La victoire électorale d’Obama, façonnée sur la base d’un enthousiasme général pour le changement et qui apparaissait comme une nécessité, particulièrement pour les plus démunis de la société américaine, nous a fait croire en un avenir qui pourrait être radicalement différent de celui des huit années de pouvoir de George W. Bush. Ce changement devait se traduire par des mesures sociales et une nouvelle approche sur la scène internationale. Mais après neuf mois au pouvoir d’Obama, nous pouvons constater que les questionnements et les interrogations sur son action sèment le doute et commencent à effriter l’espoir. Plusieurs critiques, venant de la gauche progressiste, s’interrogent sur la volonté réelle de l’administration Obama d’instaurer une véritable coupure radicale avec les politiques internes et externes de l’administration de George W. Bush.
Les États-unis, comme pays et empire hégémonique, sont l’incarnation de la société du spectacle, entrainée par la locomotive du capitalisme et dominée par une culture vouée au matérialisme. Les États-unis sont aujourd’hui à la croisée des chemins. La crise économique et financière nous a dévoilé les failles du système, et avec la crise sociale à nos portes, nous verrons encore davantage la profondeur des faiblesses du libéralisme économique
Les derniers chiffres nous disent que 60 million de personnes n’ont plus d’assurance santé, que le tiers de la population (100 millions approximativement) est obèse, que plus de 40% d’individus dans certains États ont perdu leur maison, que plus de 40 millions d’autres ont perdu leurs fonds de pension ; de plus le chômage officiel se situe à 9.8 %. Parallèlement, en 2010, on prévoit 700 milliards pour le budget du Pentagone, tandis la que réforme de la santé se dirige vers un compromis, sans contenir de véritable option publique.
Il faut rappeler, sans pour autant faire l’apologie de l’administration Obama, que la réalité objective au moment de la prise du pouvoir était que les États-unis baignaient dans le conservatisme de toutes tendances depuis 25 ans. L’arrivé au pouvoir de Ronald Reagan a signalé la renaissance du conservatisme social, culturel et politique au sein de la Maison blanche et dans toutes les classes de la société américaine. Pour les ténors idéologiques du conservatisme comme Richard Vigery, ce fut le moment de reprendre le haut du pavé, d’enterrer le libéralisme social issu du New Deal de FDR et de déclarer la guerre culturelle afin de changer les mentalités dans toutes les sphères de la société américaine. L’arrivée au pouvoir de George W. Bush fut l’aboutissement logique de la victoire des disciples de Barry Goldwater, William F. Buckley Jr. et Irving Kristol, fondateurs du nouveau mouvement conservateur après la deuxième guerre mondiale.
Aux États-Unis il ne faut pas confondre la volonté pour le changement avec la réalité politique et économique qui contrôle les institutions politique et décisionnelles. Les bouleversements socio-politiques dont nous avons été témoins dans les années 1960 et 1970 ont leurs racines dans le New Deal de FDR. La fin de la deuxième Guerre mondiale, le début de la Guerre Froide, la guerre de Corée, les mesures de répression sous le McCarthyisme et la hantise du communisme international (Vietnam etc.) ont mis fin au New Deal de Roosevelt et stoppé la mise en oeuvre du « Fair Deal » de Truman (une démarche s’inscrivant dans le prolongement du New Deal) et détruit la « Great Society » de Lyndon Baines Johnson. En somme, vouloir changer la direction du pays par une réforme du capitalisme, comme le veut Obama, exige une démarche sur une longue période de temps.
Cette période de conservatisme social (la fin des années 1940, les années 1950 et le début des années 1960), surtout sous la présidence de Eisenhower (52-60), avait crée une effervescence dans les nouvelles générations de la classe moyenne. Le grand sociologue américain C. Wright Mills avait prédit, dans son oeuvre le plus influente auprès de cette nouvelle génération émergente, The Power Elite, la naissance d’une nouvelle bourgeoisie américaine formée d’administrateurs de grandes compagnies et de grandes maisons financières capables de diriger une nouvelle ère du capitalisme américain.
Aujourd’hui, dans la société américaine la gauche progressiste est en minorité et a peu d’influence. Il n’y a plus cette effervescence, créée justement par l’impact de Mills dans la gauche progressiste des années soixante. Cette gauche est divisée sur l’appui ou non à accorder à Obama, morcelée régionalement et sans plan d’action national.
Déjà, durant la campagne électorale, le discours des démocrates n’avait rien de radical. L’intention de l’équipe d’Obama était de réformer le système capitaliste, pour réorienter ce système vers une société post-industrielle dans laquelle les États-Unis demeuraient hégémoniques. C’est une nouvelle génération, post baby boomers, qui incarne une nouvelle vision du capitalisme, basée sur la société du savoir. Le but de l’administration Obama est de faire des États-unis la première société capitaliste ancrée dans une production post industrielle et informatisée.
