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Défis de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture

Entretien avec João Pedro Stedile *

Le 26 juin 2011, José Graziano da Silva, ancien ministre de la sécurité alimentaire et de la lutte contre la faim du gouvernement Lula (2003-2010) et promoteur du programme « Faim zéro » au Brésil, est devenu le nouveau directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Dans cet entretien, João Pedro Stedile (membre de la coordination du Mouvement des sans terre – MST – et de Vía Campesina Brésil) revient sur cette élection et aborde la question des problèmes alimentaires dans le monde.

Propos recueillis par Fabiana Frayssinet [1].

FF : Quelle importance revêt l’élection d’un Brésilien, et non d’un Européen, comme directeur général de la FAO ?

JPS : C’est un symbole important pour les mouvements sociaux brésiliens. Lors de la fondation de la FAO dans les années 1950, un Brésilien, Josué de Castro, homme de combats et auteur d’une thèse consacrée à la géographie de la faim, et qui mourut en exil pendant la dictature militaire dans notre pays, fut le premier directeur général de cette institution.

Aujourd’hui, cette responsabilité revient de nouveau à un Brésilien qui défend la réforme agraire et lutte, lui aussi, contre la faim dans le monde.

L’élection de José Graziano da Silva à ce poste a aussi une signification politique. En effet, sa candidature a été soutenue par les pays du Sud, les pays pauvres et agricoles, contre celle du capital et des multinationales. Ces derniers étaient représentés par un candidat espagnol, Miguel Angel Moratinos, qui, lui, ne voulait rien changer.

 

FF : Quels sont les défis auxquels sera confronté José Graziano da Silva ?

JPS : Il y en aura beaucoup devant lui. La FAO est une institution intergouvernementale moralement disqualifiée après avoir promu, depuis les années 1960, la prétendue « révolution verte » qui a abouti, en définitive, à l’augmentation du nombre de gens affamés dans le monde.

Ce sont aujourd’hui près d’un milliard de personnes qui ne mangent pas à leur faim chaque jour. Selon moi, le rôle de la FAO devrait être d’élaborer des propositions de politiques agraires et agricoles garantissant la souveraineté alimentaire dans tous les pays du monde. Chaque peuple doit bénéficier des conditions lui permettant de produire ses propres aliments sur son territoire. Pour cela, les gouvernements doivent mettre en place des politiques agraires et agricoles correctes. La FAO doit réunir des experts sérieux du monde entier, entendre la voix des mouvements paysans et construire ses propositions en accord avec les réalités de chaque pays et de chaque peuple.

 

FF : Quels enseignements la FAO peut-elle tirer du programme “Faim zéro” du Brésil ? Que doit-elle éviter ?

JPS : La principale contribution du programme “Faim zéro” s’inscrit dans la dynamique d’une politique de sécurité alimentaire. Ceci est différent d’une politique de souveraineté alimentaire. On parle de sécurité alimentaire lorsque les gouvernements assument la responsabilité de ne pas laisser sans nourriture leurs populations.

Ici au Brésil, le programme ” Bolsa familia” (Bourse familiale) a sorti de la faim 10 millions de familles, soit près de 40 millions de personnes ! Cela serait déjà un premier pas si tous les gouvernements développaient une telle politique. Mais celle-ci doit être considérée comme une politique temporaire, d’urgence, faite pour en finir avec les ravages de la faim pour un milliard de personnes.

Ensuite, il faudra mettre en place des politiques permettant d’accéder à la souveraineté alimentaire, c’est à dire des politiques permettant que, dans chaque pays, soient produits les aliments de base nécessaires à la population. Il faut que le dépassement de la faim s’appuie sur des mesures structurantes et pérennes de manière à ce que les personnes qui en bénéficient ne restent pas toute leur vie dans un état de dépendance vis-à-vis des aides gouvernementales.

FF : Comment empêcher une nouvelle crise mondiale alimentaire et une augmentation des prix des aliments ?

JPS : La crise alimentaire a plusieurs causes fondamentales. Tout d’abord, il existe un contrôle oligopolistique exercé par quelques entreprises multinationales sur le marché mondial des céréales, de la viande, du lait, etc. Ces dernières contrôlent ainsi les prix et imposent leurs conditions avec pour objectif principal et affiché le profit.

