Le phénomène populiste a été largement décrit et étudié en Amérique latine. On a souvent affirmé que les leaders populistes étaient propres aux cultures et traditions latines, mais voilà que le monde et les États-Unis en particulier découvrent qu’ils sont surtout le propre d’un contexte, de certaines conditions sociales qui le favorisent. C’est la société elle-même qui rend légitime et accepte le leader populiste, ainsi que son excentricité et son éthique douteuse. Les autoritarismes sont une construction sociale.
Une stratégie politique
S’il est vrai que les attaques contre la presse sont apparues au cours de la campagne électorale, le nouveau président américain a très tôt mis en évidence une approche populiste semblable à ce que nous connaissons en Amérique latine. Pour les populistes, la priorité est l’établissement d’un lien direct avec la population, sans la médiation des partis politiques, de leurs idéologies ou programmes. Seule compte la parole du leader.
Les médias, porteurs d’une diversité d´opinons et d’analyses basées sur les faits, peuvent rapidement devenir un obstacle à cette relation. La stratégie est alors de les contourner. D’abord, en condamnant le journalisme critique, en cherchant à lui faire perdre sa légitimité, en l’accusant de partialité et de manque d’objectivité. Ensuite, en renforçant tous les moyens de communication permettant un lien direct avec les « masses anonymes ». Pour le moment, Donald Trump privilégie l’usage de Twitter, mais peut-être arrivera-t-il à multiplier les moyens de communication directe. Par exemple, une chaîne de nouvelles telle que Fox News pourrait éventuellement relayer ses positions sans filtre critique. En Amérique latine, les présidents Chavez et Correa (Venezuela et Équateur) ont transformé des médias publics en médias « officiels ».
De cette manière, les positions officielles sont relayées, généralement de manière laconique. En effet, le message principal n’est pas, en général, le contenu informationnel, mais plutôt l’intention du dirigeant. Il s’agit d’indiquer ce que l’on prétend faire plutôt que ce que l’on fait réellement. Ce qui intéresse c’est de faire connaître la position gouvernementale et qu’elle soit diffusée largement, idéalement, sans droit de réplique.
Une autre caractéristique importante du phénomène est son intensité. Les nouvelles se succèdent chaque jour, voire plusieurs fois par jour. Cela permet d’être omniprésent dans les nouvelles et dans les conversations. Et cela transforme également les médias malgré eux. Ils multiplient les spéculations et les opinions pour tenter de dénicher la cohérence que l’on est en droit d’attendre des politiques publiques. Mais le rythme des nouvelles ne permet de conclure aucun cycle de discussion et d’analyse. Ainsi, le leader et ses positions gagnent une présence unique en son genre.
Un autre effet de ce procédé est la distraction qui découle de l’hyperactivité médiatique du leader « charismatique ». L’attention de l’opinion publique est sollicitée sans égard à l’importance relative des faits, car tout ce qu’il dit, du banal, à l’anecdotique en passant par l’invraisemblable, est sujet à nouvelle. Pendant ce temps, le gouvernement agit ou aborde des sujets transcendants sur lesquels, par contre, l’information sera parcellaire.
Vérité et messianisme
Pour le leader populiste, l’objectivité n’est pas de mise. Le but à atteindre est ce qui compte réellement. Les moyens pour l’atteindre deviennent secondaires, la réalité aussi d’ailleurs. Dans ce cadre mental, le mensonge devient un moyen comme un autre. Le leader, de toute façon, conserve sa crédibilité auprès de ses suiveurs. Sa version vaudra celle des médias critiques, voire la supplantera. L’important est ce qui « devrait être » et non « ce qui est ». Et ainsi, de fil en aiguille, la parole du leader devient vérité. « Vous êtes des dizaines de millions venus participer à ce mouvement sans précédent » disait Donal Trump le jour de son investiture. Le lendemain, de manière révélatrice, son secrétaire de presse répétait que ce fut la « possession présidentielle la plus massive », tandis que le président lui-même condamnait les médias qui ne comprenaient pas le moment « transcendant », le « tournant historique » qu’il venait d’inaugurer. Après la condamnation, le boycott ? La presse, laisse-t-il entendre, tourne le dos au peuple et à l’histoire. C’est une guerre annoncée.
