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Le FSM à la croisée des chemins

Réunis à Paris les 25-27 mai, les quelques 150 membres du comité international du Forum social mondial ont fait le point. De nouvelles perspectives et de nouveaux défis ont été identifiés, dans un contexte fragile  et volatile pour les mouvements sociaux qui participent à cette aventure depuis déjà dix ans.

Dix ans déjà

Depuis 2001, le FSM a été un riche espace de débats et d’explorations pour les mouvements sociaux. Certes durant une période assez longue, cet enrichissement a été surtout inspiré par les mouvements d’Amérique latine, alors dans une phase ascendante, et avançant des propositions intéressantes sur la démocratie, l’autonomie des mouvements, la participation populaire, l’écologie. À travers d’innombrables « brainstormings », les mouvements présents au FSM se sont démarqués d’une « ancienne gauche » tout en explorant des pistes nouvelles sur la transformation sociale. Ils ont créé toute une galaxie de réseaux et de réseaux de réseaux qui ont permis des concertations et des stratégies communes dans toutes sortes de secteurs (paysan, féministe, syndical, écologiste, urbain, etc.).

Nouvelle phase

Aujourd’hui a-t-on constaté lors du dernier Forum de Dakar, ces avancées continuent, mais la conjoncture a changé. En Amérique latine, les mouvements sont maintenant à la fois partenaires et adversaires des gouvernements progressistes dans une dynamique complexe.  Le tableau est plus sombre ailleurs, avec des États de plus en plus régressifs et répressifs, notamment en Afrique, en Amérique du Nord et en Europe. Entre ces deux « pôles », surgit un nouvel espace de résistance et de construction des alternatives en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Les défis sont plus difficiles dans un sens que durant la phase précédente où les possibilités d’avancer rapidement étaient réellement ouvertes.

Les défis

Le FSM actuel doit donc évoluer en fonction de cette conjoncture. Ce changement ne peut être symétrique ni simple, puisque la situation est très différente d’une région et d’un pays à l’autre. Par exemple en Amérique latine se pose la question de l’articulation des mouvements sociaux aux partis et aux pouvoirs émergents. À cet effet, un « laboratoire » est en cours en Bolivie où les mouvements tout en préservant leur espace cherchent à s’infiltrer dans la sphère du pouvoir et à réorienter les priorités nationales. Devant un tel défi, un espace de débats « libre » comme le FSM est très précieux. Dans les sociétés qui sont sous le choc du néolibéralisme et du néoconservatisme, les mouvements, comme en Europe, cherchent de nouvelles méthodes pour gagner la bataille des idées dans le contexte d’une « guerre de position » entamée par les puissants sur les terrains de la culture et des valeurs.

Dans l’épicentre de la crise

En Afrique du Nord (Maghreb) et au Moyen-Orient (Machrek), une nouvelle génération de mouvements populaires prend le devant de la scène. Ces mouvements luttent pour la démocratie qui a été bafouée pendant des années par les forces combinées des élites locales et de l’impérialisme. Mais l’obtention des droits démocratiques de base pour tous et toutes ne fait pas de sens si elle ne sert pas à relancer les luttes pour l’emploi, l’éducation, la santé. Pour cela, les mouvements cherchent également à se repenser, en partie inspirés par la méthodologie du FSM : horizontalisme, respect de la pluralité, souci écologiste, place des femmes et des jeunes. Une sorte de « révolution dans la révolution » est en cours dans cette région du monde et pour ces raisons, le comité international a estimé que le prochain FSM devrait avoir lieu à Tunis ou au Caire en 2013.

Le deuxième âge du FSM

Les grands rassemblements qui ont caractérisé la première décennie du FSM ont eu des avantages indéniables, mais ils ont comporté également des aspects négatifs. Le gigantisme, les problèmes organisationnels et financiers, la désappropriation (jusqu’à un certain point) des mouvements locaux au profit d’entités spécialisées et professionnalisées (les ONG notamment) ont créé de sérieux problèmes. On constate que cette situation ne peut se reproduire sans risquer de nuire à l’esprit ou à la substance du FSM, qui n’est pas de réunir 75 000 ou 100 000 personnes, mais d’outiller les mouvements dans la lutte pour la transformation. Dans ce contexte, diverses pistes ont été identifiées par le comité international pour relancer le processus.

