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La lutte du Comité d’action de Parc-Extension

Ruby Irene Pratka, Ricochet, 19 AVRIL 2021

 

Des histoires d’horreur, Rizwan Khan en a entendues. L’étudiant de 22 ans est agent d’accueil au Comité d’action de Parc-Extension (CAPE), un organisme communautaire qui défend les droits des locataires. Adolescent, il vivait dans un complexe où le chauffage a fait défaut pendant plusieurs semaines, en plein hiver. «Les locataires ont appelé la compagnie et ils n’ont rien fait. La Ville a enfin appelé et ç’a été réparé. Mais beaucoup de propriétaires s’en foutent.»

L’expérience a motivé sa décision d’étudier en droit et de s’impliquer au CAPE. Maîtrisant le français, l’anglais et l’ourdou, il appuie des locataires lors des disputes avec leurs propriétaires, avec l’Office municipal d’habitation de Montréal (qui gère les logements HLM de la ville) ou avec le Tribunal administratif du logement (TAL).

Parc-Extension est l’un des quartiers les plus métissés de Montréal. «Les gens viennent ici de partout dans le monde,» dit Rizwan Khan, originaire du quartier. «Nous avons des communautés bangladaise, pakistanaise, indienne, grecque et j’en passe. C’est près de tout et c’est abordable. Or, maintenant, ça l’est de moins en moins.»

Selon M. Khan et ses collègues, l’arrivée du Campus MIL de l’Université de Montréal en 2018 et la spéculation immobilière ont exacerbé un contexte déjà difficile. Certains propriétaires ont pris l’opportunité de faire monter radicalement les loyers, dans l’espoir de remplacer leurs locataires moins nantis, souvent peu au courant de leurs droits, avec d’autres qui paieront beaucoup plus cher.

Celia Dehouche, organisatrice communautaire au CAPE, affirme que certains loyers ont doublé dans les dernières années. «Si une personne doit quitter son logement… c’est très difficile de se reloger dans le quartier.»

Prétextes légaux

Alexandre Romano est avocat, et l’essentiel de sa pratique consiste à défendre des locataires. Il précise qu’au Québec, un propriétaire ne peut pas expulser un locataire sans raison. «En principe, les locataires ont le droit au maintien dans les lieux, mais parfois, le propriétaire trouvera un prétexte.» Il explique qu’un propriétaire peut reprendre un logement pour y habiter ou installer un membre de sa famille, ou évincer un locataire pour agrandir, subdiviser ou changer la vocation d’un logement. Les locataires qui ne contestent pas leurs avis de reprise ou d’éviction reçoivent une compensation monétaire qui est censée couvrir les frais de déménagement et, dans le cas d’une éviction, trois mois de loyer. Ceux qui les contestent se retrouvent devant le TAL.

Pour prouver le bien-fondé d’une éviction pour travaux, un propriétaire doit montrer des plans d’architecte et un permis de l’arrondissement, explique l’avocat. Dans le cas d’une reprise, «le propriétaire plaidera que son fils veut déménager dans le logement.» Dans les deux cas, c’est difficile pour le locataire de se défendre.

«Si on apprend plus tard que c’était une reprise de mauvaise foi, et que le fils ne s’est jamais installé dans le logement, on peut réclamer des dommages, mais ça ne résout pas le problème,» dit Alexandre Romano. «Le locataire perd son appartement et ce sera impossible de trouver quelque chose au même prix.»

Depuis août 2020, 21 locataires ont contacté le CAPE suite à une reprise, et 12 suite à une éviction pour travaux. Les deux dossiers étaient «très rares» avant 2018, affirme André Trépanier, responsable des droits des locataires au CAPE. «Il y a urgence d’agir, parce que ça devient dramatique. Ça représente beaucoup de stress et de déracinement pour les familles.»

Paul Napolitano loue à Parc-Extension depuis 10 ans. Il s’estime victime d’une tentative de reprise de mauvaise foi. «Les propriétaires ont dit qu’ils voulaient [notre logement] afin que leur fille puisse avoir sa propre chambre,» dit-il. «En même temps, ils ont pris une marge de crédit pour faire des travaux au sous-sol. Ils peuvent le relouer facilement pour le double de ce qu’on paie.»

  1. Napolitano a décidé de contester la reprise devant le TAL, par principe. «Même si on réussit à prouver que c’est de mauvaise foi, ils auront une amende [maximale] de 4000 $. Ils peuvent gagner 10 000 $ par année en le louant plus cher. Il faut que les pénalités soient plus dissuasives.»