Cela ne nécessite pas une brisure avec le passé mais plutôt un consensus sur certaines réformes, comme le système de santé, et une intervention ponctuelle étatique pour solidifier le système capitaliste et l’hégémonie des États-unis. C’est cela la nouvelle ère que promet Barack Obama.
Cette carte routière pour la réhabilitation du système a été avalisée par la nomination de Timothy Geitner, enfant chéri de Wall Street et ancien directeur de la Réserve Fédérale à New York, qui avait soutenu, par sa généreuse politique monétaire, la course folle à la spéculation des institutions financières comme Bear-Stearns et Lehmann Brothers etc. Cela était un message clair adressé aux spéculateurs signifiant qu’Obama n’était pas anti Wall Street et que son administration était prête à les soutenir dans leur restructuration et leur entreprise de modernisation du capital. L’État devait donc intervenir pour aider cette refonte du système et contribuer à mieux dominer les marchés du 21ième siècle. La différence avec la période de George W. Bush, c’est que Obama et ses collaborateurs ont compris que le système capitaliste, à travers la crise, lançait un appel à la restructuration, de la même façon que FDR avait compris les leçons de la crise de ’29.
En somme, sur le plan financier et bancaire, on ne note pas de rupture radicale avec l’administration Bush, mais plutôt une compréhension claire de l’envergure de la crise financière, et le besoin, face à cette crise, de se préparer pour les exigences de la mondialisation du 21ième siècle. Sous Bush, Henry Paulson avait déjà injecté des sommes pour colmater les brèches du système financier. Mais cela s’est avéré trop peu, trop tard. Obama et Geitner, au contraire de Bush et Paulson, ont saisi la vraie nature de cette crise et ont recouru à une intervention massive de l’état avec l’intention de rééquilibrer le système. C’est la seule différence entre les deux administrations.
À ce sujet, il y a un parallèle à faire entre la politique du Président Hubert Hoover (républicain) face à la chute de la bourse en 1929 et celle du démocrate Franklin Delano Roosevelt. Hoover, un disciple du capitalisme de laisser faire, un opposant féroce à l’interventionnisme étatique (c’était pour lui du socialisme), a néanmoins injecté 500 millions dans les banques pour stopper la chute de la bourse. Encore là, c’était trop peu, trop tard. Alors arrive FDR avec sa politique keynésienne (interventionnisme étatique ponctuel), qui comprend que le capitalisme, pour reprendre un nouveau souffle, doit se restructurer et ainsi sauver le système du fascisme et du communisme qui se définissaient comme des alternatives au capitalisme. Comme Obama plus tard, Roosevelt avait compris, contrairement à Hoover et Bush, que pour affronter les défis de l’avenir sur le plan mondial, il fallait rediriger le capitalisme vers une activité plus technologique (comme le nucléaire) et ainsi ancrer cette hégémonie américaine nouvellement acquise. Obama est simplement un néo-keynésien.
Bush un néolibéral : Obama un néolibéral social.
La politique sociale la plus importante dans l’agenda de l’administration d’Obama est la réforme du système de santé. Depuis des années, même à l’époque de Reagan, les Américains demandaient une réforme de la santé, une réforme du régime privé, qui coûtait et qui coûte toujours trop cher pour l’Américain moyen. Une partie du régime de santé est déjà publique. Medicaire couvre en effet en grande partie les gens à la retraite. Ce régime garantit aussi aux plus démunis comme les sans abris, les sans travail, les travailleurs au salaire minimum de même qu’ à ceux qui n’ont pas de fonds de pension, une couverture minimale assurée par des hôpitaux désignés pour recevoir ces patients. Les vétérans des forces armés disposent aussi d’un régime de santé public payé par l’État. Mais il y a un cinquième de la population (aujourd’hui 60 millions de personnes) qui n’a aucun régime d’assurance santé. Le plan proposé par Obama vise ces 60 millions à travers une option publique garantie par l’état.
Mais le but ultime de la restructuration du régime public est de créer une sorte de terrain de compétition entre le public et le privé. Cela pour forcer le privé à éventuellement baisser ses tarifs pour les assurances individuelles et familiales. En somme, l’option publique est utilisée comme un instrument, non pas pour colmater une faille énorme dans la société, mais pour provoquer une compétition et faire diminuer les tarifs des riches. Cela ressemble à l’opposition entre le public et le privé, qui est évoquée au Québec en faveur du privé qui serait la solution aux problèmes de notre système de santé public et universel. Ici, au Québec, on évoque cette opposition pour faire place au privé. Aux États-Unis, c’est pour réglementer les coups exorbitants du système, au profit des riches. Même le président Nixon en 1972 avait élaboré un plan similaire à celui d’Obama pour baisser les prix de l’assurance privée….
