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Les Tunisiennes dans le printemps arabe

Le renversement de la dictature en Tunisie au début de 2011 a ouvert la voie à une grande bataille pour l’égalité et la justice. Dans cet appel, les Tunisiennes ont joué un grand rôle. Certes, la participation et les revendications des femmes étaient diverses, mais elles raisonnaient sous un seul thème soit la dignité, la liberté, la démocratie et la justice sociale.

La condition de la femme en Tunisie

Au lendemain de son indépendance, la Tunisie a constitué un terrain favorisant l’amélioration de la condition féminine. Décrété le 13 août 1956, le nouveau code du statut personnel tunisien est un texte souvent défini comme novateur ayant solidifié l’idée d’une nouvelle Tunisie plus équitable et accordant plus de droits aux femmes. À l’instar de plusieurs pays musulmans, la Tunisie a clairement indiqué (Article-18) que «la polygamie un acte criminel. De surcroît, ce nouveau code a interdit aux hommes le droit de répudiation et a institué le divorce juridique à la demande de l’un des partenaires. Cette procédure judiciaire permet ainsi à la femme de demander le divorce.

Si sur le plan juridique, la situation des femmes s’est améliorée, il n’en va pas de même sur le plan économique.. Par exemple, le chômage frappe beaucoup plus les femmes (en 2012, les femmes tunisiennes affichent un taux de 26.6% contre 14.9 % pour les hommes). Bien que les femmes sont davantage diplômées que les hommes, elles éprouvent plus de difficultés à trouver de l’emploi. Ainsi, en mai 2012 le taux de chômage des femmes de niveaux d’instructions supérieures est de 40.2% contre 15.2% pour les hommes.

Au niveau politique, la situation est encore plus problématique. rares sont les Tunisiennes qui ont accès aux postes de décisions. Toutefois, il faut souligner que les femmes occupent une grande place dans la vie associative et humanitaire. En 2007, les Tunisiennes représentent plus d’un tiers des adhérents aux 9063 associations du pays. L’activisme et le militantisme permettent aux femmes de traiter des sujets sensibles par exemple les droits humains et la violence contre les femmes.

Certes la liberté d’association est reconnue par  l’article 8 de la Constitution tunisienne (1959) qui stipule que «les libertés d’opinion, d’expression, de presse, de publication, de réunion et d’association sont garanties et exercées dans les conditions définies par la loi». Cependant ce droit de liberté d’association et d’expression est demeuré, jusqu’à la chute du régime de Ben Ali sous le contrôle d’un pouvoir exécutif omnipotent.   Par ailleurs, il est advenu que les tribunaux tunisiens aient refusé de se conformer aux traités et aux conventions internationaux ce qui entrave les droits des femmes. Les droits des femmes «demeurent insuffisants tant leur application se heurte à des résistances culturelles, sociales, économiques et politiques».

Les Tunisiennes dans la résistance

«Lorsqu’un jour le peuple veut vivre,

 force est pour le destin de répondre,

 force est pour les ténèbres de se dissiper,

 force est pour les chaînes de se briser.»

Hymne national de la Tunisie

Pour certains, Redeyf est considéré comme le lieu où commence la révolution tunisienne. En effet, tout a débuté en janvier 2008 dans cette petite ville de 30 000 habitants située au sud-est du pays, Redeyf est aussi l’un des bassins miniers riches en phosphate. Alors qu’un concours fut organisé pour travailler dans la mine de phosphate, les habitants de la ville se sont vite rendu compte qu’il eut une fraude à l’examen. Des manifestations ont été organisées  contre cette tricherie dont le but était de voler des emplois aux gens de la région.». Révoltées par la situation, des femmes se sont organisées. Plutôt que des militantes, on a trouvé dans cette mobilisation des ouvrières ou des veuves d’ouvriers, des diplômées chômeuses, des lycéennes et des mères de manifestants emprisonnées.

C’est ainsi que la population de ce bassin minier a affronté les autorités locales et les policiers de Ben Ali. Dans cette vague de protestation, les femmes ont aussi créé une association nommée Mères des martyrs  afin que les martyrs de Redeyef soient reconnus. D’autres groupes de femmes ont joué un rôle important. On pense notamment aux  bloggeuses ou cyber-activistes. Des Tunisiennes ont mis en place un système de réseau internet, dont la célèbre Lina Ben Mhenni, connu pour son blog a tunisian girl. Elle fut l’une des premières à mettre en ligne les photos et témoignages des familles des victimes du régime Ben Ali. Plus encore, Lina diffusait les discours des leaders des manifestations et mettait en avant-première les revendications des populations.

