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La Table des partenaires universitaires : une résistance au néolibéralisme dans l’enseignement supérieur

Depuis le milieu des années 1970, des politiques néolibérales démantèlent le consensus social-démocrate construit en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord à la suite de la Grande Dépression et de la Deuxième Guerre mondiale. Le credo de l’École de Chicago en économie a été imposé au Chili (Pinochet), en Grande-Bretagne (Margaret Thatcher) et aux États-Unis (Ronald Reagan). Au Canada, depuis 1984, les gouvernements conservateurs et libéraux ont souscrit de plus en plus aux principes du néolibéralisme, devenus hégémoniques avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991 et le virage chinois vers un capitalisme d’État. La vague néolibérale a atteint le Québec en 1995, d’abord avec Lucien Bouchard et son « déficit zéro », puis sous les gouvernements successifs de Jean Charest.

 

Dès son accession au pouvoir en 2003, Jean Charest a annoncé une vaste « réingénierie de l’État », qui a soulevé tant de mécontentement qu’il a dû temporiser et même reculer (du moins sur le plan du discours). Lors de ses deux mandats suivants, sans le claironner, le gouvernement Charest a adopté diverses mesures favorisant la privatisation à la pièce des services publics[1].

Au Québec, comme ailleurs dans le monde, le nouveau management public a renforcé l’influence du néolibéralisme au sein même de l’État. En 2006, grâce à la loi 53[2], le milieu des affaires a pris le contrôle des conseils d’administration de plusieurs sociétés d’État, favorisant leur privatisation de l’intérieur. Le mode de financement des services publics a contribué aussi à les privatiser. En adoptant le principe de l’utilisateur-payeur, le gouvernement a refilé de plus en plus la facture à l’usager. De bien commun, les services publics deviennent marchandises.

L’enseignement supérieur a subi des pressions semblables. Cela a suscité des protestations et des mobilisations qui ont abouti à la formulation d’une critique large du néolibéralisme en enseignement supérieur, notamment par la Table des partenaires universitaires[3] (TPU). C’est l’objet de cet article.

Avant d’exposer les récentes résistances de cette coalition représentant la grande majorité des organisations étudiantes et syndicales des universités, un retour aux années 1990 rappellera les premières luttes de la Table des partenaires universitaires.

La Table des partenaires universitaires dans les années 1990 : contrer l’impact du sous-financement dans les universités

Au milieu des années 1990, une coupe dans les transferts canadiens en matière de programmes sociaux (TCPS) a engendré des compressions budgétaires drastiques, fragilisant les missions de l’université. La menace commune a rapproché les membres de la communauté universitaire et, en 1996, des organisations représentant des étudiantes, des professeures, des chargées de cours, du personnel professionnel et de soutien ont formé la TPU. Cette coalition a organisé plusieurs rencontres traitant de l’impact du sous-financement sur les missions et sur l’avenir de l’université québécoise. À noter que les recteurs et principaux des universités étaient présents lors de ces débats.

Est-ce l’effet de ces mobilisations ? À partir de 1998, le gouvernement du Parti québécois a rehaussé le niveau de financement, tentant ainsi d’atténuer l’impact des années de pénurie. Depuis 2002-2003, avec l’injection d’un mil- liard de dollars dans les universités québécoises (Figure 1), les préoccupations de la TPU ont été de moins en moins reliées au sous-financement.

Attaque à la gouvernance universitaire : place au secteur privé

Au milieu des années 2000, la présence accrue du secteur privé dans les universités québécoises inquiétait grandement la communauté universitaire. Ainsi, au Forum social québécois tenu au mois d’août 2007, la Table des partenaires universitaires (TPU) a tenu un atelier traitant de l’avenir de l’enseignement

Figure 1

Subventions annuelles de fonctionnement du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport aux universités québécoises (en millions de dollars)

Source : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), L’avenir des universités et leur contribution au développement du Québec, Document d’appui à la réflexion, Rencontre des partenaires en éducation, 6 décembre 2010, p. 28

supérieur et plus spécifiquement de la place du secteur privé dans l’université québécoise. À cette occasion, la FNEEQ a présenté une étude de l’Institut de l’éducation de l’Université de Londres, préparée pour l’Internationale de l’éducation (IE)[4]. Soulignant les différentes formes de privatisation en éducation, Ball et Youdell insistaient sur le caractère particulièrement insidieux de la privatisation endogène, de la privatisation de l’intérieur.

