L’enjeu de la justice climatique est souvent pensé du point de vue des États ou sur le plan international. Pourtant, les villes dans lesquelles nous résidons sont, non seulement, aux premières loges des changements climatiques, mais également marquées par des inégalités sociales et spatiales qui exacerbent les effets de ces changements. Qu’on pense aux îlots de chaleur, au verdissement inéquitable des quartiers ou encore aux (im)possibilités pour les citoyens et citoyennes d’infléchir les décisions publiques environnementales, la question climatique constitue bel et bien un enjeu urbain majeur.
Pour de plus en plus de militant.es, ces enjeux locaux ont des racines historiques profondes et trouvent leur source dans le colonialisme, les processus de racialisation et bien sûr les inégalités économiques. Plusieurs questions se posent alors : comment agir d’urgence sur les changements climatiques en mettant au cœur des actions une rupture de ces processus inégalitaires et le soutien accru aux plus affecté.es ? Quel rôle la ville joue-t-elle dans ces luttes ?
C’est pour tenter de répondre à cette question que le CAPED (Collectif de recherche Action Politique et Démocratie) organisait, le jeudi 28 octobre dernier, une causerie autour du thème « Ville et Justice Climatique ». Sur fond d’élections municipales, des militant.es de différents horizons se sont réuni.es pour discuter des transformations d’une partie du mouvement environnementaliste contemporain. Au cœur de ces transformations, se trouve notamment la mise à l’agenda de la lutte contre les injustices climatiques. C’est à travers ce thème que s’est déployée la conversation, à laquelle participaient Valérie Bloch et Wassyla Hadjabi, membres du Regroupement citoyen pour la protection du parc Jarry, Albert Lalonde, membre fondateur de la CEVES (Coalition étudiante pour un virage environnemental et social), Elza Kephart, membre fondatrice d’Extinction Rebellion Québec et du Ministère de la Nouvelle Normalité et enfin Tasnim Rekik, organisatrice communautaire et militante féministe décoloniale.
Les échanges ont révélé que l’inscription du mouvement environnementaliste dans un contexte urbain ne va pas de soi, alors même que la question des inégalités sociales y est la plus vivace.
Pour Valérie Bloch et Wassyla Hadjabi, l’exemple du Parc Jarry est un symbole parlant de l’injustice environnementale qui se joue au beau milieu des villes. Fondé dans les années 20 par un conseiller municipal désireux de procurer un accès au grand air à des populations défavorisées en pleine épidémie de tuberculose, le parc Jarry se situe à la lisière des quartiers Villeray et Parc-Extension. Ce dernier est l’un des plus pauvres du Canada, enclavé physiquement, socio-économiquement et culturellement, avec une proportion d’immigré.es avoisinant les 75 %.
Alors qu’un projet de toit rétractable sur le stade de Tennis Canada se profile et que l’entente pour le droit d’occupation du parc Jarry arrive à l’échéance, le groupe citoyen exhume un rapport de l’Office de consultation publique de Montréal daté de 2005, qui sonne l’alarme sur le déséquilibre marqué entre les zones de sport et les zones de nature, alors que le boisé originel du parc a fortement rétréci depuis sa création. L’enjeu est de taille, car il s’agit d’un des seuls accès « vert » pour les résident.es de Parc-Extension, d’autant plus exposé.es à la mauvaise qualité de l’air et aux îlots de chaleur que leur indice de défavorisation est au maximum. Valérie Bloch souligne par ailleurs que cet enjeu d’accessibilité est peu considéré par les partis politiques municipaux et provinciaux, y compris les plus progressistes. Le constat est partagé par Wassyla Hadjabi, dont les démarches auprès du comité de coordination Laurier-Dorion de Québec Solidaire* n’ont pas porté leurs fruits, alors même que l’injustice climatique est au cœur des préoccupations du parti. Pour les deux citoyennes, l’absence d’action des pouvoirs publics dans le dossier est un exemple caractérisé de racisme environnemental. Que faire pour lutter contre ce fléau ?
Selon Albert Lalonde, la solution passe par une reconnexion du mouvement environnementaliste aux communautés urbaines, alors que la majorité de la population mondiale vit en ville. S’interrogeant sur la manière dont le mouvement étudiant s’est formé de manière indépendante des quartiers, Albert relève qu’il faut prendre garde aux privilèges invisibles portés par certain.es militant.es. Ainsi, le rêve d’autosuffisance de plusieurs écologistes désireux.ses de quitter la ville ne signe-t-il pas une forme de déresponsabilisation vis-à-vis de celle-ci, alors que s’y jouent tant d’injustices sociales ? Ce retour à la terre ne risque-t-il pas d’aggraver les injustices environnementales par le biais d’un nouveau colonialisme, seuls les plus privilégié.es ayant ainsi accès à des territoires « naturels », qui plus est non cédés ? La question climatique est un enjeu autant local qu’international, argue-t-il, et le mouvement écologiste ne peut se cantonner à des revendications abstraites qui ne s’incarnent pas dans les espaces géographiques et sociaux que nous habitons. Toutefois, si le mouvement environnementaliste se doit d’émanciper localement les communautés opprimées, l’approche politique plus « large » reste de mise.
Les questions (croisées) du capitalisme et du colonialisme furent ainsi des fils rouges de la discussion : pour Elza Kephart, les racines de la crise climatique plongent dans la colonisation, l’exploitation, le néo-libéralisme et le néo-colonialisme. Elza prône des actions directes souvent parodiques, comme la mise sur pied d’un tribunal d’écocide ou encore du Ministère de la Nouvelle Normalité, qui se met en scène comme un véritable gouvernement. Résultat : en imitant ce qu’un gouvernement qui prendrait au sérieux la crise climatique devrait faire, on réalise de manière troublante l’écart entre ce que le gouvernement réel devrait faire et ce qu’il fait effectivement.
Quant à la question coloniale, c’est par cette porte qu’est entrée Tasnim Rekik dans le militantisme pour la justice climatique. Son ancrage dans la lutte palestinienne l’a poussée à s’intéresser aux luttes autochtones au Québec. Reprenant le concept de racisme environnemental employé par Valérie Bloch et Wassyla Hadjabi, Tasnim insiste sur le fait que les personnes issues de l’immigration vivent souvent dans les villes, au sein de quartiers pollués, sans ressources et sans accès à la nature. De fait, elles ne se sentent pas nécessairement concernées par les luttes environnementales. La militante en appelle alors à une véritable convergence des luttes, qui permettrait de ramener les personnes racisées ou marginalisées, plus vulnérables aux changements climatiques, au centre de la justice environnementale. Cette convergence est d’autant plus importante que ceux et celles qui subissent les injustices environnementales sont les populations qui ont le moins contribué au réchauffement climatique. La convergence des luttes du Sud, des luttes migratoires et de justice sociale est déterminante pour que le combat écologiste devienne plus intersectionnel.
« Pas de justice climatique sans justice sociale »**, telle est donc la devise qui semble se frayer un chemin parmi les militant.es écologistes aujourd’hui, à Montréal ou ailleurs au Québec. S’il reste, sans doute, beaucoup à faire et à penser, on ne peut que saluer la politisation d’un environnementalisme parfois trop consensuel, à l’heure où les dirigeant.es de 197 pays et parties tentent de s’entendre sur leurs ambitions climatiques à la COP 26.
* circonscription provinciale dans laquelle se trouve le parc Jarry
** c’est le nom d’un mouvement lancé par des personnes traditionnellement exclues ou marginalisées des mouvements environnementalistes traditionnels, plutôt blancs.