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La réunion du G20 à Toronto reporte sine die la refonte du capitalisme

Les ONG luttant contre la fraude fiscale et militant pour l’instauration d’une taxe sur les transactions financières se disent très déçues par le sommet des pays les plus riches de la planète.

Un grand coup de frein, avant un grand retour en arrière? «Exit Keynes, Friedman est de retour», a analysé en substance l’économiste français Jean-Paul Fitoussi1 au lendemain de la rencontre des 20 pays les plus riches de la planète – le fameux G20 –, qui s’est tenue les 26 et 27 juin dernier à Toronto (Canada): «Comme d’habitude, Keynes est convoqué lorsqu’il faut sauver le capitalisme, mais tout de suite après il est abandonné au profit de Friedman.» La formule est assez belle. Le passage d’un économiste de la relance (John M. Keynes) à un autre de la rigueur (Milton Friedman) résume le changement d’orientation du G20. En 2008 et 2009, lorsque le secteur bancaire était à deux doigts de s’écrouler, les G20 de Londres et de Pittsburg avaient mis à l’ordre du jour la nécessaire régulation de la finance mondiale et la lutte contre les paradis fiscaux. Ces objectifs ont été mis de côté à Toronto. La régulation des marchés financiers attendra le prochain sommet de Séoul, en novembre.

Relance coordonnée impossible

Dans leur déclaration commune, les chefs d’Etat du G20 se sont contentés d’affirmer qu’ils étaient «résolus à prendre des mesures concertées pour soutenir la reprise2». Le contraire aurait été surprenant. Néanmoins, force est de constater qu’aucune mesure n’a été prise dans ce sens. «Un seul engagement concret a été pris: diviser par deux les déficits publics d’ici à 2013», relève Thomas Coutrot, coprésident de l’association altermondialiste Attac, de retour de Toronto. La chancelière allemande Angela Merkel s’en est ouvertement réjoui: «C’est plus que je ne l’attendais. C’est un succès!» «En l’absence de croissance, les déficits à venir seront supérieurs», lui a retorqué Timothy Geihner, le secrétaire d’Etat américain au Trésor, agitant le spectre de la Grande Dépression des années 1930 et ses cohortes de chômeurs.

«Cette retranscription au niveau du G20 du pacte de stabilité européen est l’élément le plus important du sommet», relève l’économiste français et eurodéputé socialiste Liem Hoang Ngoc. Les Etats européens – au premier rang desquels la France – se sont ralliés à la rigueur allemande, rendant ainsi impossible toute relance coordonnée des économies, comme le souhaitaient les Etats-Unis. «Il est désormais clair que l’orthodoxie monétaire de la droite allemande est hégémonique en Europe, ajoute Liem Hoang Ngoc. Les Américains ont raison de s’inquiéter.» En l’absence de réponse commune des vingt plus grandes puissances de la planète, la crise ne peut que s’accentuer. «Sans objectif commun, nous allons assister à une violente concurrence entre les membres du G20 pour la prise de parts de marché», confirme Pascal Canfin, lui aussi économiste et eurodéputé (Europe Ecologie). «Dans ces conditions, il leur sera très difficile de s’accorder sur un nouveau cadre réglementaire tirant les leçons de la crise: les Etat ne voudront pas handicaper leurs champions nationaux.»

Tout ce qui reste de l’esprit de Pittsburg et de Londres est un consensus pour une régulation minimale des banques, soit une supervision renforcée par les autorités de contrôle, d’une meilleure évaluation des risques et l’exigence d’un plus grand montant de fonds propres afin d’éviter les faillites. Pourtant, certains signes envoyés avant Toronto restaient encourageants. Ainsi, le Sommet des chefs d’Etats européens du 17 juin avait chargé les pays de l’Union européenne membres du G20 de porter l’exigence d’une taxation des transactions financières. En outre, la ministre française de l’Economie et des finances, Christine Lagarde, avait adopté un discours proche de ceux des ONG, deux jours avant la réunion internationale. Pour elle, exiger la transparence sur les produits dérivés permettait, à terme, d’espérer pouvoir les taxer afin de lutter contre le changement climatique et d’honorer les engagements pris dans le cadre des Nations Unies de diminuer la pauvreté dans le monde.

Dégonfler la bulle

«Où est passée la volonté de régulation financière?» s’interroge Maylis Labusquière, responsable du plaidoyer Financement du développement chez Oxfam France. «En matière de taxation des banques, chaque membre du G20 est libre de faire ce qu’il veut. Cela est assez effrayant car, en l’absence d’accord, il sera plus compliqué d’avancer vers une taxe sur les transactions financières.» Pourtant, une telle taxe est un enjeu crucial. Elle pourrait permettre de dégonfler la bulle financière qui s’est développée depuis trente ans et qui est la cause de la crise actuelle. Selon diverses estimations, elle pourrait aussi rapporter entre 500 et 1000 milliards de dollars par an. «De quoi développer les cultures vivrières, lutter contre le sida et scolariser tous les enfants du monde», explique Maylis Labusquière.

Il y a dix ans, les altermondialistes étaient les seuls à mettre en avant une telle taxe. Désormais, des études montrant sa faisabilité sortent un peu partout: aux Etats-Unis, en Allemagne, en Autriche, au Royaume-Uni. Même le rapport rendu par le FMI au G20 de Toronto estime qu’une telle taxe est possible (même si l’institution internationale préfère se contenter d’une taxe sur les banques). Ce mois-ci cette taxe devrait recevoir le renfort d’un rapport, que Le Courrier a pu se procurer, produit par la Task Force sur les transactions financières internationales et le développement, un groupe mis en place par la France et le Brésil.

Autre déception pour les ONG: la lutte contre les paradis fiscaux est au point mort. Le G20 a certes réitéré son intention d’appliquer des sanctions aux paradis fiscaux, mais à partir d’une liste établie par l’OCDE qui se réduit comme peau de chagrin. Elle comportait à l’origine plusieurs dizaines de paradis fiscaux, mais ceux-ci avaient la possibilité d’en sortir à condition de signer des accords de coopération, y compris avec d’autres paradis fiscaux. «La liste ne comprend plus que quatorze Etats. Et encore, les Iles Cook et le Sultanat de Brunei devraient en sortir prochainement. Ils ne restent que quelques confettis représentant 0,2% de la finance offshore alors que les multinationales représentent les deux tiers de la fraude fiscale globale», remarque Jean Merckaert, du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD). Cette liste est en effet très limitée pour des raisons politiques: l’absence de Londres, de l’Etat américain du Delaware ou encore de Hong-Kong et du Luxembourg, par exemple, s’explique par leur proximité avec les Etats du G20.

Un changement d’optique

Les ONG comme Oxfam ou le CCFD plaident pour que le G20 change d’optique: il faudrait obliger les banques à déclarer où elles dirigent les flux en provenance de leurs clients et contraindre les multinationales à communiquer exactement ce qu’elles produisent, échangent et encaissent dans chaque pays. La fraude fiscale est un enjeu important pour le développement. «Les ONG et certaines agences de l’ONU étudient son impact sur les pays du tiers monde. Il apparaît que ce sont eux qui paient le plus lourd tribut», explique Dereje Alemayehu, responsable au sein de Christian Aid Kenya. La fraude fiscale représente, en effet, dix fois l’aide publique au développement. I

Note

1. Le Sept Neuf, France Inter, 28.06.10

2. Déclaration du Sommet du G-20 à Toronto

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