Selon ces auteures, le nouveau management public impose au secteur de l’éducation des méthodes de gestion, des valeurs et des concepts issus de l’entreprise privée. La privatisation endogène altère les rapports sociaux au sein même de la communauté universitaire en transformant le rôle de tous les acteurs. Les dirigeantes se comportent comme des « entrepreneures ». Les enseignantes deviennent des « prestataires de service ». Les étudiantes se muent en « clientes » et en « consommateurs et consommatrices ». En réorientant de l’intérieur les missions, ces glissements modifient les priorités d’un établissement. Voilà pourquoi les auteures parlent d’une « privatisation déguisée » de l’éducation publique.

En septembre 2007, l’Institut de la gouvernance et des organisations privées et publiques (IGOPP) publiait un rapport[5] présentant un nouveau modèle de gouvernance pour les universités québécoises. Déjà aux aguets, grâce à l’étude de Ball et Youdell, et appréhendant le dépôt d’un projet de loi, la TPU a entamé une réflexion sur la gouvernance dans les universités.

À l’hiver 2008, les membres de la Table ont élaboré une position sur la gouvernance universitaire. Pour eux, l’université n’est pas une entreprise privée à but lucratif et elle ne doit pas être gouvernée selon des principes empruntés au milieu des affaires. La collégialité doit rester au cœur de la gouvernance universitaire. Quelques jours avant le dépôt du projet de loi, la TPU rendait publique sa position pour une gouvernance collégiale.

En novembre 2008, le gouvernement Charest déposait les projets de loi 107[6] et 110[7]. Ces projets visaient la gouvernance des universités, mais aussi, à l’étonne- ment général, celle des cégeps. Ces projets modifiaient la composition des conseils d’administration en donnant une place prépondérante à des membres externes, considérées par le gouvernement comme les seules ayant l’indépendance nécessaire pour gérer les universités. Ces projets de loi imposaient aussi la formation de comités traitant de la gouvernance, de la vérification et des ressources humaines. Ces comités, composés majoritairement des membres indépendants du CA, centralisaient plusieurs pouvoirs dévolus soit à des instances ou encore à la communauté universitaire. Le dernier volet du projet de loi présentait un modèle de reddition de comptes basé sur une série d’indicateurs de performance.

Le déclenchement des élections a entraîné la mort au feuilleton des projets de loi, mais, avec la réélection d’un gouvernement Charest majoritaire, deux nouveaux projets de loi 38[8] et 44[9] – semblables aux projets de loi 107 et 110 – étaient déposés à l’Assemblée nationale, le 16 juin 2009.

À l’automne 2009, lors de la Commission parlementaire portant sur les nou- veaux projets de loi, les diverses organisations syndicales et étudiantes se sont coordonnées et ont fait bloc contre les volontés gouvernementales. Elles ont relevé notamment les dérives engendrées par la présence accrue de membres du secteur privé au sein des conseils d’administration et les effets pervers d’une reddition de comptes basée sur la performance.

Durant ces années de résistance, les membres de la TPU ont appris à travailler ensemble et à transcender les cultures propres à chaque organisation.

Février 2010 : les « Lucides » prônent un Pacte pour le financement concurrentiel de nos universités

À l’hiver 2010, la TPU poursuivait ses travaux sur la gouvernance. La sortie du Pacte pour le financement concurrentiel de nos universités[10] a changé les pré- occupations de la Table. Une quinzaine de personnalités, dont l’ancien premier ministre Lucien Bouchard, l’ancien recteur de l’Université de Montréal Robert Lacroix et les économistes Claude Montmarquette et Pierre Fortin, ont soumis un « pacte » sur le financement des universités québécoises qui insistait sur la nécessité de hausser les droits de scolarité.

