t’en souviens-tu, Godin
qu’il faut rêver aujourd’hui
pour savoir ce qu’on fera demain ?
En ce jour de la St-Jean 2012, au lendemain d’un printemps québécois à nul autre pareil, alors que le traditionnel défilé de la St-Jean découvre un nouveau géant aux couleurs de Michel Chartrand, il apparaît de mise de rappeler à notre mémoire la poésie de Gérald Godin, cet autre géant de notre village d’Astérix. Le poète et le militant de l’indépendance et du socialisme. Le fondateur et directeur de la revue Parti-Pris. Le poète emprisonné en Octobre ’70. Le poète directeur de l’information de Québec-Presse. Le poète qui a osé se mettre les mains dans le cambouis de l’action politique partisane. Le poète député de Mercier qui n’a jamais hésité à questionner le député. Le poète qui a osé congédier son député, au nom de principes, d’espoir et de rêve.
Voici deux poèmes de Gérald Godin qui témoignent de deux époques dans cette quête de l’indépendance et du socialisme, l’un de 1983, au lendemain de la défaite référendaire, et l’autre de 1993, à l’aube du virage néo-libéral qui s’amorçait au PQ et qui allait porter Lucien Bouchard au pouvoir.
Portraits de mes amis
C’était une génération
de produits hautement inflammables
hommes d’amadou hommes d’attisée
hommes en fagots
qui ne demandent qu’à brûler
abandonnés parfois pour une fin de semaine
on entend crépiter leur coeur
sur les tables de chez Harry
ils se consumaient d’amour
en d’interminables incendies
ils n’avaient plus de larmes
ils n’avaient plus de hargne
ils n’avaient plus que les sursauts
de leurs années en lambeaux
pour tout coeur souvent
ils n’avaient que braises
et pour tout souvenir
que cendres
mais ils sont prêts à tout recommencer
dès la prochaine poudrée
Gérald Godin
Sarzènes, Écrits des Forges, 1983, 55 p.
T’en souviens-tu, Godin ?
T’en souviens-tu, Godin
astheure que t’es député
t’en souviens-tu
de l’homme qui frissonne
qui attend l’autobus du petit matin
après son chiffre de nuit
t’en souviens-tu des mal pris
qui sont sul’bien-être
de celui qui couche dans la neige
des trop vieux pour travailler
qui sont trop jeunes pour la pension
des mille métiers mille misères
l’amiantosé le cotonisé
le byssinosé le silicosé
celui qui tousse sa journée
celui qui crache sa vie
celui qui s’arrache les poumons
celui qui râle dans sa cuisine
celui qui se plogue sur sa bonbonne d’oxygène
il n’attend rien d’autre
que l’bon dieu vienne le chercher
t’en souviens-tu
des pousseurs de moppes
des ramasseurs d’urine
dans les hôpitaux
ceux qui ont deux jobbes
une pour la nuitte
une pour le jour
pour arriver à se bûcher
une paie comme du monde
t’en souviens-tu, Godin
qu’il faut rêver aujourd’hui
pour savoir ce qu’on fera demain?
Gérald Godin
Les botterlots, Montréal, L’Hexagone, 1993, 80 p.