L’appui qu’il a obtenu de la American Medical Association (AMA) est basé sur la possibilité pour celle-ci d’avoir plus de 60 millions de nouveau clients. Bien sûr on ne peut qu’applaudir l’intention de vouloir permettre à 60 millions de citoyens d’avoir accès à une assurance maladie. Mais les raisons profondes ne sont pas que l’administration souhaite une assurance maladie universelle et étatique, ce que voudrait la gauche progressiste; il s’agit plutôt de démontrer, ce que les Républicains ne comprennent pas, que le public et le privé sont complémentaires, et que la réforme se fera essentiellement au bénéfice du privé.
D’ailleurs la raison qu’évoque l’administration Obama pour soutenir cette législation est qu’elle est d’une importance vitale pour la relance de l’économie. Avec une option publique, les économies effectuées par les clients du privé les inciteraient à consommer davantage et par le fait même à stimuler la relance économique.
Cette politique de réforme du système de santé proposée par l’administration semble au premier regard très progressiste et radicale. Mais une analyse plus en approfondie permet de constater que la mise sur pied d’une option publique dans le système de santé représente surtout une amélioration pour le système privé. Idéologiquement cette approche concorde très bien avec la position de la troisième voie, rendue à la mode par Tony Blair, et adoptée par Obama pour éviter toute forme de radicalisme de droite ou de gauche.
Obama gouverne au centre, espérant créer un consensus autour de lui dans la nation américaine. Son programme de réforme du système de santé ne puise ni à gauche (santé universelle et étatique), ni à droite (le laisser faire dans la santé), mais au centre, reposant sur une compétition loyale (sic), comme le veut en théorie l’idéologie américaine. Finalement, Obama veut retourner au libéralisme social, comme ce fut le cas sous FDR, pour démontrer que le libéralisme économique et le libéralisme philosophique peuvent se fusionner et remédier aux problèmes qui hantent la société américaine.
Bush était trop radical à droite sur le plan social, voulant que le privé se charge de tous les programmes sociaux comme des fonds de pension. Le modèle de la privatisation des fonds de pension, développé par Milton Friedman, tête d’affiche de l’école de Chicago en économie, était à l’agenda de George W. Bush dans son premier mandat. La révolte venue des retraités, des forces progressistes et de la gauche, a forcé les démocrates à combattre cette politique avec succès. Ceci fut une leçon pour Barack Obama. Une politique trop radicale, de droite ou de gauche, ne pouvait réussir dans un pays qui avait subi 25 ans de combat entre la pensée libérale et la pensée conservatrice. Ce que le peuple américain voulait, selon Obama, était un consensus au centre, nécessaire pour que l’Amérique fonctionne.
Internationalisme hégémonique par le « soft power »
Pour l’administration Obama, il est urgent de changer de cap dans la politique internationale pour maintenir l’hégémonie américaine, face à la montée de la Chine. Mais de quel changement parlons-nous? Parlons-nous de la fermeture de la prison de Guantanamo qui retarde toujours? Parlons-nous du procès de la CIA concernant la pratique de la torture qu’Obama a fait annuler? Parlons-nous de la fermeture des prisons de la CIA en Roumanie? Non, il semble que le terrorisme demeure toujours une cible principale pour les États-unis, sans que ce pays se demande pourquoi ce terrorisme continue d’exister.
L’administration annonce un retrait de l’Irak parce que cette guerre coûte trop cher. Elle a besoin de cet argent pour le sauvetage des banques. Et les sondages ont démontré que les Américains ne voyaient plus l’utilité de cette guerre. Par contre elle ne procède à aucun examen sur la justification de cette invasion, et elle annonce très tôt dans son mandat que l’Afghanistan constitue la véritable cible de sa lutte contre le terrorisme.
Maintenant Obama est confronté à la guerre en Afghanistan, où les perspectives de victoire contre les Talibans s’effritent à chaque jour. L’élection volée par Karzai, un président extrêmement impopulaire, a changé l’attitude de la population américaine vis-à-vis de cette guerre. Des sondages indiquent que 55% de la population veut un retrait immédiat de l’Afghanistan. Mais le Général McChrystal, commandant des forces sur le terrain, demande une augmentation de 40,000 hommes de troupe, avec l’espoir de gagner cette guerre. On peut voir là un retour au syndrome du Vietnam : plus de troupes, de plus en plus de troupes ! Que fera le nouveau récipiendaire du prix Nobel de la Paix?
