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Les politiques néolibérales au Canada et la crise économique

Depuis une trentaine d’années déjà, les stratégies des dominants s’inscrivent dans ce qu’il est convenu d’appeler le néolibéralisme. La caractéristique principale de cette idéologie, c’est la primauté attribuée aux forces du marché. Cela se traduit, concrètement, par une variété de politiques et de pratiques qui nous sont bien familières : privatisation, déréglementation, sous-traitance ou impartition, restrictions salariales, resserrement des programmes sociaux, libéralisation des échanges commerciaux et des flux de capitaux. Ces politiques ont induit des mutations profondes du capitalisme, dans le sens de la  globalisation et de la financiarisation. Parallèlement, nous assistons à d’autres transformations de l’environnement économique découlant des avancées technologiques, ou des bouleversements géopolitiques. Avec les progrès de  l’électronique et l’augmentation des services, le gros de la valorisation capitaliste se réalise maintenant à travers une production immatérielle. L’ordre économique international est aussi mis en cause par l’irruption des nouvelles puissances économiques, les fameux  BRICS[1] et autres tigres celtiques ou dragons asiatiques.

Nous voudrions présenter ici un rapide survol de ces manifestations au Canada, puis traiter de la crise économico-financière et ses répercussions.

I – Les politiques néolibérales au Canada

Restrictions salariales

Le capital canadien est parvenu à restreindre les progressions salariales en exploitant l’insécurité et la montée du chômage provoqués par les deux récessions majeures de 1982 et 1990 et les autres périodes de ralentissement, ainsi que les compressions de dépenses publiques qui ont suivi. Les importantes restrictions au programme d’assurance-emploi, mises en œuvre dans les années 1990, ont aussi pesé lourdement. Après la récession de 1982, brève mais profonde, et gérée brutalement par les gouvernements, le rapport de force social s’est modifié de manière durable à l’avantage du capital. C’est à peine si les salaires sont parvenus à suivre l’inflation depuis lors, subissant tantôt des reculs, tantôt de légères remontées.

Nouveau rôle « d’accompagnateur » (du capital) pour l’État

Dans les années 1980, les gouvernements ont adhéré au crédo néolibéral selon lequel l’État est une nuisance pour l’économie, et qu’il faut s’en remettre aux  forces du marché. En fait, les partisans de cette doctrine souhaiteraient idéalement qu’un État minimal soit mis au service des intérêts des entreprises. Il y en a qui se souviennent peut-être du rapport Gobeil, produit au milieu des années 1980.  Depuis, la déréglementation, la sous-traitance et la privatisation dominent l’agenda des gouvernements. Le rôle de l’État comme producteur de biens et services a été systématiquement remis en cause. L’implication de l’État est de plus en plus attaquée dans les domaines de la santé, de l’éducation, des services municipaux, qui apparaissent comme des terreaux fertiles pour la valorisation des capitaux.

Libéralisation du commerce et de la circulation des capitaux

Dans les années 1980, le gouvernement Conservateur de Brian Mulroney s’est appliqué à négocier un accord de libre échange avec les États-Unis. Le traité, conclu en 1989, a été étendu par la suite pour englober le Mexique, (ALENA, 1994) Plusieurs accords bilatéraux de libre échange avec d’autres pays ont suivi.  Grâce à ces accords, le commerce extérieur a pris beaucoup d’extension. Mais les prérogatives des investisseurs ont aussi été sensiblement étendues. Présentement, le gouvernement vient de conclure des accords de libre-échange avec la Colombie et le Honduras.  Il s’affaire à négocier presque en catimini un traité de libre-échange avec l’Europe qui risque, entre autres, d’ouvrir les secteurs de l’éducation, de la santé et des services municipaux aux empiètements des multinationales.

L’endettement public source de profits privés

Même l’endettement croissant des gouvernements dans les années 1980, suite au relèvement des taux d’intérêt, a été exploité par les banques canadiennes, trop heureuses de prêter aux gouvernements et d’agir comme courtier pour les banques étrangères désireuses de prêter au gouvernement canadien. En 1991, la situation était devenue dramatique, quand le gouvernement fédéral était réduit à emprunter 37 sous sur chaque dollar de revenu.