Dans une économie mondialisée, la réussite d’une économie repose sur la capacité des universités à innover et à créer des savoirs. L’avenir du Québec serait remis en cause si nos universités ne pouvaient pas jouer ce rôle[11]. Selon les auteures, la menace est bien réelle, car « les universités québécoises accusent un sous- financement de quelque 500 millions de dollars par année comparativement à celles du reste du Canada[12] ». Sans un rattrapage, elles ne pourront pas se positionner sur la scène canadienne et internationale[13]. Pour contrer ce sous-finance- ment chronique, ils proposaient à la société québécoise un pacte à trois volets.

Le premier volet vise « à ramener graduellement le mode de financement des universités québécoises dans le modèle canadien[14] ». Le gouvernement québécois maintiendrait le financement de base, auquel s’ajouterait une contribution accrue de la part des étudiantes grâce à une hausse des droits de scolarité rejoignant la moyenne canadienne. Afin de préserver l’accessibilité pour les plus démunis, il faudrait améliorer les programmes d’aide existants par l’ajout de quelque 170 millions de dollars et par « un système de remboursement des prêts étudiants qui soit proportionnel aux revenus gagnés par les éventuels diplômés[15] ». Le dernier volet traitait de la « rigueur » dans les universités. Soumises à la concurrence, les universités devraient notamment « accepter d’être comparées aux universités du reste du monde pour transmettre aux étudiantes les renseignements les plus pertinents et essentiels à leur choix d’institution[16] ». Cette comparaison avec le reste du monde introduisait une perspective selon laquelle les programmes devraient se soumettre à des « standards internationaux les plus exigeants[17] ».

Ce pacte présentait l’enseignement supérieur comme un marché où les universités sont en concurrence pour attirer des professeures de « haut calibre » et des étudiantes de l’étranger. Pour être concurrentielles sur la scène internatio- nale et canadienne, les universités québécoises doivent avoir le même niveau de revenu, c’est-à-dire les mêmes droits de scolarité que dans le reste du Canada.

Les membres de la TPU se sont interrogés sur la façon de répondre à cette vision marchande de l’enseignement supérieur. Ils ont convenu de rédiger un manifeste rappelant les finalités collectives de l’université et dénonçant les dérives engendrées par sa privatisation en douce, la hausse des droits n’étant qu’un élément de cette marchandisation.

La réponse de la TPU : un Manifeste de l’université québécoise

En mars 2010, lors de l’exposé du budget, le gouvernement a annoncé son intention de consulter les « partenaires de l’éducation » sur le financement des universités et plus spécifiquement sur la hausse des droits de scolarité, l’accès aux études universitaires et la performance du réseau universitaire[18]. L’annonce de cette consultation imposa un nouvel ordre du jour à la TPU : le manifeste devait être finalisé à l’automne avant la Rencontre des partenaires de l’éducation.

Le Manifeste de l’université québécoise : pour une université libre, accessible, démocratique et publique[19] prône une université autonome, non instrumentalisée par l’économie et accessible à l’ensemble des Québécoises. Sur la gouvernance, le Manifeste réitère la position de la TPU : il insiste sur l’importance d’une université administrée par celles et ceux qui y travaillent. Y est également préconisée une université financée par les fonds publics, selon une formule équitable qui ne susciterait pas de concurrence entre les universités. Rejetant la hausse des droits scolarité comme piste privilégiée pour le financement des universités, le Manifeste propose de nombreuses options, notamment un régime fiscal plus progressif, l’augmentation des redevances sur les ressources naturelles et la lutte à la corruption.