Focus local

Il apparaît évident que le processus-forum peut être très effectif au plan local, en permettant aux mouvements locaux de s’identifier, de dialoguer, d’élaborer des perspectives. Par exemple à Détroit en 2010, le Forum social des États-Unis a réellement permis aux organisations de base (grassroots) d’esquisser des stratégies alternatives face à la montée de la droite dans ce pays. En France en 2012, plus de 30 communautés locales sont engagées dans la mise en place de forums municipaux, inter-reliés entre eux via des thématiques communes comme la gestion des ressources, l’environnement, la migration. Ces explorations permettent de renouer avec l’innovation et la créativité et d’éviter une « routinisation » du Forum selon des modèles passés. Notamment, plusieurs militants et militantes conviennent qu’il faut aller beaucoup plus loin dans l’élaboration des alternatives.

La dimension environnementale

Le FSM a permis à des tas de mouvements d’explorer de « nouvelles thématiques » comme l’environnement sans se substituer aux mouvements et aux réseaux spécialisés, mais en liant ensemble les questions de justice sociale et d’environnement. À cet effet, la rencontre de Cochabamba en Bolivie l’an passé de même que les consultations subséquentes dans divers lieux (Montréal notamment) ont créé une convergence qui devrait déboucher sur des interventions lors de la prochaine conférence internationale de Rio +20 au Brésil en janvier prochain. Lors de la rencontre du comité international, tous ont constaté l’importance de cette bataille et de faire en sorte que les mouvements populaires évident l’instrumentalisation de l’environnementalisme par les États et les entreprises.

Sortir des sentiers battus

Le FSM par ailleurs doit s’étendre en dehors de ses zones traditionnelles (Amérique du Sud et Europe du Sud) pour rejoindre les mouvements d’autres régions, dans l’ancien espace soviétique, en Afrique subsaharienne et en Asie de l’Est, entre autres. À cet égard, diverses initiatives sont en cours dont la création d’un nouveau réseau de recherche-action regroupant des militants et des chercheurs européens, nord et sud américains, indiens, chinois. Ce réseau coordonné par le CEDETIM (Paris) et ARENA (Hong Kong) organisera plusieurs grandes consultations des mouvements sociaux en Chine notamment.

Rendez-vous au sud de la Méditerranée

Depuis déjà quelques années, le FSM s’est ancré dans des pays comme le Maroc, la Palestine, le Liban, tout en prenant racine en Égypte, en Algérie, en Tunisie. Un travail de « fourmi » a été fait pour lier les mouvements dans une dynamique commune de débats et d’explorations. Aujourd’hui, ces régions sont en effervescence avec des millions de personnes actives dans la lutte. Comme en Amérique latine au début de la précédente décennie, c’est là où le FSM peut être stratégiquement utile. D’une part pour faciliter l’expansion des rapports dans la région. D’autre part pour désenclaver les mouvements par rapport au reste du monde. Également, pour apprendre de ces luttes et faire comme les mouvements espagnols depuis quelques semaines qui ont « importé » le printemps arabe chez eux.

Interpellation québécoise

Traditionnellement, plusieurs mouvements québécois ont participé au processus du FSM. D’une part en s’impliquant dans les travaux des grands rendez-vous mondiaux. D’autre part en utilisant la méthodologie du FSM pour renforcer les réseaux québécois. Les deux FSQ (2007 et 2009) ont matérialisé cette concertation, de même que d’autres réseaux actifs comme l’Alliance sociale, la Coalition contre la privatisation et la défense du secteur public, sans compter les grandes mobilisations animées par les centrales syndicales, la FFQ, le mouvement étudiant et écologiste, etc. Dans ce sens, le processus du FSM, dans sa substance et non seulement son apparence, s’est bien intégré au Québec dans le cadre d’un mouvement social qui converge dans le respect de la diversité. Or ici comme ailleurs, ce processus doit être relancé et adapté, sans tomber dans une certaine ritualisation, mais en agissant de manière à être utile et constructif. La relance de forums locaux (prévue pour 2012), la mise en place de nouveaux outils de débats et de recherches, l’ouverture vers de nouvelles régions du monde (le Maghreb et le Machrek) via l’implication plus forte des diasporas sont autant d’outils qui apparaissent dans les discussions actuelles. Par ailleurs, comme nous sommes confrontés à un gouvernement de droite dure (Harper), il importe de renforcer la concertation avec les mouvements sociaux du Canada anglais et dans un autre registre, avec ceux des États-Unis. La perspective déjà évoquée d’un grand Forum social de l’Amérique du Nord pourrait être reprise surtout si un certain nombre de grands mouvements sociaux s’implique de manière déterminée.

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