Globalisation et déréglementation: un tremplin pour la finance canadienne

Historiquement, c’est en bonne partie dans la finance que le capital canadien s’est épanoui. Le virage néolibéral apportera un nouveau souffle, entre autres en permettant la fusion des opérations bancaires, d’assurance et de courtage. La globalisation en cours a aussi favorisé son expansion à l’étranger, un mouvement accéléré par la levée graduelle des plafonds sur les placements des fonds de pension à l’étranger à la fin des années 1990. (Toutes les restrictions sont levées en 2005).  L’investissement canadien à l’étranger connaît un essor marqué au cours de la décennie de 1998 à 2008, qui accompagne l’apparition de forts excédents du compte courant. Ces investissements ont surtout pris la forme d’investissements de portefeuille, mais aussi, pour une bonne partie, d’investissements directs, surtout dans les ressources.

Une grande partie de ces activités s’est orientée vers les paradis fiscaux, des endroits servant de relais pour des placements dans des pays tiers en franchise d’impôt.[2] La financiarisation croissante de l’économie à compter des années 1980 consacre le statut hégémonique de cette fraction du capital canadien, centrée surtout à Toronto.

Les ressources canadiennes: un champ de bataille pour les multinationales 

Avec l’essor économique des pays émergents, les ressources énergétiques et les matières premières sont redevenues fort convoitées. Les capitaux affluent au Canada dans ces secteurs et des batailles féroces se livrent pour le contrôle des entreprises. Pour le seul mois de janvier 2011, les fusions et acquisitions au Canada s’élèvent à 16,4 milliards de dollars. Certaines entreprises canadiennes s’en trouvent fortement valorisées, comme Barrick Gold, numéro un mondial dans l’extraction de l’or, ou les pétrolières de l’Alberta. Mais le capital canadien perd aussi du terrain au profit d’investisseurs étrangers qui renforcent leur emprise sur des entreprises comme Inco, Falconbridge ou Alcan. Il parvient néanmoins à défendre certains bastions, comme l’illustre le blocage par le gouvernement canadien de la tentative de prise de contrôle de Potash Corp.

II L’impact de la  crise sur le capital canadien

A. La finance

Comme ailleurs, la finance canadienne a beaucoup investi dans les  nouveaux instruments financiers, tels les produits dérivés. Mais les banques canadiennes sont demeurées relativement peu exposées aux titres adossés à des actifs « toxiques » si bien qu’elles ont résisté mieux qu’ailleurs à la crise financière de 2007 et 2008. Certains secteurs du capital financier québécois, en revanche, ont été fortement affectés par la crise financière. C’est le cas tout particulièrement de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) qui a enregistré un rendement négatif de 25% en 2008, surtout en raison de son implication dans le papier commercial adossé à des actifs (PCAA).

La crise a néanmoins modifié sensiblement les flux financiers au Canada, qui se sont inversés. La récession mondiale a surtout affecté le Canada en annulant les excédents commerciaux. À compter de la fin de 2008, le compte courant devient déficitaire. Cela signifie que pour équilibrer la balance des paiements, il faut importer des capitaux. C’est ce qui s’est produit. Dès 2007 les capitaux canadiens placés à l’extérieur commencent à refluer à domicile, considéré comme un endroit plus sûr. Les investisseurs institutionnels se tournent vers les titres de dette publique. Les flux de capitaux canadiens vers l’étranger ont repris après la récession, mais ils n’ont pas encore retrouvé les niveaux antérieurs[3].

À compter du début 2009, le capital étranger se remet à affluer au Canada, surtout en titres d’emprunts, (dont une très grande partie en obligations du gouvernement fédéral) mais aussi en actions, du fait de la relative prospérité canadienne. Là aussi, le Canada fait figure de refuge. Ces entrées ont par ailleurs poussé à la hausse la valeur du dollar canadien, accentuant les difficultés des exportateurs canadiens.

