Pourquoi Intercoll?
Intercoll vise à participer à la création d’un espace ouvert où des mouvements populaires, des militants et des intellectuels contribuent à renouveler les cadres d’interprétation et de dénonciation des injustices, à toutes les échelles – locales comme globales. De tous ces efforts émerge peu à peu un nouvel « intellectuel collectif » (dans le sens de Gramsci et Bourdieu) qui cherche à dépasser les frontières entre les mouvements et les réseaux de recherche et d’éducation populaire. La proposition est de construire une dynamique d’élaboration collective qui participe au renforcement et au renouvellement du mouvement altermondialiste.
Le laboratoire espagnol
Jorge Lago
L’Espagne est en ébullition. PODEMOS préconise un nouveau projet, voire une nouvelle méthodologie pour faire aux énormes défis sociaux, économiques, environnementaux et on le sait, la marge de manœuvre est étroite. Le point fort de PODEMOS est son ancrage dans les mouvements populaires, dans le sillon du mouvement des indignés qui a su donner un sens à la révolte, politiser la souffrance et créer une nouvelle subjectivité populaire. Dans l’imaginaire actuel, le mot-clé est démocratie, une démocratie qui doit nécessairement être sociale et économique, à 1 000 lieues du système corrompu actuel. La pratique des Indignés, c’est d’agir en démocratie, pas de la demander. Tout cela exige une nouvelle manière de parler où il faut arrêter de se parler à soi-même dans le (relatif) « confort » de rester ultra-minoritaire. C’est là que s’élabore une autre « grammaire » qui cherche le point d’intersection entre la majorité sociale et le mouvement et donc de « réconcilier » le parti-mouvement avec le mouvement sans tomber dans les vieux pièges.
Les nouveaux chemins de l’altermondialisme
Pascale Dufour
Entre l’altermondialisme des années 2000 et les luttes des Indignés et Occupy, il y a des continuités, notamment sur le plan du rejet des structures organisationnelles formelles et du discours vis-à-vis de la démocratie représentative. Par ailleurs, des formes de transnationalisation, que l’on retrouve chez les Indignés et Occupy, sont basées sur la construction de solidarités entre des militants et entre des réseaux, afin de construire de nouvelles échelles de luttes par-delà les frontières nationales. Ces pratiques de transnationalisation (échanges, apprentissages, soutien mutuel, coordination d’actions mondiales) ne passent pas forcément par des revendications qui ciblent des institutions internationales. Il s’agit d’un processus en construction, basé sur un travail militant quotidien, plus que d’un mot d’ordre idéologique.
Repensez nos imaginaires
Candido Grzybowski
Après 30 ans de démocratisation au Brésil, nous avons perdu le cap. Je parle de ce qui est essentiel pour la vitalité démocratique : chercher, construire et proposer des projets de changements substantiels, se doter d’imaginaires politiques mobilisateurs fondés sur des principes éthiques et sur les valeurs communes de la démocratie. Nous voguons sur des flots déchaînés sans savoir dans quelle direction naviguer. Au fil du processus, nous avons desserré nos liens de complicité politique. Pire, nous avons laissé s’affaiblir la force mobilisatrice de nos rêves d’un avenir meilleur. Nous avons remplacé cela par un échange impersonnel sur les réseaux numériques, gagnant en rapidité et en volume de communication, mais perdant sur le plan de l’imaginaire et de la densité de réflexion, et, surtout, sur le sens de la rencontre avec un ami qu’on peut serrer dans ses bras, qui nous emplit de joie, de force et qui humanise la politique et le combat démocratique. Nous ne pouvons reporter plus longtemps ce devoir de nous réunir à nouveau. Cependant, nous réunir et débattre à nouveau implique que nous sachions aborder une réalité nouvelle. Le savoir politique et stratégique, comme tout savoir, ne se crée et ne se renouvelle que collectivement. Il s’agit d’un bien politique commun qui se développe à travers une participation engagée et réfléchie. Je pense que notre priorité actuelle est d’accorder une attention collective, respectueuse et partagée à la réflexion stratégique sur la politique. La démocratie conquise est essentiellement ce processus de construction durable d’une société juste, inclusive, participative, honnête avec elle-même – quelque chose qu’il faut réinventer en toutes circonstances.
