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L’Etat algérien face à la résistance des syndicats

Cette dernière décennie a été marquée par l’intensification des luttes sociales particulièrement dans le secteur public. Pour cette raison, les autorités surveillent de près les mouvements syndicaux « autonomes » et orchestrent des campagnes répressives et médiatiques pour les intimider et les discréditer.

Pour le pouvoir algérien, ils incarnent tout le potentiel révolutionnaire du pays. Les syndicats autonomes, héritage de l’ouverture politique initiée après les manifestations d’Octobre 1988, mènent depuis une dizaine d’années une lutte sans concession contre le pouvoir. Depuis le mois de mars dernier, on compte jusqu’à plus de cent grèves par mois touchant, successivement ou en même temps, les universités, les hôpitaux, les transports et les entreprises publiques. Même le secteur privé est touché comme le constructeur automobile Hyundai-Algérie dont les employés ont marqué un arrêt de travail au début du mois de mai.

Après les violentes « émeutes » qui ont commencé le 5 janvier passé et duré près d’une semaine, les syndicats autonomes se sont accordés avec la Ligue algérienne des droits humains (LADDH) sur la création d’une organisation collective dont le but était de donner une structure organisée à la lutte de la jeunesse qui venait de se soulever sur l’ensemble du territoire national.

Des partis politiques et moult associations ont été invités à participer à cette hyper-structure nommée la Coordination nationale pour le changement et la démocratie. Mais la CNCD n’a tenu que deux mois puisqu’elle a fini par se diviser en deux mouvements différents, les partis politiques d’une part et les syndicats d’autre part. Depuis lors, ce sont ces derniers qui occupent quasi-quotidiennement la rue, notamment dans la capitale. L’Etat, lui, répond par la violence ou par des mesures en trompe-l’œil.

Pour une lutte organisée

Rencontré à Alger avant les manifestations de cette année, M. Rachid Malaoui remarquait déjà que « la majorité des Algériens se révolte en permanence[1]. Mais les manifestations ne sont pas encadrées car on manque de structure organisée pour cela et  l’éventuelle existence d’une structure inquiète les autorités. »

Pour le président du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (SNAPAP), les syndicats autonomes représentent une de ces structures. Représentant le personnel de la fonction publique, la centrale, qui refuse « l’infernale fatalité de la résignation », est justement le syndicat autonome le plus puissant et le plus actif.

Malgré les difficultés rencontrées sur le terrain, les syndicats autonomes ne désespèrent pas de pouvoir mobiliser un jour tous les Algériens, d’autant que les acteurs syndicaux sont parfois issus du combat d’Octobre 88. C’est le cas de M. Rachid Malaoui arrêté et torturé par le régime de Chadli Bendjedid.

Cette longue expérience dans les luttes sociales et politiques assure au SNAPAP une notoriété publique qui attire vers elle les associations et autres organisations comme l’observe  le Comité international de soutien au syndicalisme autonome algérien (CISA) dans un communiqué : « le SNAPAP apporte son soutien et ses moyens à l’organisation de deux mouvements de contestation originaux dans le pays, mouvements issus d’une jeunesse complètement précarisée. D’une part, celui des étudiants qui renient les organisations fantoches déjà existantes et se constituent depuis février 2011 en unecoordination autonome visant à dénoncer les conditions d’étude et l’absence totale de débouchés. D’autre part, celui des jeunes chômeurs, qui s’organisent de la même façon et multiplient les rassemblements, dans le cadre du Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC)… ». M. Taher Bellabes, le coordinateur général du CNDDC, créé aussi en février, précise : « le SNAPAP sert de cadre pour notre organisation qu’il aide tant qu’il peut. Cela ne signifie pas que nous sommes sous son autorité. Au contraire, nous gardons toute notre liberté de réflexion et d’action. »

Ce « professionnalisme » dans l’organisation des luttes sociales, le SNAPAP et les syndicats autonomes l’ont atteint après de longues années de formation. A titre d’exemple, ces deux dernières années, ils ont incité leurs adhérents à l’usage des nouvelles technologies afin d’économiser leur argent et leur force pour plus d’efficacité sur un plus long terme. « Nous voulons mobiliser le plus de monde car l’école publique est aujourd’hui menacée », nous dit pour sa part M. Idir Achour, du non reconnu Conseil des Lycées d’Alger (CLA). L’intérêt de ces journées de formation, pour le SNAPAP, est d’éviter l’erreur des partis de l’opposition qui n’ont pas initié les jeunes générations à la vie militante. « Les fondateurs des partis politiques n’ont pas pensé à préparer la relève, commente M. Malaoui. C’est pour cela que les syndicats ont repris le relais dans le combat pour la démocratie. »

A ce titre, ils ont investi l’espace médiatique et Internet à coups de communiqués de presse, d’informations envoyées aux journalistes en temps réel. Ils nourrissent aussi les réseaux sociaux et les sites web youtube et dailymotion de vidéos reflétant la réalité de leurs luttes et la répression qui s’abat sur eux.