Les événements en cours risquent par ailleurs d’accentuer les difficultés des fonds de pension. Face aux turbulences des marchés boursiers, le gouvernement américain à garanti le maintien de faibles taux d’intérêt au moins jusqu’au milieu de 2013. En réaction au climat d’incertitude qui entoure l’évolution de l’économie mondiale, les investisseurs se ruent sur les bons du Trésor américain, considérés comme des placements sûrs. En conséquence, les rendements ont fortement diminué. Les obligations de 10 ans rapportent à peine plus de 2,0 %. Cela donne une idée des faibles rendements prévisibles sur les titres à revenu fixe. Or, nos régimes de retraite publics comme privés tablent sur des rendements à long terme de l’ordre de 7,0% par an, une cible plutôt difficile à atteindre si la croissance économique n’est pas au rendez-vous.

B. Finances publiques

Dès l’amorce de la récession les gouvernements des grands pays mettent en œuvre des programmes substantiels mais temporaires de stimulation de l’économie, prenant la forme d’allègements fiscaux et de dépenses publiques accrues. Avec la reprise qui s’esquisse, plusieurs pays qui ont vu leurs déficits publics croître en raison de la récession, et leur dette s’alourdir en conséquence, se tournent vers des politiques d’austérité afin de rétablir leurs équilibres budgétaires. En plus des souffrances qu’elles infligent à la population, ces politiques s’avèrent inefficaces, car elles entretiennent le marasme économique et le chômage. Les ratios d’endettement ont même tendance à s’accroître, en raison de la stagnation ou du recul de l’économie. Or, la croissance économique est nécessaire pour atténuer le poids de la dette publique.  On se trouve donc dans une impasse. C’est ce qui a conduit à la crise de la dette souveraine dans plusieurs pays européens. Ceux-ci  se retrouvent non seulement avec des difficultés financières et économiques, mais aussi avec des crises sociales et politiques.

Au Canada, les partis d’opposition ont dû menacer de remplacer le gouvernement conservateur de Harper par une coalition pour le décider à présenter, au début de 2009, un programme de stimulation plus en rapport avec les exigences de la situation. Ce programme, de 46 milliards sur deux ans, sera centré sur les infrastructures et la rénovation domiciliaire. Au Québec, un vaste plan de réfection des infrastructures lancé fort opportunément quelque temps avant la récession permet d’amortir le choc mieux qu’ailleurs. Les institutions financières étatiques, comme Investissement Québec et la SGF sont aussi appelées à la rescousse pour garantir des prêts aux entreprises. En outre, comme au fédéral, un programme temporaire de stimulation de la rénovation domiciliaire est mis sur pied.

Mais dès que la reprise s’est manifestée, les gouvernements ont renversé la vapeur. Le nouveau gouvernement Conservateur du royaume Uni a certainement présenté le programme d’austérité budgétaire le plus draconien. Au Canada, le gouvernement Conservateur annonce dans son budget pour 2011 le maintien des réductions d’impôts pour les entreprises, et des compressions de 4 milliards dont la nature reste à déterminer. Il devance à 2014-2015 le retour à l’équilibre budgétaire, prévu initialement pour l’année suivante.  Au Québec, le budget de 2010 précise les mesures que le gouvernement entend prendre pour rétablir l’équilibre budgétaire en 2013-2014. Le projet prévoit des hausses de 2,0 % de la taxe de vente, un relèvement de la tarification, notamment des hausses substantielles de 1625 $ des droits de scolarité, ainsi que l’introduction d’une contribution d’un montant égal pour tous de 200 $ pour le financement de la santé. Du côté des dépenses, un freinage brutal de la croissance est projeté, visant tout particulièrement les coûts de main-d’œuvre.

C. Et maintenant ?

En août 2011, le pessimisme gagne les marchés boursiers en raison des inquiétudes concernant la vigueur de la croissance économique mondiale. Ces appréhensions sont alimentées par l’essoufflement  de la croissance observé aux États-Unis comme en Europe depuis le début de l’année, mais aussi par les doutes concernant la volonté et la capacité des gouvernements américains et européens de venir à bout des problèmes d’endettement et de trouver des solutions pour relancer durablement leurs économies.

