Des urnes et de la rue

Avec ses dix députés, Québec solidaire (QS) se concentrera au cours des mois à venir sur l’intervention parlementaire, le développement de son expertise dans divers domaines politiques ainsi que sur l’apprentissage de la pertinence et de la compréhension de ses principes et de son programme pour un public beaucoup plus large. Parallèlement, puisque QS n’est pas un parti « comme les autres », il doit réconcilier cette intervention avec la mobilisation de ses membres en phase avec les mouvements populaires (la « rue »).

Certes, QS n’est pas seul à affronter ce défi. Au Portugal, le Bloc de gauche qui regroupe un arc-en-ciel social et politique qui ressemble (sans être identique) à celui de QS, tente d’avancer sur ce terrain depuis qu’il est sorti de la marginalité en obtenant, en 2015, plus de 10 % des votes et 19 sièges à l’Assemblée de la République. Selon un des dirigeants du Bloc, Francisco Louçã, la victoire électorale a eu un coût, puisqu’une partie importante des militantes et des militants expérimentés a été « avalée » par la scène institutionnelle. En réalité, explique-t-il, une certaine normalisation institutionnelle du Bloc génère des tensions contradictoires, dont des « adaptations » qui peuvent finir par des cooptations : « On se résigne à des mesures très limitées au nom du maintien des acquis. On refuse de critiquer les institutions ou leur direction au nom d’éventuels accords futurs. À partir de l’idée (juste) que la politique avance par petites étapes, on est tenté d’éviter le risque de conflit par peur de perdre[1] ».

Louçã entretemps estime que son parti a peu progressé en matière de représentation au sein des mouvements sociaux, notamment avec les syndicats et les jeunes. L’objectif du Bloc qui est d’aller vers le socialisme reste incontournable, ce qui implique une lutte très dure et de longue durée :

Le capitalisme repose sur l’aliénation du travail, des relations sociales, de la vie, des relations avec la nature, mais aussi de l’aliénation des êtres. La séparation du travailleur du produit de son travail, du contrôle de sa vie, de son pouvoir social et du système électoral est le fondement du conformisme sur lequel est fondée l’hégémonie bourgeoise. La gauche n’a pas le choix d’exister comme protagoniste social, dans le conflit ou l’intervention stratégique dans la lutte de classe. Nos succès sur la scène électorale ne sont pas une condition suffisante pour développer une politique socialiste. Conçue comme un instrument pour accumuler des forces, cette intervention électorale est utile. Conçue comme une forme de conditionnement et de perte de sens critique et d’alternative sociale, elle échoue[2].

Ces réflexions croisent celles d’Alexandre Leduc, le nouveau député de QS dans Hochelaga-Maisonneuve, sur le dialogue entre la rue et les urnes. Il préconise l’intervention de QS à l’échelle locale pour soutenir, par exemple, les artistes qui combattent l’expulsion de leurs locaux ou les parents pour sauver leurs écoles. Il pense qu’il est nécessaire de rejoindre les travailleurs confrontés aux fermetures d’usines dans une lutte pour les rouvrir en tant que coopératives de travailleurs.

Le rôle de soutien vise essentiellement à publiciser et à participer à des actions déjà organisées par des groupes ou des regroupements citoyens. Ce rôle requiert peu d’énergie en matière d’organisation […] Ainsi, l’association construit sa crédibilité envers les groupes et les citoyens de son quartier ou de sa région. En d’autres mots, elle anime son milieu de vie[3].

L’ingrédient commun dans les deux cas est l’identification par le parti d’un objectif qui défend une politique sociale ou un service public, la volonté de travailler pour atteindre cet objectif et, dans la mesure du possible, de travailler avec d’autres pour le défendre. Là où d’autres forces sont impliquées, le parti peut également associer l’objectif immédiat à son programme plus vaste de changement social fondamental. Je pense que QS gagnerait beaucoup à relancer un projet de proposition sur Québec solidaire et les mouvements sociaux qui avait été soumis par la Commission politique de QS à un congrès en 2011 et qui été remis à plus tard finalement.

Québec solidaire et les mouvements sociaux
Document de réflexion, Commission politique de QS, 2011

QS comme parti et gouvernement doit chercher à renforcer les capacités des mouvements sociaux, encourager leur unité d’action et y participer sur la base d’un programme de transformation sociale. L’histoire récente nous montre que, sans l’appui actif de mouvements sociaux forts, de leur mobilisation extra-parlementaire, un gouvernement de gauche n’a que deux possibilités : reculer par rapport à son programme ou se voir chassé du pouvoir par des moyens légaux, et si nécessaire, illégaux. QS doit offrir un projet alternatif de gauche inscrit au cœur même des résistances populaires.

  • Utiliser la lutte électorale pour défendre les revendications des mouvements ouvrier, populaire, écologiste et féministe, favoriser l’expression des résistances populaires dans le cours même des campagnes électorales.
  • Défendre l’autonomie organisationnelle, politique et idéologique des mouvements sociaux.
  • Favoriser comme parti de gouvernement le renforcement des capacités d’organisation et d’action des mouvements sociaux.
  • Défendre la nécessité d’un front social et politique de résistance populaire.
  • Animer des lieux de partage entre les mouvements sociaux et QS.

Richard Fidler, juriste retraité militant social et politique


  1. Portugal : entretien avec Francisco Louça, député du Bloc de gauche, Les alternatifs, solidarités écologie, féminisme, autogestion, 24 novembre 2017, <www.alternatifs.org/spip/portugal-entretien-avec-francisco>.
  2. Ibid.
  3. Alexandre Leduc, « Soutien ou animation : quel rôle pour une association de circonscription d’un parti politique comme Québec solidaire ? », Nouveaux Cahiers du socialisme, n° 20, 2018.

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