Parmi ces militants actifs sur le web et dans la rue, on peut citer Yacine Zaïd. Il s’agit d’un homme discret qui est pourtant à l’origine de tous les mouvements sociaux dans les zones riches en hydrocarbures puisqu’il est le premier homme à s’être dressé contre le mépris des multinationales à l’égard des Algériens, avant d’être rejoint par de nombreux autres travailleurs du Sahara. La brèche ouverte dans la toute puissance des compagnies pétrolières, c’est autour des chômeurs de toute la région de s’insurger pour réclamer des emplois.

Le mois de mars passé, et grâce aux vidéos de M. Zaïd sur la précarité des habitants de la ville de Laghouat, le préfet a dû intervenir pour mettre un terme à une situation dont il avait pourtant déjà connaissance. Il a ainsi débloqué une somme de 2,5 millions de dinars (250 000 euros) et engagé une assistante médicale pour quatre sœurs handicapées et vivant seules sans ressources financières dans la région gazière de Hassi R’mel.

Le bâton et la carotte

La culture syndicale est très ancrée chez les fonctionnaires algériens. Néanmoins, il n’existe toujours aucun syndicat dans le corps privé, en dehors de l’officielle UGTA (Union générale des travailleurs algériens) très décriée par les travailleurs. Cela est dû à des raisons historiques et sociales.

Après les manifestations d’Octobre 1988 qui ont ouvert le champ politique, syndical et associatif au pluralisme, différents syndicats se sont formés, dont la plupart s’est concentrée dans le secteur public où les employés se caractérisent par un niveau d’instruction plus élevé. Les entreprises privées, quant à elles, ont vu naître le Syndicat Islamique des Travailleurs (SIT) qui a été interdit en 1992 en même temps que le Front Islamique du Salut (FIS) a été dissout.

L’instauration de l’état d’urgence la même année a servi de prétexte pour interdire la constitution de nouveaux syndicats.Créé avant cette date, le Conseil national des enseignants du supérieur (CNES), qui représente aujourd’hui 80 % de l’effectif universitaire, est l’une des rares formations autonomes à disposer d’un agrément. « C’est un grand acquis que d’être reconnu, admet M. Baâli Cherif Djamel, mais l’agrément aujourd’hui ne compte pas tellement [pour faire basculer les rapports de force avec le pouvoir central]. Le plus important, c’est le travail sur le terrain. Il nous faut reprendre tous les champs d’expression… ». Une tâche bien difficile quand on connaît le machiavélisme de l’Etat algérien.

En effet, le pouvoir ne manque pas de ruses pour discréditer les « autonomes ». « Des syndicats clones sont créés, nous apprend M. Malaoui. Un député à la retraite a ainsi été propulsé à la tête du SNAPAP-cloneEn ouvrant le journal, on apprend qu’il a obtenu une salle pour tenir un congrès alors que nous sommes interdits de toute manifestation ! »

D’autres groupes syndicaux sont infiltrés et des dissidences orchestrées. « Pour ceux qui suivent notre vie de l’extérieur, dit M. Kecili Salem du syndicat de l’éducation et de la formation SATEF, les syndicalistes ne s’entendent pas entre eux. Des [faux] communiqués envoyés à la presse par le pouvoir sont signés du nom du président de notre groupe pour jeter l’anathème sur lui. » Le même interlocuteur remarque que « les syndicalistes corrompus ont un droit de détachement pour mener leurs activités syndicales contrairement aux autres. »

Par ailleurs, la police sous les ordres d’Abdelaziz Bouteflika n’hésite pas à enfreindre toutes les lois pour dissuader les syndicalistes d’agir sur le terrain. Dans la nuit du 8 au 9 mai de cette année, des inconnus se sont introduits dans la Maison des Syndicats, Le centre névralgique des organisations syndicales sis à Dar el Beida à Alger, et y ont subtilisé les deux seuls ordinateurs trouvés sur les lieux.