Évidemment, la hausse des droits de scolarité fut au cœur des discussions entourant l’élaboration de ce manifeste. Le défi pour les membres de la Table était d’élaborer une position alliant à la fois les organisations syndicales et étu- diantes qui favorisaient la gratuité et celles qui privilégiaient le gel. En rappelant que le gouvernement du Québec avait renouvelé en 1976 son engagement au Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et en reprenant la formulation de l’article 13 c), le consensus suivant a été obtenu :

Considérant que le gouvernement du Québec est tenu de reconnaître que l’édu- cation est un droit et non un privilège économique, et ce, en vertu de son engagement envers le PIDESC entériné en 1976, dont l’article 13 c) précise que :

« L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité », nous exigeons du gouvernement du Québec qu’il renonce à son engagement d’imposer une nouvelle hausse des frais de scolarité en 2012[20].

Le Manifeste rejette l’approche de l’utilisateur-payeur qui pave la voie aux hausses des droits de scolarité[21]. Il rappelle que l’éducation est un droit, un bien public au service de toute la société.

Durant l’automne 2010, les organisations de la Table ont présenté le Manifeste à leurs membres. Lors de ce va-et-vient entre leurs instances et la TPU, les représentantes ont réussi à dégager une position dépassant les intérêts individuels des étudiantes, des professeures, des chargées de cours et du personnel professionnel ou de soutien.

Une fois le consensus obtenu, il a été décidé de présenter le Manifeste à la communauté universitaire lors d’une journée de réflexion sur l’université qué-bécoise, L’université pour tout le monde. Cette réunion s’est tenue le 25 novembre 2010 à l’UQAM et les débats ont été retransmis en direct, par vidéoconférence, dans huit universités du Québec.

Les membres de la TPU et des instances intersyndicales de diverses universités ont aussi profité de cette journée pour convoquer des conférences de presse à Montréal et en région, où ils ont insisté sur la dernière proposition du Manifeste, soit la nécessité de tenir un débat large et démocratique prenant la forme d’États généraux sur l’avenir de l’université québécoise. Ils ont aussi dénoncé la future consultation menée par le gouvernement qui abordait le financement sous le seul angle de la hausse des droits de scolarité.

Novembre 2010 : la CREPUQ demande un financement pour des universités concurrentielles

Le 17 novembre 2010, la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) dévoilait une nouvelle étude[22], Le financement des universités québécoises comparé à celui des universités des autres provinces canadiennes de 2000-2001 à 2007-2008 [23], qui réévaluait le sous-financement des universités québécoises. Pour préserver la compétitivité de ses universités, le Québec devrait exiger les mêmes droits de scolarité que les universités canadiennes.

Puisque cette étude de la CREPUQ a justifié la hausse des droits de scolarité, plusieurs questions s’imposaient. Les auteurs du Pacte et la CREPUQ considèrent l’enseignement supérieur comme un marché où les universités doivent se concurrencer pour attirer notamment les étudiantes de l’étranger. Cette vision de l’internationalisation de l’enseignement supérieur est-elle partagée ? Le gouvernement doit-il hausser les droits de scolarité pour soutenir cette concurrence ? Ces enjeux auraient dû faire l’objet de débats lors de la consultation convoquée par le gouvernement du Québec le 6 décembre 2010. Il n’en fut rien.

Décembre 2010 : la Rencontre des partenaires de l’éducation – une consultation factice

Lors de la rencontre du 6 décembre 2010, les ministres Beauchamp et Bachand cherchaient à obtenir un consensus autour du financement des universités[24]. Appuyées sur le document L’avenir des universités et leur contribution au développement du Québec[25], les discussions étaient structurées autour de trois blocs de questions[26].

Les deux premiers blocs traitaient de la hausse des droits de scolarité et de la bonification du programme d’accessibilité financière. Le dernier bloc de questions portait sur la performance des universités, notamment sur la notion d’en- tentes de partenariat [27] et la conformité des universités québécoises aux standards internationaux[28]

Lors de cette rencontre, les fédérations étudiantes, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), les représentants de la TPU et leurs centrales syndicales (CSN, FTQ et CSQ) ont tenté de dénoncer le mal financement [29], d’exposer les effets pervers de la hausse des droits de scolarité et de démontrer les ratés de la gestion des universités. Comme la très grande majorité des participantes provenait du milieu des affaires et de la haute direction des universités, la communauté universitaire a été incapable de faire entendre son point de vue. Prenant acte de cette situation, les centrales syndicales, la FQPPU et les fédérations étudiantes ont quitté la rencontre. D’autres organisations étudiantes, appréhendant une telle conclusion, l’avaient boycottée et manifestaient déjà dans la rue.

