Le travail pour comprendre la lutte du « Printemps Québécois » est en cours. Le Centre de ressources sur la non-violence (CRNV) vient tout juste de publier un « Cahier de la non-violence » issu d’une étroite collaboration avec des étudiantes féministes militantes en lien avec la CLASSE intitulé Printemps québécois : non-violence et désobéissance civile.
L’information concernant ce document est aussi disponible, en référence au bas du texte.
De la lutte étudiante au Printemps Érable
Au printemps 2012, l‘histoire de la lutte pacifique au Québec se sera considérablement enrichie. Une retentissante victoire, bien entendu partielle, c’est le résultat de la lutte populaire pacifique pilotée par le mouvement étudiant. Le mouvement social et communautaire aura beaucoup à apprendre de ce mouvement nouveau genre.
Le 13 février 2012, les associations étudiantes du Québec s’engagent dans un mouvement de grève pour s’opposer au désir du gouvernement Charest d’augmenter de 75 % sur cinq ans les frais de scolarité dans les Universités. Le gouvernement de la province, n’étant plus en phase avec les citoyens, oublie que la population demeure fortement attachée à un système éducatif qui favorise l’accessibilité à prix abordable des études universitaires. Ce système est sans contredit une des « pierres d’assises » de l’émancipation des Québécois depuis la « Révolution tranquille ».
C’est de cette menace à l’accessibilité qu’une incroyable lutte populaire et pacifique émergera.
Actions diversifiées et créatives.
De nombreuses manifestations et occupations ont lieu et impressionnent par leur fréquence, leur créativité, leur ampleur et la diversité des moyens de lutte utilisés. On parle de centaines d’actions conduites par les militants étudiants, de membres d’associations étudiantes et de citoyens en provenance de milieux très différents.
Dans une certaine mouvance anti-mondialisation et anarchiste, quelques unes surtout avant les mobilisations de masses, tournent à l’affrontement avec les forces policières. Mais le 22 mars et le 22 avril, le « Jour de la terre », constituent sans contredit des points tournants. De gigantesques marches solidaires qui regroupent des centaines de milliers de citoyens parcourent les rues de Montréal. Les groupes de casseurs sont de plus en plus perçus comme marginaux et leurs actes de provocation, inefficaces, sont contestés.
Le mouvement de grève a le vent dans les voiles et dès le 1er mai 175 000 étudiants des associations collégiales et universitaires composent le mouvement de grève générale illimité et seront le ferment d’un vaste mouvement de lutte social qui ébranlera toutes les régions de la province. Inspirés par les principes de lutte autonome de la CLASSE, les groupes d’action, multiples, refusent d’aviser les autorités des actions, des cibles et des itinéraires. Les déplacements sont improvisés ; ce qui perturbe jour après jour le fonctionnement de la métropole du Québec, la ville de Montréal.
Intransigeance et judiciarisation.
Malgré la croissance rapide du mouvement et les pressions continues de la rue, le premier ministre Charest campe dans une position d’intransigeance et refuse même de rencontrer les dirigeants étudiants. Certains aménagements sont proposés via sa ministre, mais la ligne de la hausse des frais, « chacun doit faire sa part », est maintenue. En parallèle le gouvernement facilite et encourage une judiciarisation du conflit en incitant et facilitant le dépôt d’injonctions et de poursuite en recours collectifs d’étudiants contre les obstructions au fonctionnement des institutions d’éducation des Associations étudiantes. C’est un véritable cul de sac politique.
Au lieu d’intimider et de décourager la mobilisation, ces gestes attisent la lutte. Les manifestations se multiplient. La force politique que constitue cette mobilisation jeunesse est incontestable et mènera à un véritable dérapage démocratique du gouvernement en place.
La population est indisposée. Le gouvernement est forcé d’agir. Ce gouvernement qui termine son troisième mandat, est à un an d’une échéance électorale obligée ; et son pouvoir est miné par de nombreux scandales de corruption. La ligne dure face à la rue pourrait rallier son électorat, il joue le tout pour le tout. Malgré la forte pression qui se maintient et une exaspération des citoyens, le premier ministre Charest refuse toute concession et dépose le projet de loi 78. Adopté le 18 mai, cette loi a pour but de permettre aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau collégial et universitaire auxquels ils sont inscrits.
La loi spéciale impose d’importantes contraintes au droit de manifester, de piqueter et d’imposer les décisions prises lors des assemblées générales étudiantes. Mais surtout, cette loi prévoit des pénalités financières tellement élevées pour les associations étudiantes, qu’elle semble viser à en finir avec le droit d’association des étudiants. Cette loi lève une indignation généralisée auprès de tous les acteurs sociaux de la province.
Popularisation de la lutte.
C’est un point tournant de la lutte. Un véritable printemps québécois, un « Printemps Érable » émerge. L’intransigeance, la répression, documentée par les réseaux sociaux, et maintenant une Loi Spéciale autoritaire ; tout cela concourt, pour les mouvements sociaux déjà exaspérés par le gouvernement, à motiver le soulèvement. Et c’est la désobéissance pacifique des masses qui s’en suit.