Si les syndicalistes accusent l’Etat algérien d’être derrière ce forfait, c’est que leur siège est mis sous une indiscrète surveillance policière. Depuis plusieurs mois, des agents en civil filment à partir d’une voiture banalisée toutes les activités qui se déroulent autour de la Maison des Syndicats. Pendant ce temps, des militants sont appréhendés dans la rue et sont tabassés ou mis en garde à vue pour être fichés.

En plus de la répression, l’Etat a su éloigner les manifestations actuelles de leur objectif initial (le changement du régime) pour leur donner une orientation purement économique et sociale à laquelle il répond par des augmentations des salaires et l’amélioration des conditions de travail des fonctionnaires. Il a finalement pu discréditer au moins partiellement le travail des syndicats autonomes. Si une partie de la population trouve courageuses leurs initiatives répétées à Alger, une autre partie considère qu’ils ont cédé à l’opportunisme.

Mascarade syndicale

Pour le politologue Mohammed Hennad, « l’Etat veut faire comprendre aux syndicats autonomes qu’ils doivent se limiter aux revendications salariales sans toucher au politique. » Afin de mieux comprendre la mansuétude étatique à l’égard des fonctionnaires dont les émoluments sont augmentés après le moindre mouvement social, il faut rappeler que l’augmentation des prix des matières premières a permis à l’Algérie de connaître une embellie financière exemplaire.

Avec une réserve de change estimée à près de 155 milliards de dollars et un PIB annuel estimé en 2010 à 150 milliards de dollars alors qu’il n’était que de 48 milliards en 1999, le chef de l’Etat, avec la bénédiction du syndicat officiel l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), croit pouvoir « acheter » la paix sociale.

M. Mohammed Hennad « regrette que l’UGTA ne joue pas, dans les manifestations algériennes, le même rôle qu’a joué l’UGTT dans la révolution tunisienne. Au lieu de cela, elle ne se prononce que pour conforter et consolider le régime en place. »

Créée en 1956 pour lutter contre l’exploitation des Algériens par la France coloniale, l’UGTA est depuis l’indépendance une formation officielle. Elle est du côté du pouvoir et le pouvoir, qui ne se soucie que de sa pérennité, est du côté des multinationales et contre la démocratisation de la vie politique.

Tous les syndicalistes autonomes sont pourtant d’accord sur un point : « la base de l’UGTA est sincère et nous composons avec elle. » Mais quand un mouvement commence à prendre de l’ampleur, « le bureau national rappelle à l’ordre ses adhérents et leur ordonne de se tenir à l’écart », s’indigne M. Idir Achour.

La véritable fonction de l’UGTA consiste à donner le change. Des tripartites – mascarades syndicalessont régulièrement organisées, réunissant le gouvernement, le patronat et l’UGTA. Le syndicat officiel entérine donc les décisions du patronat approuvées par un gouvernement sans aucun programme politique clair. Et en échange de sa servitude, M. Abdelmadjid Sidi Saïd, à la tête de la centrale depuis 1997, se voit attribuer le privilège de crier les bonnes nouvelles. Ce fut le cas en avril 2009 où il annonça une augmentation du salaire minimum SMIG alors qu’il battait compagne pour le troisième mandat d’Abdelaziz Bouteflika.

Pour toutes ces raisons, les syndicats non officiels tiennent à se distinguer par leur « autonomie ». Engagés dans une lutte acharnée contre le régime et rêvant de répéter les scénarios révolutionnaires tunisien et égyptien, ces syndicats ont besoin de faire leur entrée dans le secteur privé pour sensibiliser un autre public que les fonctionnaires.

Les consultations lancées par le chef de l’Etat pourraient leur donner l’occasion, s’ils sont reçus par l’Instance de consultation sur les réformes politiques, de faire entrer ce point dans la « nouvelle » mouture de la Constitution. Une chose à laquelle ni les syndicats, ni les partis de l’opposition ne croient. Pour eux, avec ces consultations, Abdelaziz Bouteflika veut faire diversion et gagner du temps en attendant que les protestataires s’essoufflent. Quoi qu’il advienne, les « autonomes » devraient inventer une nouvelle manière de mobiliser tout en restant à l’écart des partis politiques dont la population se méfie. L’avenir les sollicitera sans doute beaucoup plus que le présent.

[1] L’année 2010 a été marquée par plus de 10 000 « émeutes ».

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