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Les écologistes peuvent-ils casser des briques ?

Pierre Beaudet

En ce 22 avril, dit « jour de la terre », l’atmosphère était morose. En 2016, l’Accord de Paris incitait les États membres de la Convention des partis (COP) à réduire les gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement à 1,5/2 degrés d’ici 2050. Aujourd’hui cependant, les scientifiques estiment qu’on s’achemine vers un réchauffement entre 3 et 4 degrés. Selon le très modéré secrétaire général de l’ONU, « le chemin que nous suivons est celui du suicide ». Depuis 1992 (Sommet de Rio), les belles paroles sont restées dans les nuages. Il aurait fallu réduire les GES de 45 %, alors qu’en réalité, il y a eu une baisse très légère de 1 %. La Chine et les États-Unis sont évidemment les gros pollueurs (35 % des émissions de GES), mais il y aussi d’autres grands responsables dont l’Inde, l’Australie, le Brésil, et — devinez qui ? — le Canada !

Gros spectacle et sixième extinction

La nouvelle du 22 avril a cependant été le Sommet convoqué par Joe Biden avec 40 chefs d’État. Certes, Biden a un peu surpris en promettant un plan de lutte contre le changement climatique de plus de 2 000 milliards de dollars, tout en refusant d’adopter le « Green New Deal » mis de l’avant par Alexandria Ocasio-Cortez et la gauche du Parti démocrate. Le plan vise à appuyer les entreprises avec des milliards de fonds publics, pour diminuer leurs GES, en leur expliquant qu’on prévoit une chute du PNB mondial de 18 % si le réchauffement dépasse 3,5 degrés en 2050. Selon plusieurs scientifiques, nous sommes d’ores et déjà entrés dans la sixième extinction de la vie sur Terre, avec de graves conséquences pour l’alimentation, l’eau potable et l’air dont dépend l’humanité.

Un cancre nommé Canada

Normand Mousseau, directeur de l’Institut de l’énergie Trottier à l’école Polytechnique, estime que « le Canada est le seul pays du G7 où les émissions ont augmenté »[1]. C’est connu, l’extraction pétrolière, notamment celle qui provient des sables bitumineux, a connu une croissance extraordinaire (+200 % depuis 2005). Plus encore, selon les projections actuelles, la production de pétrole et de gaz devrait augmenter davantage jusqu’en 2039. Lors de la rencontre convoquée par Biden, Justin Trudeau a promis de réduire ses émissions de 45 % d’ici à 2030. Le même jour, le gouvernement fédéral déposait son projet de budget prévoyant 17,6 milliards de dollars pour décarboniser les entreprises, voir à la conservation des sols et des eaux, de même qu’accorder des prêts aux propriétaires d’habitations qui voudraient faire des rénovations pour réduire leurs besoins énergétiques. « C’est trop peu trop tard », selon Bruce Campbell de l’Université York, qui estime qu’on ne touche pas à l’essentiel, ce qui impliquerait de programmer la réduction drastique de la production et de l’exportation de pétrole et de gaz[2].

Tout un défi pour le mouvement écologiste

Mobilisée depuis des années à l’échelle locale et internationale, la mouvance écologiste semblait partie pour la gloire avec les immenses manifestations partout dans le monde, dont le demi-million de personnes à Montréal le 27 septembre 2019. Depuis un an, la pandémie a mis le monde au ralenti. Pour autant, plusieurs initiatives sont en préparation, mais également des débats qui traversent le mouvement, comme on a pu le constater lors d’une rencontre virtuelle organisée par Révolution écosocialiste le 22 avril.

Selon Roger Rashi, membre du Réseau militant écologiste de Québec solidaire (RMÉ-QS)[3] et de Révolution écosocialiste, il faut mettre de l’avant une vision « trans-environnementale » dans un sens, puisque comme l’explique Nancy Fraser, « sous le capitalisme, l’environnementalisme dépasse les questions climatiques et embrasse toute la société ». Cette perspective écosocialiste n’est cependant pas la seule à prendre place dans la grande famille écologiste. La tendance sans doute la plus importante est celle qui prône ce que Roger qualifie de réforme managériale, d’orientation sociale-démocrate. « Il s’agit de réformer le capitalisme, comme l’espèrent la social-démocratie européenne, la direction des grandes organisations syndicales et quelques grandes ONG locales et internationales ». À côté de ce projet surgit une proposition plus populaire et radicale. « Il s’agit d’une vision carrément anti-néolibérale et transformatrice, qui exige des réformes en profondeur, inspirée par Bernard Sanders et Naomi Klein, et même certaines organisations qui se sont radicalisées ces dernières années comme Greenpeace ». Enfin, on voit une tendance écosocialiste dans certains partis de gauche et des mouvements radicaux comme Extinction Rebellion, qui veulent créer un monde post-capitaliste brisant la logique du capital et misant sur de nouveaux rapports sociaux entre les humains et entre ceux-ci et la nature[4]. Pour cela, estime Roger, il faut une grande alliance, un grand bloc populaire contre-hégémonique, dans le cadre d’une lutte globale et à long terme.

