Pierre Beaudet
Acteur diplomatique de peu de poids, le Canada n’a jamais joué un grand rôle en Afghanistan et de manière générale, en Asie. Dans les années 1970, lorsque les États-Unis armaient les factions islamistes contre le régime modernisateur appuyé par l’URSS, le Canada a été enrôlé par la bande par Washington dont le but était de « saigner l’Union soviétique ». L’ « aide humanitaire » affluait vers les camps de réfugiés afghans au Pakistan qui étaient dans une large mesure contrôlés par les islamistes sous la conduite ombrageuse des forces du Pakistan, un autre « grand ami » du Canada dans la région. À l’époque, ce pays était mené par des dictatures impitoyables, mais pour les États-Unis et son allié-subalterne le Canada, c’était un « allié stratégique » dans la guerre froide contre l’Union Soviétique. Des centaines de millions de dollars ont été dépensés pour soutenir cette dictature et en réalité, pour aboutir dans les poches d’un régime corrompu.
Face à la montée des islamistes
Dans les années 1980, les États-Unis ont mis le paquet pour surarmer les islamistes qui profitaient d’un régime aux abois. Des armes sophistiquées ont été livrées à ces « combattants de la liberté » comme les avaient nommés le président Roland Reagan. Et finalement l’inéluctable est arrivé avec la défaite du régime appuyé par l’URSS. Les dommages étaient immenses, mais comme on disait à Washington, ce fut une « grande victoire ». Peu de temps après, les islamistes menaient le pays au désastre dont le point culminant fut l’arrivée au pouvoir des Talibans en 1996. Hamid Karzai, le futur président de l’Afghanistan sous occupation américaine, négociait avec les Talibans au nom d’entreprises pétrolières. L’Arabie saoudite et évidemment le Pakistan, appuyaient sans limite le régime taliban. Le Canada était dans l’arrière-scène avec ses amis pakistanais.
Après le 11 septembre 2001
Les Talibans dans leur première incursion au pouvoir mirent en place un régime extrêmement répressif. Ils eurent alors la mauvaise idée d’offrir aux islamistes radicaux qui les avaient tellement appuyés dans leur montée au pouvoir des bases arrière, d’où la fulgurante poussée d’Al-Qaida. Le résultat fut les attentats du 11 septembre que les États-Unis ne pouvaient pas tolérer s’ils ne voulaient pas perdre la face. Ils ont préparé leur invasion tout en enrôlant leurs alliés-subalternes au nom d’une clause du traité de l’OTAN qui sous leur commandement embrigade l’Europe de l’Ouest et le Canada. Le premier ministre canadien de l’époque, Jean Chrétien, a embarqué dans l’aventure en deux secondes et demie. Avec le contingent militaire s’est mis en place un gros programme d’ « aide internationale » au point où Ottawa se vantait d’avoir fait de l’Afghanistan le plus gros « partenaire » de l’Agence canadienne de développement international dans le monde. Les budgets consacrés à l’aide de l’Afrique notamment ont été gelés et réduits pour financer ce programme qui devait sous l’occupation américaine « reconstruire l’Afghanistan ».
Stephen Harper et le Canada guerrier
Le gouvernement conservateur élu en 2006 a vu dans cette situation une excellente opportunité pour renforcer l’armée et faire du Canada un allié de première ligne dans la « guerre contre le terrorisme » déclenchée par les États-Unis en 2001. Des investissements militaires considérables ont été dirigés vers l’Afghanistan, pendant que les engagements traditionnels du Canada dans les forces de maintien de la paix (les « Casques bleus » de l’ONU) ont été réduits presqu’à néant. Harper se faisait le champion de ce virage en prétendant que les militaires allaient nettoyer la région de Kandahar, une des zones de combat les plus intenses entre l’armée américaine et les Talibans. Le résultat fut absolument désastreux, non seulement pour les quelques 160 soldats canadiens qui sont morts sur le terrain, mais aussi et surtout pour la destruction de toute une région où jamais les Talibans n’on pu être délogés. « L’aide à la reconstruction » est devenue une série de projets dont la plupart étaient mal pensés, mal gérés et abandonnés en cours de route (comme la très coûteuse idée de réhabiliter le grand barrage de Kandahar). À la fin de son règne, le désengagement canadien était entamé, complété plus tard par le gouvernement de Justin Trudeau, sans par ailleurs un seul mot pour expliquer ce qui avait amené à une intervention totalement insensée.
Et on continue …
Le gouvernement et Justin vont maintenant pleurer des larmes de crocodile sur les pauvres Afghans. On annonce notamment le rapatriement de quelques 20 000 Afghans qui ont travaillé pour les projets canadiens, ce qui va sans doute leur permettre de sauver leurs vies. Quant aux centaines de milliers d’autres Afghans qui essaient de fuir le pays, ils devront se débrouiller. Les négociations en cours avec les États-Unis vont permettre une transition « tranquille » à Kaboul, du moment que les Talibans, avec leurs alliés pakistanais et saoudiens, vont respecter leur engagement de ne protéger les islamistes radicaux qui voudraient déstabiliser la région. Quant aux droits des femmes et autres nobles sentiments qui avaient inspiré Justin Trudeau quand il promettait de remettre le Canada sur le devant de la scène à l’ONU, on va oublier cela.
Les prochaines étapes
Entretemps, voilà que se profile un nouveau terrain glissant alors que les États-Unis ont entrepris de ressusciter la guerre froide contre la Chine par une panoplie de moyens et d’interventions. D’emblée, le Canada s’est dit prêt à participer à cette stratégie américaine, d’où la série de conflits et de bourdes incluant l’affaire Meng Wanzhou. Parallèlement, une campagne est en cours pour condamner la Chine dans le traitement de la minorité ouïghour, En principe, on ne pourrait être contre cela, à part le fait qu’elle traduit une politique totalement malhonnête qui permet au Canada (et aux États-Unis) de passer l’éponge sur les exactions de ses « amis » israéliens, colombiens, saoudiens, là où les droits sont bafoués à grande échelle. Les gros méchants ne sont pas ceux qui violent les droits, mais ceux qui ne sont pas d’accord avec les États-Unis (dont la Chine, l’Iran, le Venezuela, etc.). En attendant. on investir des milliards de dollars dans le renforcement des capacités militaires pour que le fidèle allié-subalterne réponde « présent » dans les conflits qui s’en viennent sous l’impulsion de l’Empire puissant mais déclinant auquel l’État canadien a décidé de s’associer depuis si longtemps. On peut s’attendre à ce que les Libéraux et les Conservateurs vont essayer d’enterrer tout cela dans la campagne électorale qui s’amorce. J’espère que le NPD et le Bloc Québécois auront un peu de courage pour mettre sur la table cette politique extérieure prête à tout pour appuyer les « amis américains » qui rêvent de rétablir leur suprématie.