Plusieurs autres Tunisiennes ont permis cette circulation de i. Il est à noter que la plupart des bloggeurs tunisiens ont commencé leur début bien avant les manifestations 2010-2011. Sensibles à toutes les répressions exercées par le gouvernement Ben Ali, elles n’hésitaient pas à filmer et à publier les témoignages des victimes de violences et de leurs familles. Elles organisaient les manifestations sur la place publique, elles diffusaient avec vigueur l’information locale à l’échelle internationale. Sans compter toute la mobilisation des foules, l’orchestration des fuites d’informations et l’organisation des objectifs des soulèvements populaires. Pour tout dire, la révolution du Jasmin n’aurait sûrement pas eu le même impact sans l’aide, l’initiative et l’appui des femmes. Aujourd’hui Lina Ben Mheni se retrouve  membre de l’Instance nationale pour la réforme du secteur de l’information et de la communication.

Parallèlement aux cyberactivistes, il faut souligner le rôle des avocates et des syndicalistes. Parmi, les plus actives, nous retrouvons Radhia Nasraoui, avocate spécialisée dans les procès politiques. En 2003, elle a créé l’Organisation contre la torture en Tunisie pour offrir un soutien médical et juridique aux victimes. Militante pour le respect des droits humains, Radhia Nasraoui, a longtemps été obligée de vivre sous la surveillance de la police. Dès le début de la révolution, Radhia Nasraoui fut la première à défendre les droits des hommes emprisonnés, et ce malgré les différents harcèlements physiques et verbaux de la part de la police de Ben Ali.

Les défis actuels

Le présent projet de Constitution nationale est l’objet de débats, voire d’inquiétudes. Cette controverse est en bonne partie liée au fait que le parti qui domine le gouvernement, Ennahda, a une conception particulière des droits, et notamment des droits des femmes.  .

Ce parti politique qui se définit comme « islamique modéré ». (fondé en 1981), veut éviter d’inscrire dans la constitution le concept de l’égalité entre les hommes et les femmes et essaie de contourner la chose par un article (28) qui  qui énonce la « complémentarité » entre l’homme et la femme. Ce terme de complémentarité n’est pas accepté par une grande partie de la population et par les mouvements de femmes en particulier.  L’égalité est un concept simple et explicite. La complémentarité peut dire n’importe quoi et même justifier des pratiques défavorables aux femmes sous prétexte qu’elles sont « complémentaires », aux hommes, et non égales sur le plan des droits.

A l’égard de la loi, l’utilisation du terme complémentaire engage la subjectivité et permet l’ambiguïté. Pour Ennahda, les hommes et les femmes définissent par leurs rôles traditionnels et historiques dans la société islamique, rôle qui n’est ni égal, ni interchangeable. En utilisant l’ambigüité du terme complémentaire, l’opportunité est donnée au gouvernement tunisien de garder des partielles des traditions islamiques au cœur de la société tunisienne et n’encourage en aucun cas la construction d’un État Laïc.

Tout comme l’ébauche de la Constitution nationale, un autre projet loi est problématique, en l’occurrence la loi qui criminalise l’ « atteinte au sacré ». Plusieurs termes utilisés par cette loi laissent le champ libre à des ambiguïtés. L’État est ainsi défini comme le «garant de la religion» et le «protecteur du sacré». On craint dans plusieurs milieux que cette loi pourrait ramener la censure dans les médias et dans les arts et remettre en question la liberté d’expression. Un exemple évocateur illustre ces craintes. Des artistes de La Marsa, soit Nadia Jelassi et Mohamed Benslama ont été accusés d’avoir porté atteinte au sacré par leur présentation de l’exposition sur le printemps arabe en juin 2012. S’ils sont reconnus coupables, ils sont passible d’une peine allant jusqu’à 5 ans d’emprisonnement. La crainte du peuple est donc fondée en matière de déni de liberté d’expression.

Sur un autre registre, le respect des conventions internationales est fragilisé par le gouvernement actuel. Ainsi, la référence aux «droits de l’Homme universels» a été refusée par la commission chargée du préambule de la Constitution tunisienne, alors que cette référence était inscrite dans, l’ancienne Constitution. Par conséquent, le respect des conventions internationales ne serait pas une obligation pour l’État tunisien, si celui-ci jugeait qu’elles ne seraient pas conformes avec les dispositions de la constitution.

Pour ne pas conclure

Les tunisiennes ont joué un rôle primordial dans ce qu’on a appelé la révolution du Jasmin. Avant, pendant ou après le printemps arabe, que ce soit sur internet, au niveau social, politique ou juridique, les femmes se sont battues pour une autre Tunisie. Jusqu’à aujourd’hui, elles se battent pour être reconnues en tant qu’individus à part entière et non pas comme complémentaires à leurs maris. Certes, il faut retenir que la révolution tunisienne est un phénomène beaucoup trop récent pour tirer des conclusions hâtives sur l’impact de celle-ci sur les femmes dans leur société. La révolution tunisienne est-elle terminée ? Les femmes auront-elles le statut qu’elles espèrent ? Le gouvernement en place prônera-t-il la sécularisation du pays ? Plusieurs questions demeurent en suspens.

 

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