La présence américaine va continuer en Afghanistan. L’Afghanistan est devenu pour l’empire une plaque tournante stratégique en Asie. Avec la Chine à l’est, la Russie et les républiques indépendantes comme le Kazakhstan au nord, l’Iran au sud-ouest, le Pakistan au sud avec son nouveau port de mer construit par la Chine, et la hantise que plusieurs pays en Asie (possiblement 8 avec Israël) possèdent l’arme atomique, les États-unis ont besoin de cette base géostratégique.
L’Irak, avec un gouvernement plus au moins légitime et accepté par l’ensemble de la population, constitue un appui pour les États-Unis dans la région, en plus d’être devenu une source sûre pour leurs besoins pétroliers. Mais une présence continue des États-Unis en Irak (base opérationnelle de surveillance de la CIA) constitue une menace de moins pour Israël, et fait de l’Irak un pays tampon contre l’Iran (rappelons-nous de la guerre meurtrière entre l’Irak et l’Iran). Cette relative stabilité ajoute à la stratégie américaine un autre pays qui pourrait jouer le rôle de chien de garde dans la région du golfe Persique, la corne de l’Afrique et dans une partie de l’Océan Indien. Pour les stratèges du Pentagone, l’Irak représente une mission accomplie.
Pour l’administration Obama et la politique étrangère américaine, l’Océan Indien est devenu l’endroit géostratégique le plus important pour le 21iècle. Déjà, 70% des routes de transport maritime passent par l’Océan Indien (Foreign Affaires, mai-juin, 2009). Avec l’émergence de l’Asie comme le continent du 21ième siècle, 90% des marchandises (ressources naturelles, produits finis et semi-finis) transigeront par l’Océan Indien. L’Océan Indien sera l’autoroute du 21ième siècle. Les Etats-Unis, pour maintenir leur hégémonie, doivent être là. D’où la nécessité de stabiliser l’Irak, de trouver une solution mitoyenne pour l’Afghanistan et de s’assurer que Al Quaïda ne s’élargisse pas et ne déstabilise pas la politique américaine au Pakistan.
Pour accomplir tous cela, les États-Unis ont besoin de créer des synergies (des partenariats) avec des alliés. Déjà la commande est trop grande pour une seule nation, fut-ce pour les États-Unis. C’est ce qui explique le discours multilatéral d’Obama. Premièrement il faut réintégrer la Russie (via le retrait du bouclier anti-missile en Pologne et en République Tchèque) dans une perspective stratégique et se servir de son influence traditionnelle dans l’arrière cour qu’est l’Asie. Il faut offrir aussi une main tendue aux Européens, particulièrement aux trois grandes puissances que sont la France, l’Angleterre et l’Allemagne, et consolider, à travers leur connaissance historique et diplomatique de l’Asie, cette nouvelle approche.
L’hégémonie américaine au 21ième siècle se réalisera avec le soutien des autres pays avancés, ceux qui se dirigent également vers un type de société post industrielle et du savoir. Donc la France, l’Angleterre et l’Allemagne, apparaissent comme des alliées naturelles. La Russie, pour continuer sa restructuration industrielle, a besoin des États-unis. Même si Poutine semble vouloir faire cavalier seul pour faire croire à la population Russe qu’il prépare le retour de la Grande Russie, il ne le peut pas. Les infrastructures, qui pourraient soutenir un accès à la technologie du 21ième et du 22ième siècles, demeurent très faibles présentement en Russie.
Le discours multilatéral à la Woodrow Wilson fait donc partie d’une nouvelle approche, qualifiée de « soft power ». Contrairement au « hard power » des néo conservateurs qui contrôlaient la politique étrangère de l’administration de George W. Bush, la nouvelle approche de l’administration Obama vise les mêmes buts mais avec la perspective du « soft power ».
Dans cette période de restructuration du capitalisme, qui va durer encore plusieurs années, la guerre devient contre productive. Les guerres coûtent très cher. La recherche et le développement ne sont plus basés uniquement sur le vieux complexe militaro-industriel, mais davantage sur le capitalisme environnemental (l’Éco capitalisme), la communication, la bio-techonologie, l’industrie biomédicale, etc. intégrées dans le contexte d’une société post industrielle. Sur le plan international, pour réaliser ses défis, il a besoin de partenaires. Ceci est le défi d’Obama et de son administration. Transformer le capitalisme et demeurer hégémonique.
Ce projet est-il en continuité avec celui de George W. Bush? Non, il est beaucoup plus subtil que celui de Bush. Sous un discours de changement, que la majorité des citoyens de notre planète a accueilli avec enthousiasme comme une ouverture radicale, les vraies objectifs d’Obama sont de solidifier les intérêts hégémonique de l’Amérique, de répandre les idéaux capitalistes de l’Amérique, de démontrer que la démocratie américaine demeure toujours la meilleure, mais cela avec une approche moins brutale, plus synergique et plus personnelle que celle empruntée par son prédécesseur.
Donald Cuccioletta
Université du Québec en Outaouais