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Unissons Saguenay : une gauche qui s’affirme.

Un nouveau parti politique s’affiche dans la campagne électorale à Saguenay. Entrevue avec Claude Côté, un des fondateurs et candidat actuel à la mairie de Saguenay.

Les débuts d’Unissons Saguenay

C’est l’histoire de deux gars et d’une fille qui décident, autour d’une bière, de s’engager activement pour le changement social à Saguenay. Le défi n’est pas banal dans une ville conservatrice où règne un vieux récit régional (voir article: Nouvelle campagne, vieux récit régional). Un premier évènement (août 2020), plusieurs consultations auprès de citoyen·e·s et quelques semaines de réflexion les mènent à créer le parti politique Unissons Saguenay. Un parti qui s’affirme résolument à gauche. (1) « Nous voulions mettre sur pied un véhicule politique qui se préoccuperait davantage de l’environnement, de justice sociale, de démocratie participative et de transport actif ».

Claude Côté est le candidat à la mairie pour Unissons Saguenay. Monsieur Côté a toujours milité pour le bien commun et la justice sociale. Formé en science politique et sociologie, il a été engagé dans la grève étudiante de 2012 alors qu’il était vice-président aux Affaires externes du MAGE-UQAC (association étudiante représentant l’ensemble des étudiant·e·s de l’Université du Québec à Chicoutimi). Il était responsable de la mobilisation contre la hausse des droits de scolarité sur le campus de Chicoutimi. Par la suite, il a occupé des emplois dans différents syndicats. Il poursuit actuellement une maîtrise en sociologie sur le renouveau syndical. Après plusieurs années comme résident de Montréal, Claude Côté revient à Saguenay. « J’avais l’impression de revenir en 1985. Traverser une rue est dangeureux pour ta vie et il n’y a même pas de collecte de matière compostable, c’est une aberration quand tu sais que Saint-Ludger-de Milot en a une ! Montréal a des défauts mais j’y sentais davantage un sens commun qu’ici à Saguenay ».

Conscient de la crise climatique, il voit toutes les actions possibles à réaliser à Saguenay. Il s’intéresse de près au dossier de GNL et ses observations ont influencé sa décision. « C’était incroyable! Les élu·e·s étaient ni pour ni contre, mais ils appuyaient toutes les motions suceptibles d’aider le projet GNL. Quand Promotion Saguenay a financé la campagne Je crois en ma région en appui aux grands projets, et qu’il présentait ça comme un mouvement citoyen, j’ai trouvé que c’était grave. Promotion Saguenay a fait de la petite politique avec notre argent ».

Un parti politique de gauche

Le défi d’Unissons Saguenay est double. Dans l’espace public saguenéen, les partis politiques municipaux sont perçus négativement et on leur prête plusieurs défauts dont la fameuse ligne de parti. Sans trop de détails, disons que l’arrivée des partis politiques municipaux au Saguenay a été turbulente, surtout pour l’Équipe du renouveau démocratique (ERD) qui était le parti faisant opposition à l’ex-maire Jean Tremblay. Ce dernier a mené une véritable campagne de dénigrement contre les partis politiques municipaux. Son combat pour nuire à l’ERD l’a mené, entre autres, à couper leur budget pour les empêcher de fonctionner. Une lutte qui a fini devant la cour. Finalement, l’autoritaire Jean Tremblay a formé un parti politique tout en affirmant qu’il était contre les partis (ça ne s’invente pas). C’est dans ce contexte que l’électorat saguenéen a pris contact avec les partis politiques. Il en découle aussi une survalorisation de la position comme candidat indépendant. Il serait gage de liberté politique et rempart à toute influence extérieure pouvant nuire à la meilleure prise de décision pour le bien commun. Nous savons que c’est faux puisque les facteurs de dépendances ou d’influences sont nombreux (pressions de l’électorat, des autres élu·e·s ou des lobbys, tractations internes et idéologie dominante ne sont que quelques exemples).

Bref, les fondateurs d’Unissons Saguenay n’ont pas choisi la voie facile en formant un parti politique municipal. Toutefois, Claude Côté connaît bien les avantages. « Nous avons pensé pendant plusieurs semaines. Mais pour nous, un parti politique c’est une façon de créer un mouvement en regroupant les forces. On veut assurer la survie des idées. Avec ou sans élu, nous défendrons le contenu de notre programme au cours des prochaines années. On voulait aussi une structure démocratique qui perdurera dans le temps ». Il ne faut pas négliger les avantages financiers que ce soit le remboursement des dépenses ou le budget de fonctionnement obtenu après l’élection (basé sur le pourcentage de votes obtenus et le nombre d’élu·e·s). « On pourrait au moins avoir un local, actuellement ça se passe dans ma cuisine, lance-t-il en riant ». Dans le porte à porte, Claude Côté affirme qu’il ne sent pas une opposition systématique aux partis politiques, il évalue à environ 5% les commentaires sur le sujet. Selon lui, l’écho public négatif n’est peut-être pas le reflet de la réalité.

