L’erreur de Jack

Les récents sondages réjouissent le NPD qui arrive nez-à-nez avec le PLC au Québec. Serait-ce enfin le « miracle » attendu ?

Depuis toujours, le NPD se présente comme le grand parti de la gauche modérée au Canada, celui qui défend les « gens ordinaires ». Il l’a effectivement fait avec une certaine consistance bien que les expériences de gouvernement provincial sous l’égide de cette social-démocratie « made in Canada » aient été plutôt inégales.

À un autre niveau, le NPD n’a jamais été en mesure de comprendre la « question » québécoise. Dans les années 50 et 60, le leadership canadien-anglais du NPD était plus fédéraliste que Pierre Trudeau. Un « Canada fort » allait régler les problèmes, y compris les problèmes du Québec. Dans les années 1970, des jeunes plus à gauche ont contesté cette vision et ont tenté de faire reconnaître par le NPD la réalité de la nation québécoise et de son droit à l’autodétermination. Mais aucun changement n’est survenu finalement. Les sections québécoises du NPD se sont par la suite effondrées les unes comme les autres. Des militants et des militantes passaient armes et bagages du côté des formations politiques québécoises dans la gauche radicale ou même dans le PQ.

Dans les années 1980 et 1990, la débandade du NPD au Québec a continué. Devenu le Parti de la démocratie socialiste (PDS), l’ex NPD-Québec s’est finalement fondu dans l’Union des forces progressistes (UFP) qui a finalement réalisé l’unité de la gauche sous l’égide de Québec solidaire.

Sont restées ici et là quelques petites poches de loyaux à la cause du NPD. Parmi ceux-ci des social-démocrates de diverses allégeances, peu tentés de se rallier à la gauche québécoise à la fois à cause du parti-pris indépendantiste, à la fois par rejet d’un certain radicalisme qui cadre mal avec le NPD fédéral. Également, des déçus du PLC et du PLQ, dont beaucoup d’anglophones et d’allophones, hostiles à l’idée de l’indépendance, mais commis par rapport à des objectifs de justice sociale et d’environnement et dont des personnalités comme Thomas Mulcair et Françoise Boivin sont assez représentatives. Finalement, quelques militants de gauche indépendantistes, qui ont continué de s’impliquer dans le NPD, présenté comme le « meilleur »  parti fédéraliste, prêt par ailleurs à des « accommodements raisonnables » avec certains de ses militantEs et candidatEs associés à la cause indépendantiste, voire à QS.

En tout et pour tout, une assez petite minorité de la population québécoise.

Comment alors expliquer l’apparente popularité du NPD dans la campagne électorale actuelle ?

Il y a d’abord l’indéniable popularité de Jack Layton lui-même. À son style sympathique s’ajoute une certaine droiture, y compris face à la question québécoise, qui est pourtant un boulet pour lui au Canada anglais. Jack cependant n’a pas été capable de s’avancer au-delà de principes assez vagues (la nation québécoise), mais on peut présumer que, si les circonstances lui permettaient, qu’il pourrait aller plus loin. Ce ne sera pas demain la veille, car l’architecture électorale du NPD ne repose pas sur le Québec, ni maintenant ni demain. C’est ce qui explique que Jack appuie la garantie de prêt promise par Harper à Terre-Neuve, ce qui permettra à celle-ci d’épargner plusieurs centaines de millions de dollars pour ses projets hydro-électriques (alors que le Québec n’a jamais rien reçu).

Enfin, soulignons l’opposition consistante de Jack à la poursuite de la guerre en Afghanistan, sans essayer comme le Bloc de jouer au plus fin, et ce qui lui mérite l’appui de plusieurs jeunes antimilitaristes et altermondialistes.

L’autre raison de la remontée du NPD est la déception croissante face aux autres partis fédéralistes, principalement le PLC. Ignatieff depuis le début de la campagne a cependant tenté d’infléchir sa campagne à gauche. Mais on pourrait tout simplement dire : trop peu trop tard. Comment avoir confiance en effet en un leader qui, alors qu’il était professeur d’université aux États-Unis, a appuyé Bush dans ses aventures meurtrières??!!

On pourrait ajouter à cela d’autres facteurs conjoncturels dont le fait que le Bloc comme son frère le PQ ne sont pas au top de leur forme …

Cependant, il faut beaucoup nuancer ces facteurs. Lors des élections précédentes, les intentions de vote pour le NPD ont toujours été gonflées. Beaucoup de gens disent sympathiser avec le NPD pour ses idées progressistes, mais le jour du vote, plusieurs auront tendance à voter « utile ». Il y a aussi le phénomène de l’abstentionnisme, qui touche beaucoup plus les jeunes (deux électeurs sur trois entre 18 et 25 ans ne votent pas), et donc ce qui risque d’affecter davantage le NPD que les autres partis.

En réalité au Québec, le NPD a surtout des chances dans Outremont et Aylmer. Mulcair dans Outremont affronte la redoutable machine du libéral Cauchon, appuyé à fond par les réseaux semi occultes qui contrôlent le PLC (dont le clan Desmarais). Dans ce comté, les partisans du Bloc devraient appuyer Mulcair, car le Bloc n’a aucune chance. Même chose dans Aylmer, où la barre est plus haute encore. Contre un élu libéral, le NPD tente sa chance avec une syndicaliste bien connue dans la région, Nycole Turmel. Si le NPD est chanceux, il se pourrait que l’ex-libérale Françoise Boivin puisse se faufiler entre le député du Bloc Richard Nadeau et le candidat libéral.

À part ces quelques comtés, soyons honnêtes, le NPD n’a pratiquement aucune chance de l’emporter ailleurs au Québec.

Que peut-il alors se passer ? Où ira la sympathie pro-NPD ? Il se peut que, dans certains comtés montréalais (Ahuntsic par exemple), le vote progressiste se divise entre le Bloc et le NPD, ce qui ferait l’affaire du PLC. Dans la région du Québec, surtout dans les comtés que les Conservateurs ont arrachés au Bloc par quelques centaines de voix, la montée du vote NPD pourrait servir Stephen Harper.

Si tel est le cas, Jack aura servi la cause des vieux partis et peut-être même facilité la victoire des Conservateurs.

Certes, si le NPD augmente son pourcentage de votes au Québec et à l’échelle canadienne, il pourra affirmer avoir fait avancer la cause social-démocrate. Il se peut même que du côté du PLC, surtout si la défaite est sévère, qu’il y ait des pressions pour effectuer un rapprochement, sinon une alliance avec le NPD (ces alliances entre le centre-droit et le centre-gauche sont courantes en Europe). Mais est-ce réellement l’avancement dont rêvent les social-démocrates au Canada ?

À vrai dire, un tel recentrage n’aurait comme effet que de conforter les élites canadiennes qui se seraient « débarrassées » du « danger » d’une réelle percée du NPD et qui en même temps, auraient affaibli l’autre grande « menace », soit le nationalisme québécois.

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