En conférence de presse, les membres de la TPU ont dénoncé le fait que les véritables enjeux de l’université québécoise n’avaient pas été abordés. Ils ont réitéré encore une fois la nécessité de convoquer des États généraux sur l’université québécoise.

Mars 2011 : Budget 2011-2012 –

Un plan de financement des universités équitable et équilibré

En mars 2011, lors de la présentation du budget 2011-2012, Raymond Bachand, le ministre des Finances, a présenté Un plan de financement des universités équitable et équilibré. Pour donner au Québec les moyens de ses ambitions[30]. Reprenant les propositions discutées lors de la Rencontre des partenaires de l’éducation de décembre 2010, le Plan de financement précisait les modalités de la hausse des droits de scolarité et des mesures d’aide financière. En matière de gouvernance, il imposait la nécessité de signer des ententes de partenariat avec les universités.

Hausse des droits de scolarité

Le ministre fixait la hausse des droits de scolarité à 325 dollars par an, pendant cinq ans[31]. Son Plan de financement ajoutait 118 millions de dollars aux programmes d’aide financière. En rehaussant les droits de scolarité, le ministre disait vouloir répartir équitablement l’effort accru requis par les universités. En fait, les étudiantes contribueraient davantage, le secteur privé serait encouragé à faire des dons et les universités devraient commercialiser davantage les résultats de la recherche[32].

Derrière le discours de la « juste part » des étudiantes, le gouvernement diminuerait la contribution relative du gouvernement québécois de 54 % en 2008- 2009 à 51,4 % en 2016-2017, celle des étudiantes passerait de 12,7 % à 16,9 % et la part des dons se maintiendrait autour de 3 %[33]. Comme cette tendance le démontre, la logique de l’utilisateur-payeur se traduit par une diminution du financement public.

Ententes de partenariat : imposition d’une gouvernance inspirée du secteur privé

Sur le plan de la reddition de comptes, le Plan de financement imposait des ententes de partenariat. Ainsi, pour obtenir une part de revenus additionnels liés à la « qualité de l’enseignement et de la recherche », les universités devront s’entendre sur une série d’indicateurs comme le taux d’encadrement des étudiants par des professeurs réguliers, le taux de persévérance, le taux de diplomation, ou le nombre et le montant de subventions et des contrats de recherche obtenus du secteur privé et des fonds de recherche fédéraux[34]. À noter que cette liste d’indicateurs reprend presque textuellement l’article 4.0.45 du projet de loi 38 sur la gouvernance des universités[35].

Cette reddition de comptes basée sur la performance inquiète grandement. Ces indicateurs, malgré leur apparente objectivité, pourraient encourager une pression à la performance. Ainsi, si un taux de diplomation n’est pas atteint, les directions universitaires exerceront peut-être une pression sur les enseignantes pour donner des diplômes. Ne faut-il pas craindre le modèle états-unien où le financement d’un établissement est assujetti à l’atteinte d’objectifs ? Quels seront les effets sur l’enseignement et sur la profession enseignante ?

Un autre élément du Plan accorde une part des revenus additionnels à l’amélioration de la gouvernance, mesurée par les « membres du conseil d’administration siégeant à des comités ayant une importance stratégique dans la gestion de l’établissement[36] ». Cette mesure n’inciterait-elle pas les universités à mettre sur pied les comités prônés par le projet de loi 38 ? De façon indirecte, le gouvernement applique une loi qui n’a pas encore été adoptée.

