L’avancée électorale de Québec solidaire (QS), sa nouvelle députation et sa reconnaissance comme un parti politique dans le jeu institutionnel redéfiniront le cadre de son action et lui poseront de nouveaux défis, tant dans les orientations qu’il aura à définir, les alliances qu’il devra nouer, que les nouvelles pratiques qu’il devra développer.
La recomposition du bloc fédéraliste
La Coalition Avenir Québec (CAQ) a fait élire 74 député-e-s à l’Assemblée nationale, avec 42 % des votes exprimés. C’est un gouvernement de banquiers, d’entrepreneurs et de gestionnaires, parmi lesquels se trouvent ceux qui occupent les postes stratégiques : Éric Girard au ministère des Finances, Pierre Fitzgibbon au ministère de l’Économie et de l’Innovation et Christian Dubé au Conseil du trésor. La logique du premier ministre François Legault est claire. L’autorité politique doit être détenue par une minorité de riches et d’experts. Ces derniers ont intériorisé les idées des milieux financiers et sont là pour défendre les intérêts des grandes banques et des grandes entreprises. Le monde des affaires, la bureaucratie d’État et les professionnel-le-s de la politique vont avoir le haut du pavé. Cette victoire de la CAQ et l’effondrement du Parti libéral (PLQ) transforment considérablement la donne politique. Avec 24,82 % des votes et 31 député-e-s, le PLQ se trouve relégué pour l’essentiel dans l’ouest de l’île de Montréal, chassé du Québec francophone (à part la circonscription de Jean-Talon à Québec représentée par Sébastien Proulx). Cela dit, le bloc fédéraliste (PLQ et CAQ) a remporté une victoire importante, avec 105 député-e-s et 62,24 % des votes. Il est sorti de la situation dans laquelle le parti de l’alternance était souverainiste, en l’occurrence le Parti québécois (PQ). Il peut, du moins pour un temps, mettre de côté la perspective d’une remise en question de l’intégrité de l’État canadien. Le bloc fédéraliste s’est donc consolidé.
Quelle refondation du bloc souverainiste ?
Le PQ a vu sa députation réduite à 10 et sa base électorale à 17,06 % des votes. Cette défaite catastrophique fait suite à celle de 2014 qui avait été particulièrement pénible. Cette tendance au recul se poursuit depuis plus de deux décennies maintenant. Les débats sur une possible refondation du mouvement souverainiste sont maintenant ouverts : quels sont les acteurs politiques qui doivent y être actifs ? Quelle est la place du PQ, du Bloc québécois et de Québec solidaire ? Les débats politiques très clivants sont déjà facilement repérables : faut-il unir la gauche et la droite du mouvement souverainiste ? Faut-il lier ou séparer la lutte pour l’indépendance et la lutte pour un projet social de gauche ? Comment une possible réforme du mode de scrutin va-t-elle redéfinir les paramètres des politiques d’alliance des souverainistes et, plus particulièrement, les conditions d’un éventuel gouvernement de coalition ? Faut-il s’entendre ou non sur le projet écologique d’un Québec indépendant ? Faut-il ou non définir les valeurs collectives et prendre position sur l’immigration et la laïcité pour déclasser les autonomistes de la CAQ sur le terrain identitaire ? Faut-il écarter ces sujets qui divisent ? Comment redéfinir le caractère pluraliste de la nation québécoise ? Faut-il maintenir une intervention indépendantiste sur la scène fédérale et comment ? En somme, par où passera la reconstruction d’une majorité indépendantiste au Québec et la déconstruction du bloc fédéraliste ?
