Chaque jour dans notre monde globalisé, des centaines de milliers de personnes sont en mouvement. Il y a ceux –une petite minorité- qui fait partie de ce nouveau jet set planétaire, et qui surfe sur les instances opaques qui prennent les décisions. Et il y a ceux –une grande majorité- qui doivent se déplacer pour survivre, Évidemment dans ce deuxième groupe (la majorité des 300 millions de migrants dans le monde d’aujourd’hui), il y a des hiérarchies. On ne peut comparer les milliers d’ingénieurs et médecins qui quittent en masse l’Afrique et qui aboutissent à Los Angeles, Toronto, Londres, pour avoir une vie meilleure, à tant d’autres (des millions) qui sont captés dans les circuits fermés du cheap labor et de l’exploitation, quand ce n’est pas carrément dans un nouvel esclavage qui vise surtout les femmes et les enfants, selon Richard Poulin (U de Ottawa). Autant de situations, autant de parcours et autant de luttes qui interpellent tout le monde, comme le soulignent les auteurEs qui ont contribué au numéro 5 des NCS sur les Migrations.
Lancé simultanément à Montréal et Ottawa, ce numéro des NCS est une sorte de provocation. Le tableau contrasté qui en ressort interpelle, non seulement les pouvoirs publics, mais aussi les mouvements sociaux et la gauche. Au Canada, l’immigration est organisée systémiquement pour « utiliser » les migrants, en retirer le maximum en assumant le minimum. Du haut jusqu’en bas de l’échelle, les migrants doivent travailler plus dur, gagner moins, et surtout accepter une vulnérabilité de longue durée qui garantit leur subordination via toutes sortes de dispositifs plus ou moins subtils, comme l’expliquent les profs Hélène Pellerin (U d’Ottawa) et François Crépeau (McGill). Fait à noter, ces dispositifs sont maintenant de plus en plus «standardisés» entre les principaux pays capitalistes, notamment le Canada et les États-Unis, selon l’étude de Delphine Nakache.
Jusqu’à une période récente, le capitalisme contemporain utilisait les migrations comme une sorte de «soupape» de sécurité, qui permettait d’organiser certains segments de production (l’agriculture par exemple) tout en faisant en sorte que cela ait un effet sur l’ensemble des circuits de l’accumulation. Aujourd’hui, ces barrières ont été brisées et les mêmes systèmes qui vulnérabilisent et précarisent les migrants depuis toujours sont mis en œuvre sur les «autres». D’où une société de non-droits qui se manifeste sous des formes extrêmes dans les législations liberticides et les divers profilages contre certaines catégories (réfugiés, Musulmans, Arabes, etc.). Une entreprise vaste et complexifiée est déployée dans l’univers médiatique, culturel et politique pour créer une polarisation basée sur la peur et le racisme qui ne sont pas réellement confrontés malgré les approches soft des «accommodements raisonnables» comme nous l’a rappelé Florence Thomas (FIQ).
Pour autant, les migrants ne sont pas seulement de «petites choses» ballotées par l’histoire. Ils sont des sujets et des acteurs, ils s’organisent, via les réseaux transnationaux des diasporas (lire Philippe Couton et Nathalie Mondain de l’U de O), via aussi des organisations qui secouent la cage comme les syndicats qui réussissent lentement à confronter l’arbitraire patronal dans les entreprises agricoles du Québec et de l’Ontario, nous rappelle Andrea Galves (des Travailleurs unis de l’alimentation). Lors du lancement des NCS à Montréal, Jill Hanley du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants nous a rappelé de manière émouvante le «travail de fourmi» qui se fait dans l’ombre. En apparence, ces histoires sont «individuelles» : un travailleur guatémaltèque, blessé dans une ferme du Québec, cherche à se battre contre la CSST qui refuse de le compenser ; un migrant indonésien cherche des recours contre son employeur qui ne paie pas, parce qu’il change d’adresse officielle et de dénomination d’entreprise à chaque mois comme le font tant d’agences dites de «placement». Évidemment comme l’explique Hanley, il n’y a rien d’«individuel» dans ces situations qui sont structurées, systémiques, construites. Saisie depuis plusieurs années de la situation des travailleuses domestiques qui ne sont pas protégées par la CSST, l’Assemblée nationale tergiverse et refuse de changer une seule phrase de la loi qui permettrait à ces travailleuses un peu de protection et de dignité.
Pour le député de QS Amir Khadir, il est temps de se réveiller. Il n’y aura aucun changement significatif au Québec si les immigrants et immigrantes demeurent marginalisés non seulement sur le plan économique mais aussi politiquement et culturellement. Amir nous a interpellé à sa manière habituelle sur le rôle d’éternel « bouc émissaire» que les dominants «confient» aux immigrants. Au Québec par exemple, beaucoup de gens et d’organisations, le PQ notamment, vont blâmer les immigrants pour la fragilité du français à Montréal. Comme on le sait, le problème numéro un des immigrants est l’emploi. Les immigrants sont ceux et celles qui sont obligées de travailler pour les micro entreprises qui opèrent souvent dans des conditions infra légales et qui ne respectent aucune règle, y compris la Loi 101. Au lieu de confronter cette réalité de base, le PQ blâme les victimes et veut leur imposer de nouvelles restrictions. «La défense du fait français et de la loi 101 doit se faire de façon à ce que les immigrantEs aient les mêmes droits que tout le monde» a rappelé Amir.