Les populistes se considèrent porteurs de ces tournants historiques, il y aurait un avant et un après eux dans « l’Histoire ». Les populistes assument l’idée qu’ils sont porteurs d’une mission quasiment messianique. Trump semble maintenant imbu et convaincu de ce qui n’était qu’un slogan. Le slogan deviendra vérité : Make America Great Again.
Le propre des populismes est, d’ailleurs, la construction d’un lien identitaire entre le leader et le peuple. Le mépris des oligarchies, boucs émissaires du malheur des exclus, est un instrument de lien identitaire. Cela crée un rapprochement avec ce que ressent la population. Leader et population sont alors d’accord sur « qui sont les méchants ». Le leader populiste est alors la personne forte, presque téméraire, qui va lutter contre ce pouvoir occulte. Le fait qu’il fasse lui-même partie de l’oligarchie qu’il condamne ne semble pas empêcher le millionnaire Trump d’incarner, littéralement, le rejet des élites corrompues.
Ainsi, de l’espoir que le président américain a fait naître surgit également une forme de déni. On ferme les yeux sur les contradictions, car il s’est opéré un renversement de signification de la réalité : nous sommes passés du « je vous comprends et je suis indigné par vos problèmes » au « nous savons tous qui sont les coupables et nous allons agir ensemble ». On pivote du « vous êtes moi » au « je suis vous ». Comme il l’a dit lui-même lors de son investiture : « ça va permettre au peuple de redevenir dirigeant de la nation ». Cette identification avec le peuple est une source de pouvoir exceptionnelle.
La polarisation avec la presse trouve son utilité précisément dans le fait que cela permet au leader de démontrer, quotidiennement, qu’il y a des opposants. Chaque jour, il faut les combattre, car ils ne comprennent pas qu’ils font du mal au peuple.
Un pouvoir personnel au-dessus de tout et tous
Le leader populiste se situe au-dessus de la mêlée. Il est d’abord, comme Trump, un outsider de la politique ou des partis. Ses façons excentriques renforcent l’idée qu’il n’est pas comme les autres : il est exceptionnel ! Tout se centre sur sa personne, aucune institution n’est nécessaire pour valider son action ou sa parole, surtout pas un parti politique. Cette légitimité exceptionnelle ne provient pas que de la « victoire » électorale, mais aussi du fait qu’il arrive au pouvoir sans programme. Il a les mains libres et peut faire n’importe quoi. Personne n’ose aujourd’hui contrecarrer Trump, d’autant plus qu’il est jugé « incontrôlable ».
Les populistes passent par-dessus les lois et les institutions, ce qui annonce bien des problèmes dans le système très institutionnalisé des États-Unis. Le gendre de Trump ne devrait pas avoir le poste qu’il occupe à la Maison-Blanche ? Pas grave, on a interprété la loi en conséquence. On ne peut transformer le « Obamacare » que par une loi ? Pas grave, on commence tout de même par décret. Ce n’est qu’un début. Pour garder le pouvoir de sa parole, le leader doit remplir ses promesses dès le commencement, par décret s’il le faut.
Ce n’est pas que le leader, c’est la société
Ces phénomènes populistes ne se produisent pas n’importe quand. Il ne suffit pas non plus qu’il y ait un illuminé quelconque pour que les gens le suivent. Il faut un contexte socioéconomique et politique qui rende acceptables et légitimes les postures de rédemption. En Amérique latine cela arrive plus fréquemment parce que, justement, il y a une forte inégalité sociale. Mais il y a également une condition particulière : des laissés-pour-compte qui ont conscience de leurs droits. En cela, le contexte étatsunien est semblable. Les électeurs et les suiveurs de Trump sont des mécontents du système qui veulent régler leurs comptes par l’intermédiaire d’un sauveur.
Est-ce un phénomène passager ? Qui sait, compte tenu des cycles rapprochés de changement des conditions de vie et de travail en raison de l’évolution des technologies, peut-être que le phénomène sera moins passager qu’on ne le pense. D’ici peu, ce sera au tour de l’intelligence artificielle de mettre au chômage d’autres travailleurs, des cols blancs cette fois-ci : ils iront grossir les rangs des mécontents. Ces nouveaux laissés-pour-compte adhéreront peut-être à de nouveaux sauveurs, tandis que les actions des gouvernements renforcent ce système d’enrichissement par la modernisation technologique.
Jorge León est professeur invité en sciences politiques à l’UQAM