par Sylvie Morel
Introduction
Le budget 2010-2011 du gouvernement du Québec, déposé le 30 mars dernier, a généré une forte insatisfaction dans la population. Les critiques portent beaucoup sur l’iniquité des mesures annoncées et la radicalité de la rupture qu’elles opèrent avec des institutions qui servaient de marqueurs de solidarité dans notre société. On dénonce fortement aussi le simulacre de consultation qui a servi à légitimer des choix déjà arrêtés. A cet égard, un des éléments remarquables de la campagne idéologique menée à cette fin, est, sans conteste, le battage médiatique qui a entouré la sortie de chacun des trois fascicules du comité consultatif sur l’économie et les finances publiques (CCEFP) [2] Rappelons que ce comité avait été mis sur pied par Raymond Bachand « pour réfléchir avec (lui) sur les grandes orientations économiques à privilégier et sur les moyens à mettre en œuvre afin de sortir de la récession, de développer le potentiel de notre économie et de rétablir l’équilibre budgétaire ». Ce comité a été un maillon central dans la mise en œuvre des réformes structurelles néolibérales à laquelle le budget donne un coup d’accélérateur. Ainsi, non seulement ce dernier reprend-t-il les recommandations des membres du CCEFP, dont le ministre Bachand était, faut-il rappeler, l’un des co-présidents, plus encore, il dépasse même leurs attentes [3] Mais si le comité a pu avoir une telle influence, c’est parce qu’il a joué un rôle décisif à une étape antérieure du processus de l’action publique : il a été la pièce maîtresse de la stratégie de « mise en marché » des idées « économiquement correctes » dont le gouvernement Charest devait convaincre la population pour pouvoir aller de l’avant. Dans le cadre du processus de manipulation de l’opinion publique qui a été orchestré en préparation du dépôt du budget, le discours des économistes du CCEFP a été le mode privilégié pour valider les idées néolibérales ainsi que les énoncés de bons sens qui confortent ces dernières. Ce mode de validation, dont la compréhension est nécessaire pour évaluer la profondeur qu’a gagnée dans les esprits le néolibéralisme ambiant, est celui de la science et, dans le cas qui nous concerne, de la « science économique ».
Une clarification s’impose ici. Deux niveaux de discours se superposent dans l’argumentaire économique qui a permis de justifier les décisions annoncées dans le budget et que l’on désigne souvent, indistinctement, par l’expression de pensée dominante. Le premier d’entre eux est celui de la doctrine économique, ou de l’idéologie, dont le but est de proposer des directives de politiques économiques allant dans le sens d’un anti-interventionnisme d’État (déréglementation, privatisation, individualisation des risques, etc.), cela au nom d’une vision fictive de l’économie comme ordre de faits naturellement autorégulé (« Laissez faire, laissez passer »). Associer la pensée dominante au néolibéralisme renvoie à ce niveau doctrinal. Le second niveau de discours est celui de la « science économique », dont le but est d’expliquer les phénomènes économiques. Associer la pensée dominante aux théories économiques et aux différents courants qui la composent, se situe à ce niveau. Doctrine et science sont cependant étroitement liées, agissant l’une sur l’autre de manière réciproque . La science, objet qui nous intéresse ici, agit sur la doctrine, notamment, « en donnant la force de ses lois aux arguments doctrinaires » , ce que montre bien l’analyse de l’usage politique de la « science économique ».