Le phénomène Occupy Wall Street (OWS) a acquis une dimension et une longévité inégalées par les manifestations récentes aux Etats-Unis. Il a touché un large éventail de personnes consternées par le cruel niveau des inégalités qui constitue un des traits marquants de la société états-unienne contemporaine. A mesure que le petit campement de Lower Manhattan [appelé aussi Financial District, il inclut Wall Street] grossissait et se propageait dans d’autres villes du pays, le cri de ralliement des «99%» a temporairement introduit dans le discours dominant une conception de classe, généralement absente dans le théâtre politique tel que reflété sur les écrans médiatiques.
La capacité des organisateurs à attirer l’attention publique a été impressionnante et rappelle de manière encourageante que la plupart des gens aspirent à une vision politique qui entre en résonance avec les soucis matériels qui les préoccupent, même si cela entraîne le risque d’une trop grande dépendance par rapport à la couverture par les grands médias. Le plus surprenant est, en fin de compte, qu’une réaction ait mis aussi longtemps à s’exprimer alors que la crise économique la plus brutale depuis une génération entre inexorablement dans sa troisième année consécutive.
Quelle endurance?
Le noyau dur des participants peut subsister durant des mois, mais il est probable qu’avec le temps la participation à des occupations directes s’affaiblisse et que l’attention médiatique se focalise à nouveau sur les opérations plus «profitables».
La parodie politique qui s’est déroulée au Wisconsin suite à des mois de mobilisation devrait servir de rappel douloureux de cette réalité inévitable [voir à ce sujet les articles publiés sur le À l’encontre site dès mars 2011].
Et même si la visibilité et l’actualité politiques peuvent survivre un certain temps, elles seront fugaces à moins que le mouvement ne parvienne à s’ancrer dans quelque chose de plus durable que des manifestations. C’est la raison pour laquelle le mouvement Occupy doit impérativement se doter d’un niveau d’organisation qui lui permette de se maintenir et de se développer.
Le slogan des «99%» a sans doute une énorme crédibilité rhétorique, mais l’histoire montre que la création d’un mouvement durable est une tâche minutieuse et de longue haleine pour laquelle il n’existe pas de raccourci: il faut rencontrer des gens où ils se trouvent, gagner leur confiance et débattre avec eux des problèmes qui les préoccupent, connecter ces problèmes à un programme politique cohérent et consolider ces efforts pour construire une force dont il faudra tenir compte.
Beaucoup de groupes de travail de Occupy sont peut-être en train de s’atteler à un tel projet, mais la majorité des millions de personnes qui constituent les «99%» n’ont pas voulu ou n’ont pas pu y participer. Elles doivent être touchées par d’autres moyens. OWS constitue peut-être l’opportunité pour lancer un tel processus, mais ne constitue pas une étincelle qui peut se propager d’elle-même.
Des années de lutte
On a souvent évoqué le mouvement pour les droits civiques en rapport avec OWS, ce parallèle est instructif. La plupart des manuels scolaires ne mentionnent pas le fait que la lutte contre la ségrégation raciale s’est développée à partir d’un appareil organisationnel profondément implanté qui avait été construit durant des décennies de travail assidu et d’organisation au niveau communautaire.
Rosa Parks [cette couturière devint l’emblème de ce combat en refusant de céder sa place à un passager blanc dans un bus, en 1955, à Montgomery, en Alabama] était une militante aguerrie formée à la Highlander Folk School, une école d’organisation de gauche légendaire [fondée en 1932 par Myles Horton; cette école a joué un rôle important dans le Sud des Etats-Unis au cours des années 1950 pour l’American Civil Rights Movement]. Quant à Martin Luther King Jr., il doit aussi beaucoup dans son engagement à des syndicalistes expérimentés qui l’avaient recruté.
Ce ne sont pas des miracles qui ont permis le développement de cette lutte historique: elle a été planifiée et conduite par des individus et leurs organisations dont les années de lutte pour des revendications concrètes ont permis de cultiver des appuis puissants dans des milieux spécifiques.