Internationalisation de l’enseignement supérieur

Le Plan priorise aussi le « positionnement concurrentiel des établissements universitaires sur les scènes canadienne et internationale[37] ». Ce positionne- ment se mesurera selon les indicateurs suivants : « Nombre de professeurs et de chercheurs de calibre international recrutés ; nombre d’étudiants étrangers recrutés ; nombre et importance des projets réalisés avec des collaborations nationales et internationales dans les pôles d’excellence[38]. » Par ces indi- cateurs, le gouvernement s’assurerait que les revenus provenant de la hausse des droits de scolarité favoriseraient bien le positionnement mondial des universités québécoises.

S’apparentant à celle de la CREPUQ et des « Lucides », dans leur Pacte pour un financement concurrentiel de nos universités, cette conception de l’internationalisation de l’enseignement supérieur favorise notamment la course aux étudiantes de l’étranger. Déjà, certaines universités sont mieux positionnées pour recruter les étudiantes et les professeures de « calibre mondial », la langue étant notamment un atout majeur. Avec ces propositions budgétaires, ces universités seront en meilleure posture pour participer à la course aux étudiantes et aux ressources. Si la course actuelle aux étudiantes québécoises engendre déjà plu- sieurs effets pervers, notamment sur le plan des coûts, imaginons les effets d’une course encore plus grande aux effectifs étudiants, l’accentuation de la hiérarchisation en cours des universités étant un de ses effets pervers. Autre élément, en voulant se positionner sur le plan international, ne risquent-elles pas de perdre leur spécificité ? Pensons à HEC-Montréal qui, pour séduire des étudiantes de l’étranger, désire offrir des programmes en anglais.

Arrimage de l’université à l’économie du savoir

En poussant les universités à chercher des dons privés et à commercialiser la recherche, le Plan tente d’arrimer l’éducation à l’économie, c’est-à-dire l’université à l’entreprise privée. D’ailleurs, l’introduction du Plan de financement annonçant qu’il « fournira de nouveaux moyens aux universités, piliers importants de l’économie du savoir[39] », reflète bien cette vision. Il faut craindre l’arrimage de l’université aux objectifs dictés par des donateurs privés, aux dépens de la recherche et de l’enseignement libres. Que deviendront les services aux collectivités, cette « mission de valorisation et de transferts des connaissances[40] » ? Les missions mêmes de l’université risquent d’être détournées.

Le document Un plan de financement des universités équitable et équilibré, impose à la pièce le modèle anglo-saxon : l’arrimage de l’université à l’économie, des droits de scolarité élevés, une gouvernance inspirée du nouveau manage- ment public et une internationalisation de l’enseignement supérieur basée sur la concurrence, le marché. L’écho donné par le budget 2011-2012 aux demandes de la CREPUQ et des Lucides est notable. Ce plan de financement comportant diverses mesures proposées par ces derniers, remet en cause les fondements mêmes de l’université québécoise, dérives que la TPU avait vivement dénoncées dans son Manifeste.

Conclusion : pour une suite des choses

Depuis presque dix ans, le gouvernement Charest a poursuivi la privatisation des services publics. L’enseignement supérieur a été frappé par la sous-traitance, la construction en PPP, deux projets de loi sur la gouvernance et, en 2007, une hausse des droits de scolarité de 30 % étalée jusqu’en 2012. La communauté universitaire s’est insurgée et a bloqué les projets de loi sur la gouvernance : pro- jet de loi 107 en 2008 et son avatar en 2009, le projet de loi 38.

Inlassable, le gouvernement est revenu à la charge, notamment en 2011 avec Un plan de financement des universités équitable et équilibré. Pour donner au Québec les moyens de ses ambitions (mars 2011). Avec l’appui des recteurs, du milieu des affaires et des penseurs du néolibéralisme québécois, il remodèle l’université en l’inscrivant dans un modèle anglo-saxon.