Recomposition du mouvement

La mouvance écologique a beaucoup évolué ces dernières années avec la conscientisation de millions de personnes. Marie-Josée Béliveau du Collectif Femmes pour le climat (également membre du RMÉ-QS) a exploré d’autres voies inspirées par les femmes et les actions de résistance active, comme celle qui en 2015 avait encerclé et bloqué la raffinerie Suncor à Montréal, et où les femmes « ont constitué un mur symbolique avec leurs corps », ce qui avait résonné dans l’opinion publique. Pour Elizabeth Béfort-Doucet et François Gendron, du réseau La planète s’invite au parlement, il reste nécessaire de s’ancrer davantage à la base. « Les changements nécessaires sont énormes, remettant en question notre mode de vie. Des millions de personnes doivent comprendre cela ». Ils notent qu’au moment de la mobilisation de septembre 2019, plus de 7 500 travailleurs et travailleuses au Québec s’étaient mis en grève. Ils pensent possible et nécessaire de changer la perspective dans les milieux de travail en développant des lieux de mobilisation indépendants travaillant avec les syndicats, mais sur une base indépendante. Béfort-Doucet et Gendron misent sur des expériences en cours comme la Coalition intersectionnelle féministe des métiers de soins[5] qui mobilise à la fois sur les questions de CARE et sur les changements climatiques.

Les prochains rendez-vous

Il y aura dans la prochaine période toutes sortes de résistance au Québec, notamment contre le projet GNL. Les étudiants et les étudiantes regroupés par la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES[6]) vont reprendre le chemin de la mobilisation si les institutions postsecondaires peuvent rouvrir. Dans la mesure où la pandémie va reculer, il y aura d’ici la fin de l’année le retour des mobilisations, « peut-être plus sous une forme décentralisée » selon Gendron. Fait à noter, une coalition internationale est à l’œuvre pour préparer une mobilisation citoyenne à l’occasion de la COP-26 qui aura lieu en novembre prochain et où on parle d’une journée mondiale de grèves et de protestation[7].

Une autre initiative dont il faudra tenir compte provient d’un nouveau Réseau, La vague écologiste au municipal, qui veut renforcer la démocratie participative et accélérer la transition écologique dans le monde municipal qui sera en élections l’automne prochain. Plutôt que de constituer un parti politique, ce réseau espère mobiliser des personnes et des organisations locales, ville par ville, avec une plateforme de partage de connaissances et d’outils pour les candidats et candidates[8].

 

[1] The Conversation, 6 avril 2021.

[2] The Conversation, 22 avril 2021.

[3] Sur le RMÉ-QS : Bernard Rioux, « Plan de transition et démocratie économique », Presse-toi-à-gauche, 29 avril 2020, < https://www.pressegauche.org/Les-conditions-du-la-democratie-economique-et-d-une-transition-veritable>. Sur Révolution écosocialiste, voir « Révolution écosocialiste, un nouveau projet », Nouveaux Cahiers du socialisme, 24 novembre 202, < https://www.cahiersdusocialisme.org/quest-ce-quest-la-revolution-ecosocialiste/?fbclid=IwAR0C_iBFQ394UuxeVeK4hd_B3XuYyz6kh4hWQo58y30Mv_0oRuSOz6k8BIQ>

[4] Michael Lowy, Qu’est-ce que l’écosocialisme ? Le temps des cerises, 2020

[5] https://www.facebook.com/photo/?fbid=10157961453068873&set=p.10157961453068873

[6] http://www.ceves.ca/

[7] https://cop26coalition.org/resources/

[8] https://vagueecologistemunicipal.com/qui-sommes-nous/

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