C’est uniquement en s’organisant à plus long terme que l’OWS pourra commencer à canaliser la colère et l’énergie qui l’ont fait apparaître pour se transformer en un mouvement dynamique et ayant une conscience de classe. Or, seul le mouvement syndical a l’expérience et la capacité organisationnelles pour relever ce défi.
En effet, même s’ils sont affaiblis et malgré toutes les limites de leurs bureaucraties apathiques, les syndicats sont encore les organisations d’adhérents les plus démocratiques des Etats-Unis. Ils disposent partout dans le pays d’infrastructures et de militants reconnus ayant les compétences pratiques et les ressources nécessaires pour poursuivre la lutte, en particulier lorsqu’elle deviendra moins visiblement excitante. Même si la densité de la présence syndicale a fortement et rapidement décliné au cours des dernières décennies, il existe encore aujourd’hui des millions de personnes ayant connu de réelles améliorations dans leurs vies grâce à des luttes sur les lieux de travail menées par les syndicats existants. Et cette fraction de la population est plus représentative, potentiellement, que celle qui est susceptible de participer à un événement impulsé par Occupy [bien qu’une jonction ait été établie entre les militants syndicalistes et les activistes du mouvement dans diverses villes – voir plus bas].
Il faut se rappeler que sur le plan historique, l’organisation de la force de travail a été le moyen le plus efficace pour s’opposer à l’inégalité économique. Lorsque les syndicats sont faibles, la richesse tend à se concentrer entre les mains d’une minorité, alors que quand ils sont forts la richesse est au moins un peu plus équitablement distribuée, c’est là une réalité empirique. Une étude récente révélait qu’entre 1973 et 2007, la syndicalisation dans le secteur privé avait diminué de 75% et l’inégalité avait augmenté de 40%. Dans cet esprit, OWS peut être considéré comme une possibilité effective pour impulser dans le mouvement syndical une stratégie d’organisation plus agressive et, espérons-le, une vision politique alternative.
Les militants de la base dans une série de syndicats se sont engagés dans ce projet éreintant pendant des décennies, avec quelques succès et beaucoup d’échecs. L’aspect peut-être le plus encourageant de OWS est qu’il pourrait créer un espace supplémentaire pour ce type de travail. Mais une possibilité n’a de la valeur que dans la mesure où des pas concrets sont accomplis pour la concrétiser. A moins que la réflexion stratégique nécessaire pour orienter et initier ce processus ne démarre sérieusement, cette vague d’activisme risque de rejoindre dans les annales de l’histoire récente de la gauche les récentes manifestations contre la globalisation ou pour les droits des immigrés, alors que le néolibéralisme, indemne, poursuit son œuvre destructrice.
Un certain nombre de syndicats ont repris le flambeau de l’OWS et quelques partenariats enthousiasmants se sont ainsi développés entre les syndicats et certains secteurs du mouvement. Le Transport Workers Union – TWU local 100 [syndicat des travailleurs des transports] de la ville de New York a été un sympathisant de la première heure. Il est même allé jusqu’au tribunal pour empêcher la police d’obliger les conducteurs à transporter en prison des manifestants arrêtés. Le National Nurses United (NNU – syndicat des infirmières), un des syndicats le plus progressistes et militants, a été présent lors des occupations partout dans le pays, administrant des vaccins contre la grippe et fournissant de l’assistance médicale de base. Et les courageux manutentionnaires, organisés dans le Teamsters Local 810 – qui ont été lock-outés par la maison d’enchères Sotheby’s, un symbole fondamental du «1%» – ont démontré un niveau remarquable de solidarité avec les occupants à New York, amenant des bus entiers de personnes aux manifestations et attirant l’attention internationale.
Ces trois exemples représentent des éléments les plus dynamiques et tournés vers l’avenir d’un establishment syndical plutôt figé et qui semble toujours être sur la défensive. La meilleure chance de OWS de devenir le genre de force capable de gagner une société plus juste est de suivre les exemples dynamiques mentionnés. (Traduction A l’Encontre)
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Samir Sonti est diplômé de l’Université Cornell. Il a travaillé pour le SEIU ( Service Employees International Union). Cet article a été publié sur le site Viewpoint Magazine.