La comparaison des argumentaires du gouvernement, des Lucides et de la CREPUQ démontre leur communion idéologique et révèle à quel point le « consensus » du 6 décembre 2010 fut partiel et partial. Pourtant, c’est ce consensus factice que le gouvernement aura brandi dans son entêtement à l’en- droit du mouvement étudiant tout au long du conflit en 2012. Les représentantes de la TPU ont d’ailleurs tenu un point de presse durant la grève rappelant ainsi leur décision de quitter ou de ne pas participer à cette rencontre justement parce que les dés étaient pipés.

Les membres de la Table des partenaires universitaires proposent une vision humaniste de l’université, mais cette vision n’a pas été entendue, car elle faisait obstacle aux propositions de Jean Charest qui a toujours une seule et même perspective : privatiser en douce l’université québécoise.

Il faut saluer haut et fort le mouvement étudiant qui, en refusant la logique de l’utilisateur-payeur, a réussi par sa détermination à élargir le débat des droits de scolarité à la mission et au rôle de l’université. Nous avons envers lui le devoir de poursuivre la réflexion et le combat contre le modèle néolibéral afin de préserver une université libre, accessible, démocratique et publique.


  1. Pensons notamment à l’appel pressant au secteur privé pour concevoir, construire et gérer des immeubles en partenariat public privé (PPP) comme pour le CHUM et le CUSM, aux coupes répétées dans la fonction publique et la dévolution, à des entre- prises privées, des activités autrefois assumées par l’État. Le feuilleton du ministère des Transports illustre de façon éloquente les impacts de ce délestage au secteur privé : coûts majorés, contrôle de la qualité déficient, conflits d’intérêts et corruption.
  2. L.R.Q., chapitre G-1.02. Loi sur la gouvernance des sociétés d’État, 1er mai 2012,< www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2& file=/G_1_02/G1_02.html >.
  3. La Table des partenaires universitaires regroupe l’Association pour une solidarité syn- dicale étudiante (ASSÉ), le Conseil provincial du secteur universitaire (CPSU-SCFP- FTQ), le Conseil québécois des syndicats universitaires (CQSU-AFPC-FTQ), la Fédé- ration des associations étudiantes québécoises en éducation permanente (FAEUQEP), la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), la Fédération des profession- nèles (FP-CSN), la Fédération du personnel professionnel des universités et de la recherche (FPPU), la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), la Table de concertation étudiante du Québec (TaCEQ) et la Table des syn- dicats universitaires (TSU-CSQ).
  4. Stephen J. Ball et Deborah Youdell, La privatisation déguisée dans le secteur éducatif public. Rapport préliminaire. 5e Congrès mondial de l’Internationale de l’éducation, Ber- lin, juillet 2007, < www.fqppu.org/assets/files/themes/organisation_gestion/etude_bri- tannique_privatisation.pdf >.
  5. Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques. Rapport du groupe de travail sur la gouvernance des universités du Québec. IGOPP, septembre 2007, < www. igopp.org/IMG/pdf/Rapport_final_-_la_gouvernance_des_universites.pdf >.
  6. Projet de loi n° 107 – Loi modifiant la Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire et la Loi sur l’Université du Québec en matière de gouvernance, 2008, < http:// maut.mcgill.ca/concerns_docs/Projet_de_Loi_107_2008.pdf >.
  7. Projet de loi n° 110 – Loi modifiant la Loi sur les collèges d’enseignement général et pro- fessionnel en matière de gouvernance, < www.lescegeps.com/documents/la_gouvernance_ des_cegeps_-_projet_de_loi_110_par_centrale_des_syndicats_du_quebec >.
  8. Projet de loi n° 38 – Loi modifiant la Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire et la Loi sur l’Université du Québec en matière de gouvernance, 2009, < www. assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-38-39-1.html >.