Une stratégie électorale gagnante
En écartant l’alliance avec le PQ aux dernières élections, Québec solidaire a permis l’avancée du premier octobre dernier, car cette position manifestait le refus de toute instrumentalisation de QS au profit d’une éventuelle victoire du PQ. Par l’utilisation de revendications concrètes (salaire minimum à 15 dollars l’heure, salaire maximum pour les hauts dirigeants des entreprises, assurance dentaire publique, transport public à demi-prix), Québec solidaire est parvenu à dépasser sa caractérisation comme parti se cantonnant à proposer des utopies, peut-être attrayantes mais irréalisables. D’autre part, la campagne a été marquée par la priorité donnée à l’environnement, notamment à la lutte aux changements climatiques et à la promotion d’un plan de transition écologique. Le parti est également apparu comme le promoteur d’une nouvelle répartition de la richesse et défenseur de la majorité populaire. Sur la question de l’immigration, la plate-forme de QS a proposé de lutter efficacement contre toutes les formes de discrimination et de bâtir un Québec pluraliste et inclusif. Si les propositions de la CAQ sur la baisse des seuils d’immigration et les tests pour les immigrants ont été clairement rejetées par QS, il reste à définir des questions concrètes comme le droit de circulation et d’installation et la nécessité d’ouverture des frontières. Il reste également à clarifier la position sur la laïcité qui n’était pas présente dans la plate-forme.
Par ailleurs, dans cette dernière campagne, QS est parvenu à recruter des candidates et des candidats plus connus. Le parti a progressé dans la professionnalisation de ses stratégies de communication et dans l’utilisation des médias sociaux. Sa recherche de crédibilité électorale l’a conduit à mettre en sourdine des points plus radicaux comme les nationalisations ou le contrôle public des secteurs stratégiques de l’économie et des ressources naturelles. La porte-parole Manon Massé a su synthétiser l’aspiration à faire de la politique autrement. Le discours s’est orienté de plus en plus ouvertement vers une option de gouvernement progressiste et social-démocrate, et non sur une explication de la nécessité d’une rupture d’avec le capitalisme. Et cela, d’autant plus que les grands médias ont souligné les points les plus radicaux du programme pour mener une campagne contre le caractère socialiste de certaines propositions du parti. Le chef du PQ a joué aussi cette carte démagogique.
Dans la prochaine période, un congrès prévu sur le programme de QS sera l’occasion d’une redéfinition programmatique. Sera-t-il le moment d’un recentrage du programme du parti ou celui d’une réaffirmation d’une logique de rupture avec le système actuel ? Ce choix sera sans doute l’objet de débats importants qui amèneront à une redéfinition du profil politique de Québec solidaire.
Parti des urnes et parti de la rue : un développement de plus en plus inégal
QS est devenu une machine électorale efficace. Les campagnes ont constitué l’essentiel des mobilisations de l’ensemble du parti ces dernières années. Avec l’importance de la députation et du personnel politique permanent qui lui sera associé, la réalité du parti des urnes et de l’action parlementaire sera probablement redéfinie. Jusqu’à maintenant le parti de la rue demeure sous-développé. Le parti participe aux mobilisations impulsées par les mouvements syndical, féministe, étudiant ou environnementaliste, il est une force d’accompagnement, un parti solidaire. Mais cela ne concerne habituellement que les militantes et les militants les plus actifs. Aucun permanent ou permanente du parti n’est désigné pour ce type de travail. Les réseaux regroupant des membres dans différents mouvements sociaux (comme le Collectif intersyndical ou le Réseau militant écologiste) ont été mis sur pied par des initiatives de la base du parti, et la construction de réseaux n’a été jusqu’ici l’objet d’aucun plan d’ensemble. Les structures militantes sectorielles n’ont été inscrites dans les statuts du parti que 10 ans après sa fondation. S’il y a une inégalité de développement entre ces deux aspects du parti, c’est qu’un débat sur la signification d’un parti de la rue n’a jamais été mené en profondeur. Poser la question du parti de la rue, c’est se demander comment QS peut contribuer à l’amélioration des rapports de force des mouvements sociaux face à l’actuelle offensive d’austérité, de détérioration de l’environnement et de montée de la xénophobie. Un parti comme QS est riche d’une longue tradition de débats démocratiques. Sa croissance rend plus nécessaire que jamais le maintien de cette culture, car les défis actuels seront à la mesure de sa nouvelle réalité, plus complexe et plus dépendante de l’apport collectif de ses membres et de leurs expériences diversifiées.
Bernard Rioux, militant de QS à Québec et rédacteur de Presse-toi-à-gauche!
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