Judith Trudeau
Professeure de science politique au Collège Lionel-Groulx
Depuis quelque 15 ans, Olivier Niquet écoute, recense et nous fait découvrir des perles des animateurs et animatrices de radios populistes. D’abord au Sportnographe (2004) avec le bêtisier sportif, puis depuis 2012 à La Soirée est (encore) jeune à la radio de Radio-Canada chaque vendredi et samedi soir. Il a publié deux recueils dont le dernier s’intitule Le club des mal cités1, recueil de citations du monde de la politique. C’est avec bonheur que je l’ai rencontré, en mars 2019 au café Le Brûloir dans le quartier Ahuntsic à Montréal pour l’entendre diagnostiquer sans rire un phénomène médiatique des plus étrange.
D’entrée de jeu, Olivier Niquet dira : « Je ne parle jamais de radio poubelle, car ce serait jouer le même jeu de l’enflure verbale et de l’exagération. Je préfère parler de radio populiste. Surtout que je les critique chaque semaine, ça pourrait rapidement devenir une guerre langagière et une surenchère haineuse. Ce n’est pas le but de l’opération.
En ce moment, je ne sais pas ce que je fais de correct ou d’incorrect, mais les Jeff Fillion et Dominic Morais de ce monde et moi, nous nous tenons à saine distance. Je n’ai pas besoin de dire : Ce que vous dites est cave ! Les gens sont en mesure de juger par eux-mêmes suite à la simple exposition de leurs dires. Ainsi, je ne leur fais pas dire ce qu’ils ne disent pas et je leur enlève, en ce sens, une possible poigne contre moi. »
J.T. – Effectivement, radio populiste me semble plus sobre…
O.N. – Surtout qu’ils flattent le peuple et qu’ils ont la prétention de parler au nom du peuple, du vrai monde.
J.T. – Dans l’oeuvre Qu’est-ce que le populisme ?2 de Jan-Werner Müller, on y note effectivement que les populistes semblent travailler sur la notion du monopole de la représentation du peuple où, contre la formule du 1 % versus les 99 %, les populistes prétendent embrasser les 100 % du peuple.
O.N. – C’est assez paradoxal, car on parle, chez ces animateurs de radio, de gars qui gagnent de gros salaires avec des horaires atypiques et qui ont deux mois de vacances par année. Ils se font les défenseurs des petits travailleurs, mais disons qu’il y a un méchant décalage.
Ils le font aussi dans un langage anti-intellectuel qui tend à mettre en opposition les intellectuels et le vrai monde. Avec une démonisation des « bien-pensants » comme ils disent ; « bien-pensants »… ça ne veut pas dire grand-chose… Est-ce à dire qu’ils sont des « mal-pensants » ?
Il y a aussi tout le volet de la désinformation qui peut être préoccupant.
J.T – Quel est le but de ce genre de discours ? Quelles sont leurs motivations ?
O.N. – J’aimerais ça te dire qu’ils font partie des mécanismes du capitalisme à la solde des puissants… mais je pense qu’ils le font uniquement pour leur compte en banque.
Des gars qui se sont rendu compte qu’ils avaient un talent pour ça ; pour parler, pour exciter les gens, pour choquer, pour divertir, pour attirer les foules, pour faire augmenter les cotes d’écoute. De ce fait, on continue à les engager. Et c’est la raison pour laquelle, ils restent en poste malgré le roulement assez important chez les animateurs radio ; eux, ils restent en poste.
J.T. – Y’a-t-il quelqu’un quelque part qui ne fait pas son boulot ? Non pas que j’en appelle à la censure, mais parfois certains propos semblent « limites ». Faudrait-il mieux les encadrer ?
O.N. – Non. Je crois que la liberté d’expression est une valeur importante en démocratie. Il n’y a pas lieu de la restreindre. Ceci dit, ceux qui ne font peut-être pas leur boulot adéquatement, ce sont les propriétaires des médias qui les engagent. Qui se foutent de ce qui se dit, pourvu que ça rapporte. Il y a des gens là-dedans très respectables, comme les propriétaires de Cogeco qui font des émissions très intéressantes, mais qui se laissent aussi prendre par l’appât du gain, sans responsabilité sociale, à Québec par exemple.
J.T. – On arrive là… Pourquoi à Québec, les radios populistes semblent-elles avoir plus de prégnance qu’ailleurs au Québec ?
O.N. – Beaucoup de personnes ont tenté de répondre à cette question… Est-ce parce qu’il y a beaucoup de fonctionnaires qui bénéficient, avec ces emplois, de conditions de vie enviables ? Est-ce que cette classe de fonctionnaires devient un bouc émissaire intéressant ? Mais en même temps, si c’était vrai, on verrait ce même phénomène à Ottawa ? Ce qui ne semble pas le cas.
Merci pour cette rencontre Olivier. Merci de nous faire découvrir, chaque semaine, les bourdes et dérapages mis bout à bout dans ton bêtisier. L’humour absurde vivifie notre démocratie québécoise.
1 Olivier Niquet, Le club des mal cités, Montréal, Duchesne et du rêve, 2018.
2 Jan-Werner Muller, Qu’est-ce que le populisme ? Définir enfin la menace, Paris, Éd. Premier parallèle, 2016.