Lénine et Occupy
Antonio Negri
Nous ne croyons plus que l’État puisse être le moteur de l’émancipation. En fin de compte, la promesse d’unifier la démocratie et le capitalisme, de même que la liberté et la souveraineté, n’a jamais pu être réalisée. Lénine, on s’en souvient a soulevé cette hypothèse il y a 100 ans. Il avait eu l’intuition qu’il fallait non seulement détruire le capitalisme, mais également détruire l’État. Cela a été un échec, mais, selon Machiavel, l’histoire humaine naît des victoires ou des défaites qui caractérisent le combat perpétuel entre les sujets politiques. Dans sa perspective, Lénine visait la destruction du pouvoir central et du noyau théologique de l’État sous toutes ses formes, avec pour objectif la réappropriation populaire de la liberté et de la richesse. C’est ce Lénine-là qui nous parle. Aujourd’hui dans le sillon de la crise qui ne fait que commencer, la nouvelle composition technique et politique des classes subordonnées et les nouvelles formes d’accumulation fragilisent le contrôle où les fractures sociales sont de moins en moins occultées. Le potentiel révolutionnaire continue de croître. Au vingtième siècle, les révolutions visaient la capture et l’utilisation de l’État (ce qu’on appelait parfois la « dictature du prolétariat »). Aujourd’hui, Occupy et les Indignados proposent de construire de nouvelles institutions dont le socle est la citoyenneté du commun. Les semences ont été mises en terre. La récolte suivra si nous travaillons bien le sol.
De l’internationalisme à l’altermondialisme
Gustave Massiah
Depuis son avènement, le Forum social s’est défini comme un espace de discussions et d’échanges permettant aux mouvements de développer une perspective de résistance à l’échelle internationale.
Les alternatives proposées au Forum Social Mondial s’opposent à un processus de mondialisation capitaliste commandé par les grandes entreprises multinationales et les gouvernements et institutions internationales au service de leurs intérêts. Elles visent à faire prévaloir, comme nouvelle étape de l’histoire du monde, une mondialisation solidaire qui respecte les droits universels de l’homme, ceux de tous les citoyens et citoyennes de toutes les nations, et l’environnement, étape soutenue par des systèmes et institutions internationaux démocratiques au service de la justice sociale, de légalité et de la souveraineté des peuples.
Le mouvement altermondialiste renouvelle plusieurs mouvements qui ont marqué les luttes sociales depuis 100 ans : le mouvement des libertés démocratiques, le mouvement ouvrier, le mouvement pour les droits économiques, sociaux et culturels, le mouvement des droits des femmes, le mouvement paysan, le mouvement de la décolonisation et des droits des peuples, le mouvement écologiste, le mouvement des peuples autochtones. Tous ces mouvements se retrouvent dans les forums sociaux mondiaux. Le mouvement altermondialiste se construit dans la convergence des mouvements autour de quelques principes, celui de la diversité et de la légitimité de toutes les luttes contre l’oppression, celui de l’orientation stratégique de l’accès aux droits pour tous et de l’égalité des droits, celui d’une nouvelle culture politique qui relie engagement individuel et collectif. Un des défis posés au mouvement altermondialiste ce sont les nouveaux mouvements ! Depuis 2011, des mouvements massifs, quasi insurrectionnels, témoignent de l’exaspération des peuples. Cette nouvelle génération expérimente de nouvelles formes d’organisation à travers la maîtrise des réseaux numériques et sociaux, l’affirmation de l’auto-organisation et de l’horizontalité. Elle recherche des manières de lier l’individuel et le collectif. Les nouveaux mouvements marquent la transition entre les mouvements de contestation de la dernière phase du cycle ouvert par le néolibéralisme et les mouvements anti-systémiques de la phase à venir. L’hypothèse de travail est que les deux ensembles de mouvements vont participer à la mutation qui aboutira à la naissance des mouvements de la nouvelle période, à celle qui succèdera à la crise du néolibéralisme dont les issues ne sont pas encore déterminées.
Alter Chine
Pierre Beaudet
La Chine est un des moteurs du développement capitaliste dans le monde actuel. Ce capitalisme made in China est « organisé » par le Parti communiste chinois en symbiose avec l’appareil d’état et une nouvelle bourgeoisie privée qui accapare la plus grosse partie des revenus. Devant cette situation, les conflits de travail se multiplient. Difficiles à comptabiliser, des grèves éclatent à tout bout de champ. Selon le chercheur Minqi Li, ce sont des mouvements très locaux où le rapport de forces est souvent en faveur des ouvriers. L’économie chinoise chauffe encore à bloc, il faut que la production sorte. Par ailleurs, le gouvernement tente de rééquilibrer les choses au niveau macro-économique en favorisant l’extension du marché interne, ce qui veut dire que l’augmentation des salaires peut contribuer au développement économique. Mais ces facteurs n’expliquent pas tout. Une nouvelle génération de leaders ouvriers, pour la plupart jeunes et éduqués, arrive dans le décor. Ils sont souvent bien branchés et informés, alimentés par des sites internet dissidents comme le China Labour News, une ONG basé à Hong Kong, et qui dispose de tout un réseau de correspondants dans le sud de la Chine. Dans cette effervescence, un nouvel intérêt apparaît en Chine autour des idées et des pratiques de l’altermondialisme. Selon le militant Shenjing Lin, les mouvements chinois sont en train d’établir une reconnexion avec le reste du monde.