Les manifestations deviennent quotidiennes et un véritable concert de casseroles se fait entendre dans la métropole. Ce mouvement contamine la province, est ressenti dans tout le pays. L’enjeu de la lutte étudiante commence à faire le tour de la planète. Les acteurs sociaux et une importante tranche de la population est indignée et défie en masse et quotidiennement la Loi. Les autorités policières ne sont plus ni avisées des manifestations quotidiennes ni de leur trajet. Soir après soir, les manifestations partant de la Place Émilie Gamelin en plein centre-ville sont déclarées illégales par les forces de l’ordre. Des milliers de personnes, étudiants, militants et simples citoyens indignés défient la loi que les forces policières n’osent pas mettre en application.
L’action citoyenne dorénavant agrémentée du bruit des casseroles est défiante, pacifique et massive. Dorénavant, c’est la rue contre le gouvernement.
De la rue au scrutin
La rue ne lâche pas prise.
Confiant qu’une fuite en avant lui permettrait de gagner tous ses paris, le gouvernement québécois devance sa décision de tenir des élections et décide de tenir le scrutin en été, en pleine lutte sociale. Le pari est que l’électorat du statut quo, fidèle au gouvernement, votera et permettra une réélection. On mise aussi sur le fait qu’une majorité de la population s’opposant au gouvernement sera en vacances ; et que les jeunes voulant défaire le gouvernement et qui ne votent que peu, seront difficilement mobilisables en cette période. De plus, le moindre dérapage dans la lutte sociale pourrait souder une part considérable de la population derrière le gouvernement.
Dès l’annonce de la campagne électorale, le gouvernement affiche ses couleurs c’est : « la loi et l’ordre ; contre la rue » et la conférence de presse qui lance la campagne attaque directement le leadership étudiant. Plusieurs voient en ce geste politique un pur machiavélisme ; une action politique de manipulation honteuse.
La réaction populaire à cette décision politique est tout ce qu’il y a de plus impressionnante. On entend certains appels à confronter la loi et le gouvernement sortant, en campagne électorale ; mais rien de tout ça ne se réalise. Première salve du mouvement étudiant; le porte-parole de l’association étudiante la plus radicale, la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, démissionne. Il était l’ennemi ciblé par le Premier Ministre au lancement de la campagne. Un second leader des associations étudiantes Léo Bureau-Blouin annonce sa candidature au Parti-Québécois, le parti d’opposition. Puis, Martine Desjardins de la Fédération universitaire annonce la mobilisation des jeunes pour le scrutin. Définitivement, la joute se fera dans l’arène électorale.
Par, on ne sait quelle magie ou quelle stratégie, la lutte passe clairement et instantanément de la rue aux urnes. Les unes après les autres, les assemblées générales étudiantes annoncent une trêve électorale et des assemblées suite au scrutin pour décider des moyens pour poursuivre de la lutte. Le gouvernement est dans la brume totale pour sa bataille électorale, il n’a plus d’ennemi palpable ; la rue ne risque plus de déraper et les attaques contre la violence de la rue ne porte plus.
Quelques actions d’occupation bruyante de locaux en fin reviendront mettre à l’agenda de la fin de campagne les enjeux étudiants. La campagne du gouvernement sortant ne lèvera plus !
La victoire !
Au lendemain de l’élection, la chute de ce gouvernement, très proche des intérêts financiers est brutale. Même le premier ministre Charest n’est pas élu dans sa propre circonscription. Le Parti Québécois, dont l’option souverainiste ne semble plus mobiliser autant, est élu minoritaire dans une élection avec un taux record de participation de 74 %.
Même essentiellement non-violente, une lutte sociale menace et perturbe les gens. Un véritable choc viendra ternir cette victoire de la lutte sociale, le soir du 4 septembre, la première ministre indépendantiste élue, Pauline Marois échappe par miracle à un attentat politique.
L’attentat, conduit par un anglophone perturbé par l’atmosphère de guérilla pacifique, mais acrimonieuse des derniers mois échoue de près. L’arme du dérangé, une AK-47 s’est enraillée avant d’entrer dans la salle des festivités de la victoire du nouveau gouvernement. La nouvelle première ministre annonce qu’elle annulera la hausse des frais de scolarité. Le nouveau gouvernement annonce aussi qu’il abrogera la loi spéciale. Il s’en est fallu de peu !
Léo Bureau-Blouin, ex président de l’association collégiale devient le plus jeunes député élu de l’histoire de l’Assemblée nationale du Québec. Les présidentes des fédérations étudiantes collégiale et universitaire affirment qu’avec les annonces du nouveau gouvernement le conflit est terminé. Mais l’association étudiante la plus militante la Coalition large des associations pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) veut, à ce jour, poursuivre la lutte, et vise maintenant le retour à la gratuité scolaire qui a été la base de la « Révolution tranquille » des années 60.
Une page importante de la lutte sociale québécoise vient de s’écrire, elle a démontré la force et le pouvoir d’un peuple indigné qui se mobilise et passe à l’action. Ce printemps a démontré que, contrairement aux croyances répandues, la mobilisation sociale pacifique est possible et peut mener à des gains importants.
Le contexte d’attentat raté nous rappelle aussi la fragilité de l’exercice de la lutte populaire. Le défi de ce mouvement reste par contre le même que partout ailleurs; suite à d’importants gains, comment maintenir la pression populaire pour forcer un changement en profondeur ?
Concernant l’hisoire de la lutte pacifique au Québec :
Le déroulement de la lutte non-violente du Printemps Québécois :