Ensuite, les aliments se sont transformés en simples marchandises dans le capitalisme financiarisé. Dans ce contexte, les récoltes et les approvisionnements sont utilisés comme sources de spéculation boursière. C’est pour cela qu’on peut dire que celui qui contrôle les Bourses contrôle les prix. Il se dit que se sont déjà vendues l’équivalent des cinq prochaines années de récoltes de grain dans les Bourses !

A cela, il faut ajouter le fait que nous vivons sous le régime d’une agriculture industrielle qui se révèle toujours plus dépendante du pétrole. A chaque fois qu’augmente le prix de ce dernier augmentent aussitôt les prix des engrais, les coûts, les prix des marchandises agricoles.

Enfin, dans beaucoup de pays qui ont connu la “révolution verte”, l’agriculture est devenue monoculture. Les paysanneries ont été détruites et les paysans ont été expulsés des champs. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la population des villes est devenue plus importante que la population rurale. Les paysans ont toujours été les principaux producteurs d’aliments dans tous les pays. Si la politique du capital conduit à l’exode et aux expulsions paysannes, il est évident que l’offre d’aliments, pour ces ruraux mais également pour les citadins, diminue.

Au sein des mouvements du réseau international de la Via Campesina, nous défendons des politiques internationales capables de contrôler l’ensemble de ces paramètres. Nous partons du principe que l’alimentation n’est pas une marchandise, mais un droit pour chaque personne. Les gouvernements devraient agir pour stimuler, dans un premier temps, la production d’aliments afin que chaque pays puisse produire directement ce dont il a besoin pour nourrir sa population.

Dans cette perspective, le commerce agricole international ne doit concerner que les excédents de chaque pays. Nous devons également promouvoir des politiques qui valorisent le monde paysan. Cela passe notamment par la mise en place d’une réforme agraire et l’amélioration des conditions de vie dans les campagnes afin que les paysans restent en milieu rural et puissent produire des aliments propres sans agrotoxiques et développer des formes de propriété coopératives pour ne pas tomber entre les mains des multinationales.

Nous devons aussi empêcher l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de développer des accords pour réguler l’agriculture et l’alimentation. Cette institution n’a aucun mandat ni aucune légitimité pour imposer des décisions aux peuples.

Nous proposons de réorienter le mode de production agricole dans le monde entier en appliquant les techniques de l’agroécologie à grande échelle. Il faut promouvoir la recherche et encourager l’ancrage rural afin d’éviter la “pétrolisation” de l’agriculture.
Chaque gouvernement doit avoir le contrôle absolu des stocks d’alimentation.

Il est évident que de telles politiques ne peuvent dépendre uniquement de la FAO, mais elles exigeront une véritable articulation mondiale des mouvements paysans, des organisations sociales, des experts, de l’opinion publique et des gouvernements progressistes. Et ce, afin de pouvoir accumuler suffisamment de forces et imposer les changements nécessaires face aux intérêts des entreprises multinationales qui sont les uniques bénéficiaires de la crise alimentaire et de l’augmentation des prix des aliments.

FF : Selon vous, les agrocarburants sont-ils responsables de cette nouvelle crise ?

JPS : L’expansion des cultures de plantes pour produire des agrocarburants contribue à l’augmentation des prix des aliments bien que cela soit seulement l’une des causes parmi celles que j’ai mentionnées précédemment.

Plusieurs pays, comme le Brésil, sont en train d’agrandir – sur des territoires constitués de bonnes terres – leurs surfaces destinées à la production de la canne à sucre pour en faire de l’éthanol. Dans d’autres pays, ce sont d’autres monocultures qui sont développées. Celles-ci affectent l’équilibre des écosystèmes et les conditions climatiques de la planète. Elles détruisent toute la biodiversité de ces territoires désormais occupés par ces immenses plantations.

Le prix de l’éthanol étant adossé à celui du pétrole, cette production représente un profit extraordinaire pour celui qui en a la propriété. Et ce profit extraordinaire de l’éthanol tire les prix de tous les produits agricoles vers le haut… En effet, selon les lois de l’économie politique, les prix élevés de l’éthanol influent directement sur le prix de tous les produits agricoles, dans notre pays et dans le monde.

 * Joao Pedro Stedile est membre de la coordination du Mouvement des sans terre (MST) et de Vía Campesina Brésil.

Traduction et édition : Mémoire des luttes

Notes

[1] Pour IPS, Rio de Janeiro, 27 juin 2011.

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