Bonjour tout le monde et permettez-nous de vous souhaiter la plus chaleureuse des bienvenues à cette première édition des journées Michel-Chartrand.
Première édition? Oui. Autant vous le dire tout de suite: nous avons l’intention de récidiver et ce, chaque année. Parce que nous sommes convaincus que la gauche au Québec a besoin de multiplier les lieux, les espaces, les publications pour réfléchir, discuter afin de mieux lutter dans ce monde dominé par le prêt à penser idéologique, les idées reçues, particulièrement dans le secteur des conditions de vie et de travail, ce que nous appelons les classes populaires et les classes moyennes.
par François Cyr et Manon Blanchard
Voilà pourquoi nous avons choisi pour ce premier colloque de nous
intéresser à l’évolution des classes populaires et des classes moyennes dans
un contexte de mondialisation où le rôle d’intervention de l’État est
radicalement remis en question par l’omniprésence des politiques
néolibérales. Ainsi, on oublie que dans cette période qui va de 1945 au
milieu des années 1970, la majorité des emplois créés dans les pays du nord
(à l’exception du Japon) l’ont été suite à l’expansion des secteurs publics
et parapublics. Cet âge d’or des classes moyennes syndiquées est-il derrière
nous alors que partout il n’est question que de précarisation du travail, de
privatisation, de partenariat avec le privé lorsque ce n’est pas de
fermeture pour fin de relocalisation dans des pays où le coût de la main
d’oeuvre est inférieur au nôtre?
Derrière nous cette image d’une classe moyenne laborieuse, économe et
prospère paisiblement installée dans son bungalow de banlieue alors qu’on
parle de plus en plus d’endettement lourd, de travail précaire mais aussi
d’écart croissant entre les revenus alors que les politiques fiscales
n’arrivent plus à prélever sa juste part chez les plus riches,
particulièrement les grandes entreprises. Selon la Chaire socio-économique
de l’UQAM, les entreprises au Québec paient 42 % moins d’impôt qu’il y a 40
ans alors que leurs bénéfices a triplé. Plus concrètement, en 1964, le
gouvernement québécois percevait 62 % de ses recettes fiscales chez les
particuliers, contre 38 % auprès des compagnies. En 2004, c’est 88 % des
revenus fiscaux qui proviennent des individus, contre un maigre 12 % pour
les entreprises.
Elle est loin derrière nous cette image où le labeur menait à la sécurité
dans une Amérique où l’économie, c’est-à-dire en dernière analyse le travail,
se traduit désormais par les spéculations des traders du capital financier
forçant ainsi 1,300,000 ménages américains en 2007 à rendre leur modeste
propriété aux banques. Il ternit beaucoup ce mythe où le surtravail acharné
menait au confort, voir au succès pour les nôtres alors qu’on sait qu’une
part importante des nouveaux salariés, surtout les jeunes précaires, vivent
une situation d’appauvrissement pendant que leurs aînés, ces retraités gras
durs voient leur rente de retraite rognée par l’inflation, parce que
partiellement indexée.
En vérité, les écarts se creusent et quelquefois de façon vertigineuse.
Qu’on en juge. Les 100 patrons les mieux rémunérés au Canada doivent
consacrer 9 heures et 33 minutes de dur labeur pour gagner le salaire annuel
moyen du salarié au Canada soit $38,998.
Tous les indicateurs le confirment: l’écart entre les revenus moyens et
celui des patrons les plus riches ne cesse de s’accroître. En 1998, le
revenu moyen des patrons les plus riches dépassaient de 104 fois le salaire
moyen au Canada. En 2006, on parle d’un écart 218 fois plus élevé.
Un dernier chiffre. De 1998 à 2006, nos salaires moyens augmentaient de 18%.
Ceux des patrons de 146%. Ces chiffres nous font mesurer l’ importance
décisive du rôle de l’État, d’un État outillé d’une politique fiscale
efficace et progressiste pour que tous contribuent véritablement en fonction
de leurs moyens.
Vous aurez compris que nous sommes de ceux qui croyons qu’il faut nommer un
chat un chat et qu’il est peut-être temps de remettre à l’ordre du jour des
analyses et des constats où on prend en compte les différents intérêts des
classes sociales afin de mieux comprendre comment fonctionne notre société.