Dans ce contexte, le gouvernement canadien est intervenu pour se faire rassurant, offrant même le Canada comme modèle pour la communauté internationale. Tandis que le premier ministre Harper poursuivait une tournée à saveur commerciale en Amérique latine, le ministre des Finances, Jim Flaherty, déclarait que le meilleur moyen stratégique dont dispose le gouvernement pour maintenir la confiance et stimuler la croissance économique, c’est de poursuivre son plan de retour à l’équilibre budgétaire en 2014-2015. (Déclarations du 10  et 19 août, auxquelles le ministre des finances du Québec, M. Raymond Bachand, a fait écho).

Entre-temps, le gouvernement poursuit la mise en place de ses politiques structurantes, que nous pouvons brièvement rappeler.

  • Abaisser le taux d’imposition combiné fédéral-provincial sur les profits à 25 %, afin d’offrir aux entreprises le taux le plus faible parmi les grands pays industrialisés. Le taux fédéral d’imposition des profits sera abaissé à 15 % en 2012, alors qu’il se situait à 22 % quand les Conservateurs ont pris le pouvoir, début 2006. Du côté des provinces, les taux varient.  Au Québec il se situe présentement à 11 %. En Ontario, il devrait être abaissé de 14% à 10% d’ici quelques années, comme le souhaite le gouvernement fédéral.
  • Création d’une commission canadienne des valeurs mobilières, alors qu’il en existe présentement dans les provinces. Cela permettrait de centraliser davantage la finance à Toronto. Plusieurs provinces s’y opposent et le litige n’est pas résolu.
  • Un traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, dont la portée serait plus large que l’ALENA. Cet accord pourrait englober l’accès aux appels d’offre des provinces et municipalités, la mobilité de la main-d’œuvre, les services financiers, la reconnaissance des titres de compétence. (C’est pourquoi les provinces sont représentées à la table de négociation) Selon ses protagonistes, avec un tel traité le Canada disposera d’un avantage stratégique important pour attirer des entreprises et des investisseurs désirant brasser des affaires sans entrave à la fois sur le continent européen et sur le marché américain. Le Canada constituera la porte d’entrée par excellence pour ces deux marchés importants. En même temps, les entreprises installées au Canada pourront exporter librement leurs produits sur ces deux grands marchés. En revanche, comme mentionné précédemment, les domaines de l’éducation et de la santé, les brevets pharmaceutiques, les services municipaux, notamment l’eau, seront davantage exposés aux empiètements des multinationales et du secteur privé.

Conclusion

En somme, le gouvernement estime que l’état de l’économie canadienne ne justifie pas de stimulants particuliers à ce moment-ci.  Les ménages surendettés, les chômeurs et les personnes assistées sociales appauvries, les étudiants pris à la gorge, les industries qui vivotent, les municipalités dont les infrastructures vétustes croulent littéralement, les citoyens obligés de puiser de plus en plus dans leur poche pour des services publics, n’ont qu’à s’en remettre au libre jeu des forces du marché et se contenter des miettes de la croissance pendant que les écarts de revenus se creusent et que l’environnement se dégrade.

Le gouvernement concentre plutôt ses efforts sur la mise en place d’une sorte de  cadre néolibéral à la sauce irlandaise qui ferait du Canada la plaque tournante entre l’Europe et les États-Unis pour les brasseurs d’affaires de tout acabit.

Pierre Beaulne
Août 2011


[1] Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud

[2] Environ un dollar sur quatre de placements directs canadiens à l’étranger va dans les paradis fiscaux, dont 75 cents qui proviennent du secteur financier. Statistique Canada 11-621-MIF2005021

[3] Boulay, E., « L’évolution de la crise financière mondiale et l’activité transfrontalière, 2007 à 2010 », L’Observateur économique canadien, Statistique Canada, Septembre 2010

 

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