désigné » au paragraphe 5907(11) des Règlements de l’impôt sur le revenu
Nous recommandons que certaines sociétés qui seraient visées par règlement, dont les International Business Companies de la Barbade, soient réputées ne pas être résidentes d’un pays désigné. Cette mécanique permettrait au ministre des Finances du Canada, lorsque le traitement fiscal accordé par un pays, notamment la Barbade, serait jugé inadéquat, de retirer ponctuellement à certaines sociétés incorporées dans des pays – par exemple les International Business Companies – le bénéfice fiscal associé à la notion de pays désigné.
Recommandation 6
Supprimer les fiducies de revenu non imposable
Les fiducies de revenu transfrontalières, désignées en anglais comme Cross-Border Income Trusts (CBIT) ou comme Foreign Asset Income Trust (FAIT), permettent aux sociétés du secteur minier, pétrolier et gazier d’éviter entièrement tout impôt sur leurs revenus corporatifs. Elles transforment de facto le Canada en un paradis fiscal de l’industrie minière. Le Canada doit immédiatement éliminer ces avantages fiscaux accordés aux minières se costumant en fiducies.
Recommandation 7
Joindre l’initiative Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)
Le projet BEPS de l’OCDE cherche à contrer l’érosion de l’assiette fiscale qui peut s’effectuer par le transfert d’activités vers les juridictions où la charge fiscale est faible ou nulle. à l’heure actuelle, le gouvernement canadien démontre davantage une intention de faire cavalier seul plutôt que de collaborer aux travaux de l’OCDE et à la mise en œuvre de ses recommandations. Cette approche n’est certes pas souhaitable. Le gouvernement canadien doit participer activement dans le projet BEPS, agir de concert avec les autres pays membres et mettre en œuvre rapidement les recommandations de l’OCDE afin de freiner l’érosion de la base fiscale.
Réseau Justice Fiscale, mai 2014