Salut Falardeau !

Le mois dernier tous les Elvis Graton du Québec, ceux de la grosse presse comme ceux du gouvernement, ont rivalisé de servilité et de bons sentiments pour dénigrer une initiative citoyenne, une prise de parole tout en mémoire sur les plaines d’Abraham.

La mémoire. Source de tous les maux, puisque porteuse de ce nationalisme dit de ressentiment qui alimenterait seul le projet indépendantiste, ces passéistes qui vivent à l’heure de Wolfe et Montcalm et refusent de mesurer notre progrès dans le cadre canadien.

La mémoire. Celle que l’on refuse d’enseigner dans nos écoles, englués que nous sommes dans cette chape de velours tissée de rectitude politique

Comme il nous manquera, ce sacré Falardeau. Voilà pourquoi, toutes élites confondues, on aimait tant le haïr. Non pas pour la verdeur de son propos, ni en raison du caractère souvent suranné de ses analyses. On haïssait Falardeau d’abord parce qu’il s’était assigné un devoir de mémoire. Il parlait souvent de la conquête et tournait de grands films sur février 1839 et octobre 70. Il parlait de nos défaites, or il ne faut pas parler de cela. C’est du ressentiment. Dans mon enfance, on enseignait et on chantait que notre histoire est une épopée (tout en soutane), maintenant  tout doit être aussi lisse qu’un visage botoxé. On n’aimait pas Falardeau aussi parce qu’il avait le beau visage d’une gueule cassé. Comme celui des boxeurs, des prisonniers de Bingo à qui il aimait donner la parole. Pas très bien vu dans une société où l’on vénère l’excellence, la réussite surtout dans le merveilleux monde des affaires.

Évidemment, il ne faisait pas dans la dentelle. Son a priori politique ? Nous sommes toujours une colonie et colonisés sont ceux et celles qui refusent le projet d’indépendance. Mais peut-être que les choses sont un peu plus compliquées dans ce Québec qui n’est déjà plus une colonie et pas encore un pays souverain. C’est sans doute un espace politique dominé par l’État canadien où vit une nation dont l’existence n’est pas reconnue. D’où sa précarité et la frilosité qui va avec, y compris quelquefois dans nos têtes. Peut-être reste-t-il un brin d’Elvis Graton en chacun de nous sinon comment expliquer que nous tolérons gentiment d’être (symboliquement) représentés par un lieutenant-gouverneur dont la prédécesseur  vient de se faire prendre les deux mains dans le sac de chips. « À bas la clique du château », disaient les patriotes. Chouette idée d’en profiter pour se débarrasser de cette humiliante et coûteuse fonction. Évidemment, personne n’osera.

Son analyse l’a souvent conduit à stigmatiser durement et quelquefois injustement la gauche politique du Québec coupable à ses yeux de mettre de coté la question nationale.

Il ne fait aucun doute que des courants importants quelquefois majoritaires de la gauche ont souvent, au nom des impératifs de démarcation avec le PQ, jeté le bébé avec l’eau du bain. Certains ont même déserté le combat linguistique au nom des droits individuels enchâssés dans la charte canadienne. C’est au nom de l’unité canadienne qu’il faut maintenir face à Washington que d’autres ont refusé d’appuyer le camp du OUI aux référendums de 1980 et 1995.

Cependant, Falardeau a toujours adhéré à cet étapisme qui consiste à refuser l’expression politique autonome de la gauche au nom de la lutte pour l’indépendance. Hors du PQ, point de salut. Voilà notre principal désaccord avec lui et tant d’autres qui espèrent toujours que ce parti sera celui de l’indépendance et non de la gouvernance provinciale.

Il y a des hommages dont on pourrait se passer. Ceux qui, au lendemain de sa mort, nous expliquent qu’il faut dissocier la grande oeuvre du cinéaste québécois de l’autre Falardeau. Le méchant polémiste indépendantiste. Et si la meilleure façon de lui rendre hommage était de refuser cette dissociation et de conserver intacte l’unicité du militant et du créateur. Ceci expliquant cela.

François Cyr

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