Nancy Giampaolo, 19 février 2021, Perfil
https://www.perfil.com/noticias/cultura/los-subsidios-no-son-la-respuesta-la-respuesta-es-restructurar-la-economia.phtml
Nancy Fraser dans cet entretien sur l’avancée néolibérale sous des formes apparemment de gauche et sur les défis des minorités de ne pas être complètement absorbés par le marché.
Pouvez-vous expliquer brièvement ce que signifie votre fameuse expression «néolibéralisme progressiste»?
Le néolibéralisme progressif est une expression que j’ai inventée parce que je voulais nommer et expliquer un phénomène qui me déroutait par ailleurs. Aux États-Unis, le Parti démocrate s’est consacré au cours des dernières décennies à développer une politique économique néolibérale en faveur des riches et des grandes entreprises qui a abaissé le niveau de vie, je dirais, des deux tiers de la population, affectant gravement les classes populaires. Les dirigeants de cette débâcle se sont présentés comme pro-féministes, pro-LGBTIQ, antiracistes, pro-immigrés. Une partie du Parti démocrate avait établi une alliance organique avec Wall Street, la Silicon Valley et Hollywood, qui constituent les plus grandes entreprises de notre pays. Et d’autre part, et avec des mouvements sociaux apparemment progressiste. Pour protéger les intérêts de ces entreprises, la destruction des syndicats et la baisse des salaires ont été promus et le discours progressiste a été utilisé pour lui donner une sorte de légitimité. À partir des élections de 2016, cela est devenu problématique. Je pense que la classe ouvrière a commencé à penser que le féminisme, l’antiracisme, les droits LGBTIQ ou le multiculturalisme sont des idées promues par l’élite contre la classe moyenne, moyenne inférieure et ouvrière.
Nommer cette alliance m’a aidé à comprendre comment l’univers politique était structuré. En fin de compte, nous avons eu un néolibéralisme progressiste et un néolibéralisme réactionnaire. Mais nous n’avions pas d’autre alternative que l’anti-néolibéralisme. À un moment donné, j’ai écrit que c’était périlleux d’être embourbé dans des politiques économiques anti-classe ouvrière. Fait à noter, et Donald Trump et Bernie Sanders, l’un à droite et l’autre à gauche, ont misé sur la colère populaire, exprimant ainsi deux formes du populisme, un populisme de droite et un populisme de gauche. La question aujourd’hui est: allons-nous assister – avec le triomphe de Joe Biden – à une renaissance du néolibéralisme progressiste?
Il y a deux décennies, vous critiquiez la dynamique par laquelle les femmes pauvres qui recevaient des subventions de l’État finissaient par être complètement dépendantes de l’État.
A cette époque, quand Bill Clinton était président, les Etats-Unis vivaient une néolibéralisation de leur système de protection sociale. Pour réduire les dépenses de l’Etat, le droit d’obtenir des subventions était aboli. Maintenant, il se passe quelque chose d’intéressant à cause de la pandémie: beaucoup de gens sont au chômage, beaucoup de gens se tournent vers l’assurance alimentaire publique parce qu’ils n’ont littéralement rien à manger, quelque chose qui dans un pays aussi riche que le nôtre est fou. Face à cela, Biden est en train de créer un projet de loi pour donner à ces gens plus d’argent, plus de temps d’assurance-chômage, etc. Ce que je suggère, c’est que, dans une société avec beaucoup d’inégalités, les subventions ne sont pas la réponse, la réponse est de restructurer l’économie pour qu’elle devienne plus égalitaire.
En Argentine, nous avons la figure légale du «fémicide». Comment ce problème est-il traité dans votre pays?
Nous n’avons rien de comparable aux États-Unis, mais nous avons ce qu’on appelle un «crime de haine» qui n’est pas nécessairement un crime contre une femme. Cela peut être contre une personne de couleur, gay, lesbienne, trans, ou queer; Si quelqu’un est agressé ou tué sur la base du racisme, du sexisme ou de la misogynie, une peine d’emprisonnement supplémentaire est ajoutée. Il y a des gens qui pensent que l’ajout d’une pénalité supplémentaire est problématique, mais je ne suis pas catégoriquement contre. Cependant, il ne me semble pas que ce n’est pas parce que le meurtrier est un homme que nous sommes confrontés à un crime de haine. Si un meurtre est une expression de misogynie, je dirais oui, Mais il me semble qu’il faut toujours trouver une justification qui ait du sens pour donner à une personne plus de temps d’emprisonnement. De plus, d’autres questions se posent: le fait qu’un homme tue une femme est une très mauvaise chose, mais est-ce vraiment pire que si une personne blanche tue une personne noire? Tous les meurtres ne sont pas des crimes haineux. Je ne dirais pas que tous les cas où un homme tue une femme le sont. Cela nécessite un procès avec preuves et un juge compétent.
Pour conclure, quelle est votre opinion sur Black Lives Matter ?
C’est une nouvelle vague d’ antiracisme militant. Je pense que le fait qu’il ait fallu si longtemps pour qu’un tel mouvement émerge est une autre indication de la démoralisation des gens aux États-Unis, parce que le racisme est un problème de longue date et profondément enraciné. Les militants contre cela peuvent être bons tant que ce militantisme ne passe pas par la démolition de statues ou ne s’occupe pas du strictement symbolique. Le défi est d’approfondir l’étude du racisme, de le comprendre à la lumière de facteurs concrets et de rechercher des solutions tout aussi concrètes.