Pendant longtemps nous avons cru que vivre et travailler fort dans un pays
qu’on dit riche, acquérir et maintenir une solide formation professionnelle,
nous garantissait une vie relativement confortable, à l’abri de
l’appauvrissement, préparant une retraite paisible et heureuse. Il y a
quarante ans, on nous parlait même de civilisation des loisirs….
Même dans nos banlieues, d’ailleurs beaucoup moins cossues qu’on le dit, on
constate que l’adhésion à cette classe moyenne, classe d’accueil plus
mythique que réelle pour beaucoup, doit être questionnée.
Ce questionnement peut conduire à plusieurs constats. D’abord, que cet âge
d’or des classes moyennes en Amérique du Nord et en Europe de l’ouest
correspond à une phase très particulière de l’histoire récente. Celle que
les économistes ont appelés les 30 glorieuses et qui va de l’après guerre au
milieu des années 70. Elle s’appuie sur de très grandes avancées de
l’État interventionniste dans les secteurs de la santé, de l’éducation et
des services sociaux. Elle s’explique aussi par une vigueur des luttes
syndicales et par une importante croissance du secteur communautaire. Ces années
correspondent aussi à une forte demande de biens de consommation mais aussi
à une surexploitation des ressources au nord et, il ne faut surtout pas
l’oublier, au sud également.
Nous sentons tous et toutes, souvent un peu confusément, que cet âge d’or
est derrière nous. La crise des régions ressources à bout de souffle parce
que surexploitées, la délocalisation des emplois dans plusieurs secteurs, la
précarisation croissante du travail et le désengagement de l’État en sont
sans doute les principales manifestations. À cela s’ajoute cette pression à
la baisse du pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires ainsi que
d’importantes brisures du filet de protection sociale comme en témoigne les
innombrables contre-réformes de l’assurance-emploi et de la sécurité du
revenu. D’où l’endettement croissant avec son cortège d’angoisse .La
récession qui s’annonce sans doute aux États-Unis ne pourra sans doute,
faute de politiques progressistes adéquates, que renforcer ces tendances
lourdes.
Ces classes moyennes qui constatent cette panne de l’ascenseur social ont
quelquefois tendance à voir dans l’État interventionniste la cause du
phénomène et adhèrent quelquefois au discours populiste ambiant sur les
baisses d’impôts, les privatisations voir l’incompétence sinon la paresse
des individus à faire leur place au soleil. Ce discours nous est distillé
quotidiennement par des médias de plus en plus concentrés et intégrés,
alimentés par de savants think thank comme l’Institut économique de
Montréal. Ce discours, vous le connaissez, il nous submerge, nous entoure et
quelquefois même nous imprègne.
Mais il y a une autre parole, trop peu audible, souvent dénigrée que nous
voulons entendre et ce colloque ne sera qu’une modeste occasion de le faire.
Ainsi, tout ce samedi sera consacré à proposer à la fois des analyses et des
témoignages afin de dresser un bref tableau de l’état des lieux.
Dimanche, nous poserons la question des pistes de solution afin de raviver
la discussion autour du nécessaire partage de la richesse, fondement de la
démocratie économique et sociale.
Avec l’accord du principal intéressé, nous avons choisi, de nommer notre
projet, et l’organisation qui le sous-tend, en hommage à celui dont la vie
est synonyme de combat pugnace pour la justice sociale, des droits du monde
ordinaire mais aussi l’indépendance de notre pays. C’est en pensant à cet
éminent montérégien que nous avons écrit dans le formulaire administratif
nécessaire à l’enregistrement de nos activités que les objets des journées
Michel Chartrand sont dédiés à:
- promouvoir et susciter l’éducation populaire dans le secteur des politiques
sociales et du monde du travail; - faire de l’éducation populaire dans le secteur des politiques sociales et
du monde du travail.
Promouvoir et faire de l’éducation populaire en politique sociale et dans le
monde du travail, Michel continue à faire ça et ce, depuis son plus jeune
âge. Souhaitons nous d’en faire autant avec la même audace et le même
courage. La même longévité aussi. Merci Monsieur Chartrand de nous inspirer
et bon colloque à toutes et tous!