Quand nous réfléchissons aux évènements du 11 septembre 2001, nous retenons particulièrement les images des deux avions qui ont heurté les tours jumelles puis celles de l’effondrement du World Trade Center. Mais il y avait aussi des images provenant d’un peu partout dans le monde montrant des populations qui se réjouissaient du fait que le cœur du « monstre » ait été atteint. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis ont dominé le monde en imposant partout leur impérialisme politique, économique, et culturel, maintenant par ailleurs la population américaine inconsciente des conséquences néfastes de cette hégémonie (pauvreté, exploitation, soutien aux dictatures etc.) pour de nombreuses autres populations.
Durant les jours et les semaines qui ont suivi cet évènement, les Américains ont vécu un traumatisme qui a mis à mal leur innocence et notamment la croyance profondément ancrée chez eux que leur pays faisait du bien partout dans le monde. Ils se sont relevés très vite cependant et ont répondu à l’agression qu’ils venaient de subir, non pas par une réflexion sur les raisons pouvant expliquer cette attaque à leur endroit, mais par l’expression d’un sentiment de haine envers l’autre, particulièrement envers les Musulmans qui aux États-Unis et ailleurs dans le monde sont devenus, sans distinction, les ennemis à abattre, donnant lieu aux nouvelles « croisades » que furent les guerres en Afghanistan et en Iraq. La réponse était facile : la guerre qui règle tout pour que tout revienne à la normale.
Mais qu’en est-il dix ans plus tard ? Où en sont les réflexions et comment ont évolué les mentalités de part et d’autre ? Avons-nous compris véritablement la signification de cette journée gravée dans notre mémoire ? Sommes-nous, comme citoyens et citoyennes du monde, toujours marqués par l’ignorance et la haine de l’autre ? Reconnaissons que les événements terroristes du 11 septembre autant que la réponse que ces événements ont suscitée furent des manifestations de haine. Tout comme le furent la guerre en Bosnie avec le viol de 40 000 femmes musulmanes et le génocide au Rwanda, qui se sont déroulés dans l’indifférence de tous les gouvernements.
Avec la chute du mur de Berlin, dont nous avions été tous prisonniers, nous avons cru à une ère nouvelle. Libérés de la guerre froide, instigatrice de tous les conflits depuis 1948, nous nous sommes accrochés au message de Nelson Mandela voulant que le 21e siècle devrait être un siècle d’édification des bases d’une humanité libre. Il s’agissait en somme de se mettre collectivement à la tâche d’élaborer une nouvelle stratégie d’existence commune, une stratégie fondamentalement humaine.
Cette nouvelle stratégie passe par la mise en place d’une direction citoyenne qui rejettera toutes les solutions issues du terrorisme, sous ses formes militaires, psychologiques, économiques, et sexuelles, tel que propagées par les groupes extrémistes et trop souvent par les gouvernements eux-mêmes. L’exemple du printemps arabe est un signe on ne peut plus clair que les peuples qui luttent pour leur liberté face à des dictateurs qui exercent une forme de terrorisme totalitaire à l’égard de leurs propres peuples, désapprouvent des actions comme celles du 11 septembre. Par le sacrifice ultime de leur vies, les populations tunisiennes, égyptiennes, libyennes, syriennes et combien d’autres à venir, nous placent devant le défi de ne plus nous satisfaire, dans nos supposées démocraties, des belles paroles de nos classes politiques et économiques et de prendre plutôt exemple sur elles pour faire en sorte que le 11 septembre marque la fin de la parenthèse sur le contrôle de nos propres vies de citoyens.
Malheureusement, l’omniprésence du discours d’extrême droite aux États-Unis semble indiquer que les leçons que l’on aurait dû tirer du 11 septembre ont été refoulées sous les cris de vengeance, de méfiance et de haine. Le fait que l’Assemblée législative de l’État du Tennessee a inscrit dans une loi que l’Islam entend promouvoir la destruction nationale des États-Unis et que le candidat républicain à la présidentielle de 2012 Newt Gingrich répète que la survie de la liberté au États-Unis est menacée par la multiplication des mosquées sont des exemples parmi bien d’autres que le climat de haine ayant fait suite au 11 septembre reste bien vivant.
Mais faisant contrepoids au discours d’extrême droite qui a envahi la scène politique aux États-unis, on trouve néanmoins des initiatives citoyennes, également issues des événements du 11 septembre, qui tendent à apporter du changement dans la société américaine. Quatre jours après le 11 septembre, une dénommée Betsy Wiggins, de la ville de Syracuse dans l’état de New York, a ouvert sa maison pour échanger sur les évènements qui venaient d’avoir lieu avec une musulmane voilée. Dix ans plus tard, des musulmanes, des chrétiennes, des juives et des bouddhistes, une fois par semaine, poursuivent la discussion autour d’un souper en commun dans le salon de Betsy Wiggins. Ces rencontres ont donné lieu à une organisation qui s’appelle Women Transcending Boundaries, qui organise dans la ville de Syracuse des marches avec des arrêts devant les églises chrétiennes, les synagogues et les mosquées pour amasser des fonds destinés à des écoles pour les filles au Pakistan. De telles expériences ne font malheureusement pas la une de CNN et de FOX etc., mais il y a plusieurs initiatives similaires qui continuent à se produire.
Même dans les pays soit disant avancés, où l’on se vante d’avoir mis en place des institutions démocratiques, on observe, chez les citoyens et les citoyennes, une volonté de transparence dans la gouvernance qui se manifeste dans des luttes contre la désinformation et des actions pour que les citoyens soient partie prenante dans la prise de décision, particulièrement dans les questions qui touchent à l’environnement. À travers ces actions, qui témoignent d’une volonté d’élargissement des bases de fonctionnement de nos démocraties, nous rejoignons les luttes que mènent présentement les peuples arabes et d’autres peuples dans le monde pour l’obtention de leur propre démocratie.
Mais plutôt que d’encourager l’ouverture démocratique, la réponse de plusieurs gouvernements est de lutter contre ces mouvements populaires en cherchant notamment à limiter l’accès aux média sociaux, à bannir les blogs, à fermer les signaux d’Internet et à ainsi limiter les discussions et ultimement la liberté de parole, perpétuant de la sorte la fermeture incarnée par le 11 septembre.
Les attaques terroristes du 11 septembre et les réponses belliqueuses qui les ont suivies sont les unes comme les autres des actions anti-démocratiques et anti-citoyennes. Quelles sont les leçons que nous devons retenir de ces événements ? Il faut faire en sorte d’élargir nos horizons, de reconnaître l’autre en soi et de briser toutes les frontières qui nous empêchent de devenir véritablement des citoyens du monde.
Donald Cuccioletta
Chaire Raoul-Dandurand (UQAM)