En avril, il a laissé tomber sa contestation après avoir réussi à acheter un condo, en surenchère. Mais il est conscient que cette option ne s’offre pas à tous ses voisins, dans un quartier où le revenu individuel moyen annuel est autour de 23 000 $.

Moyens de pression

Pour éviter une contestation au TAL, certains propriétaires poussent des locataires à casser leurs baux de leur plein gré, en laissant le logement tomber en décrépitude ou en offrant des sommes d’argent. Depuis août 2020, 13 locataires, dont M.B., ont contacté la CAPE pour se plaindre de harcèlement de la part de leur propriétaire.

  1. B. (1) loue le même 5 ½ à Parc-Extension depuis 43 ans. Fin 2020, il a reçu un avis de non-renouvellement de bail. «Le bâtiment venait d’être vendu, et le nouveau propriétaire m’a dit qu’il voulait rénover le logement pour le louer à des étudiants,» explique-t-il en grec avec l’aide d’une interprète (2).

M.B. relate que le propriétaire l’a appelé à plusieurs reprises et fait pression sur des tiers pour qu’ils lui demandent de partir.

«Il a commencé à m’offrir de l’argent, d’abord 5000 $, ensuite 10 000 $. Il a même mentionné 20 000 $. Ce n’est pas une question d’argent. J’ai même offert de payer plus cher pour rester ici, mais il a refusé. Toute ma vie est ici. J’irais où, après 43 ans?»

Comme M. Napolitano, M.B. a contacté le CAPE. Ni l’un ni l’autre n’a fait appel aux élus locaux. «J’imagine que les politiciens sont au courant de la situation, mais je ne leur fais pas beaucoup confiance,» confie M. Napolitano. «C’est tout un système qui est contre nous.»

Solutions

À Montréal, la réglementation de l’habitation est une compétence partagée entre la Ville et les arrondissements. À Parc-Extension, la mairesse d’arrondissement, Giuliana Fumagalli, observe un «lien direct» entre l’arrivée du Campus MIL, les loyers montants et les demandes de rénovation qui affluent. Pour maîtriser la situation, l’arrondissement a restreint le droit de subdiviser un logement et interdit la construction de nouveaux condominiums. Il a également développé un formulaire avec des pictogrammes permettant aux locataires de dénoncer plus facilement l’insalubrité.

«Les locataires aimeraient qu’on ait des règles plus strictes, mais c’est complexe,» dit la mairesse. «Nous utilisons les moyens dont on dispose – l’émission des permis, les constats d’infraction, les inspections de salubrité et les règlements de zonage. Une autre chose qu’on fait, c’est identifier des terrains où on peut construire des logements sociaux.»

L’obtention de ces terrains revient à la ville-centre. Récemment, elle a utilisé son droit de préemption d’acquérir deux bâtiments, le Plaza Hutchison et le 7965 Acadie, afin d’y construire des logements sociaux. La construction en tant que telle doit être financée par Québec, et la ville attend toujours des sommes nécessaires. Selon Robert Beaudry, membre du comité exécutif responsable du logement à la Ville de Montréal, la ville a identifié 58 autres terrains à Parc-Extension où elle peut potentiellement utiliser ce droit. Il ajoute que les investissements annoncés par la ministre québécoise du Logement, Andrée Laforest, le 9 avril représentent des sommes promises depuis plusieurs années : «C’est une bonne nouvelle, mais ça n’affecte pas les nouveaux développements.»

Le quartier fait partie de la circonscription du député solidaire Andrés Fontecilla. Il voudrait que Québec investisse davantage dans le logement social et facilite l’accès au TAL pour des locataires voulant contester une expulsion. «Ce n’est qu’une infime minorité [des locataires] qui porte plainte,» estime-t-il. Il voudrait aussi voir la mise en place d’un moratoire sur les expulsions quand le taux d’inoccupation est de moins de 3 %. Entretemps, il exhorte les locataires à utiliser les recours qui leur sont disponibles : «Défendez-vous!»

Paul Napolitano espère que la construction des logements sociaux fera baisser la pression sur le marché locatif. L.B., pour sa part, est à court de solutions. «Je vais continuer à me battre, mais je commence à être fatigué. Chaque jour, je me promène dans le quartier, à la recherche d’un autre appartement, pour être moins stressé.»

(1) Le locataire utilise un pseudonyme par crainte de représailles de son propriétaire.

(2) Ricochet souhaite remercier tout l’équipe du CAPE ainsi que Mary Arvanitaki de Hellenic Community Services pour leur soutien en logistique et en traduction.

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