  9. Projet de loi n° 44 – Loi modifiant la Loi sur les collèges d’enseignement général et profes- sionnel en matière de gouvernance, 2009, < www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/ projets-loi/projet-loi-44-39-1.html >.
  10. Michel Audet et al., Pacte pour le financement concurrentiel de nos universités, 23 février 2010, < www.ccmm.qc.ca/documents/salleDePresse/2009_2010/pacte/pacte-fiment-universites_fr.pdf >.
  11. Ibid., p. 2.
  12. Ibid., p. 3.
  13. Ibid., p. 4.
  14. Ibid.
  15. Ibid., p. 6.
  16. Ibid., p. 7.
  17. Ibid.
  18. Ministère des Finances, Des choix pour l’avenir. Plan d’action économique et budgétaire, Budget 2010-2011, p. 164, < www.budget.finances.gouv.qc.ca/Budget/2010-2011/fr/ documents/PlanActionEconomique.pdf >.
  19. Table des partenaires universitaires, Pour une université libre, accessible, démocratique et publique, novembre 2010, < www.universitequebecoise.org/wp-content/uploads/TPU- Manifest-long-low.pdf >.
  20. Ibid., p. 9.
  21. Cette logique était d’ailleurs exacerbée dans la proposition des Lucides de différencier les droits de scolarité selon le programme d’étude, Pacte pour un financement concurrentiel de nos universités, février 2010, p. 5.
  22. Pour une analyse de cette étude, voir l’article de Philippe Hurteau.
  23. Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ), Le financementdesuniversitésquébécoisescomparéàceluidesuniversitésdesautresprovincescana- diennes de 2000-2001 à 2007-2008, 17 novembre 2010, < www.crepuq.qc.ca/IMG/pdf/ Financement-Univ-QC-_compare-univ-autres_provinces_2000-2001_2007-2008__ 2010-11-17_2_.pdf >.
  24. À noter que le gouvernement a soumis à la consultation sans le souligner les trois volets du Pacte pour le financement concurrentiel de nos universités, soit la nécessité de hausser les droits de scolarité, la bonification des programmes actuels d’aide et la conformité des programmes aux standards internationaux.
  25. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), L’avenir des universités et leur contribution au développement du Québec, Document d’appui à la réflexion, Rencontres des partenaires en éducation, 6 décembre 2010.
  26. . Ibid., p. 20.
  27. Les ententes de partenariat seraient assorties d’indicateurs servant « à mesurer la situa- tion financière, à évaluer la performance ou à qualifier les services rendus » (Ibid., p. 65). À noter que ces indicateurs se retrouvaient déjà dans le projet de loi 38.
  28. Le document d’appui présentait différents modèles d’assurance qualité en Europe, aux États-Unis et au Canada (Ibid., p. 68).
  29. Le gouvernement québécois finance mieux les fonds dédiés à la recherche subvention- née et aux immobilisations que le fonds de fonctionnement. De plus, plusieurs adminis- trations ponctionnent le fonds de fonctionnement, déjà moins bien doté, pour investir davantage dans le fonds finançant les immobilisations. Sur la question du mal fiance- ment, voir Eric Martin et Simon Tremblay-Pepin, Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité – Huit arguments trompeurs sur la hausse, IRIS, 2011, < www.iris-recherche. qc.ca/publications/faut-il_vraiment_augmenter_les_frais_de_scolarite >.
  30. Budget 2011-2012, Un plan de financement des universités équitable et équilibre. Pour donner au Québec les moyens de ses ambitions. Gouvernement du Québec, 2011, < www. budget.finances.gouv.qc.ca/Budget/2011-2012/fr/documents/Education.pdf >.
  31. Ce modèle met en péril l’accessibilité aux études universitaires, plus spécifiquement pour les étudiantes de première génération et pour ceux et celles qui travaillent, car n’ayant pas accès aux mesures d’aide financière. Ce profil est particulièrement présent dans le Réseau de l’Université du Québec.
  32. 32. . Budget 2011-2012, op. cit., p. 17.
  33. Ibid., p. 37.
  34. Ibid., p. 55.
  35. Projet de loi n° 38, op. cit., p.14.
  36. 5. Budget 2011-2012, op. cit., p. 55.
  37. 6. Ibid., p. 51.
  38. 38. Ibid., p. 55.
  39. Ibid., p. 3.
  40. Audet et al., op. cit., p. 7.

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