Un faible rapport de force

Le second défi d’Unissons Saguenay est de faire vivre des idées de gauche dans la vie démocratique municipale saguenéenne. Peut-on espérer que ce parti favorisera la création d’un rapport de force de gauche en réunissant les diverses forces vives? Il existe plusieurs groupes à Saguenay qui défendent le bien commun, la justice sociale, les droits et libertés, les enjeux environnementaux ou la transition écologique. Les milieux communautaires et associatifs sont assez diversifiés à cet égard. Unissons Saguenay a-t-il tenté des alliances? Monsieur Côté indique qu’il a eu des contacts mais que la démarche n’a pas permis de créer un rapport de force significatif. « Il y a un rapport de force mais il est très limité, et on ne l’utilise pas à bon escient au niveau municipal. Quand nous avons créé Unissons Saguenay, on a fait le tour du communautaire. Les gens nous disaient la même chose : ‘ ah c’est vraiment intéressant, mais je représente une organisation, je travaille avec tout le monde ’. Ils ne veulent pas être identifiés. Au final, ils ne sont pas dans l’action politique concrète. J’ai l’impression que la gauche se dit, on va rester dans nos mouvements sociaux, dans la rue, ils sortent peu et ne sont pas dans la politique. J’ai l’impression qu’ils ne sentent pas l’urgence. »

La peur

Le mot «peur» est revenu à plusieurs reprises lors de l’entrevue avec Claude Côté. Les organisations ont peur de s’identifier à un parti. Elles ont peur de perdre leur financement, peur des représailles. Lors du recrutement des candidat·e·s, des jeunes disaient craindre de perdre leur emploi ou de subir des pressions. « Le plan de départ était de présenter des jeunes de moins de 35 ans et c’est tout un défi. Il y a vraiment un problème avec les employeurs, et je ne sais pas jusqu’à quel point les employeurs ont eu besoin de dire quelques chose. Je pense que la peur est intégrée à Saguenay. Ça joue dur ». Le candidat à la mairie donne quelques exemples pour appuyer son propos : un jeune a refusé de se présenter parce que son employeur est en conflit avec Saguenay, il ne voulait pas être perçu comme un traitre; en entrevue d’embauche, on a dit à une candidate que son engagement politique ne cadrait pas avec la fonction, elle devait choisir entre l’emploi ou son engagement; un employeur a demandé à un candidat de ne pas indiquer son lieu de travail sur son curriculum de campagne, il ne voulait pas que l’entreprise soit identifiée, par peur de représailles. « Quand on passe des entrevues pour des emplois et qu’on nous parle de notre implication politique, ça envoie le message que l’implication c’est négatif. Quand tu es jeune, tu commences ta carrière, ça ne sort pas de ta tête. Même si l’engagement politique est protégé par des lois, les jeunes ne veulent pas gérer ce type de problème, alors ils ne se présentent pas.» Malgré cela, le parti a réussi à présenter un candidat à la mairie, huit candidat·e·s de moins de 35 ans au poste de conseiller dont six femmes.

Le 7 novembre et après

Claude Côté espère qu’Unissons Saguenay récoltera 5% des votes à la mairie et fera élire au moins une personne. Lors du dernier sondage, le candidat à la mairie avait 2,7% des intentions de vote. Sa décision de se présenter à la mairie était excellente car il a pu participer aux débats et s’assurer une certaine couverture médiatique. Il est évident que la vision et les propositions d’Unissons Saguenay sont différentes de celles des cinq autres candidat·e·s, ne serait-ce que sur les enjeux environnementaux et la crise climatique. Mais cette différence est parfaitement assumée par les candidat·e·s qui ne cachent pas leurs intentions. On peut dire qu’Unissons Saguenay est un parti de gauche qui s’assume. Dans une ville qui sort d’un débat polarisant sur le projet GNL, et qui hésite à prendre le virage qui s’impose, il faut une dose de courage. Face à cela, on peut se désoler de la frilosité des forces vives de gauche qui, elles, sont normalement plus concientes des enjeux environnementaux, de la montée des inégalités et des diverses attaques faites à la démocratie locale. Si on peut comprendre la peur et le choix de garder une certaine distance face aux partis, il devient de plus en plus inquiétant, face à l’urgence d’agir, d’observer le repli des groupes dans leurs champs respectifs. Des forces s’agitent un peu partout au Québec pour brasser la démocratie municipale et pour imposer une transition écologique. On ne peut que souhaiter l’arrivée d’un mouvement qui fera véritablement contrepoids à l’inertie actuelle.

Isabel Brochu


(1) Dans ce texte, la gauche ne signifie pas autre chose que de promouvoir et défendre l’égalité, la justice sociale et le bien commun. Évidemment, dans le contexte actuel, elle se porte à la défense de l’environnement et des changements climatiques.

 

 

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