Lors de l’Université d’été des NCS, plusieurs discussions ont eu lieu sur l’état du mouvement populaire, ses forces et ses faiblesses, ses avancées et ses reculs. Pour sûr, la grande grève étudiante de 2005 apparaît pour à peu près tout le monde comme un «moment fort» des mobilisations sociales, au même titre, par exemple, que la Marche des femmes (1995) et le Sommet des peuples des Amériques (2001). Selon, Xavier Lafrance, qui a été un des animateurs de l’ASSE, qui était si on peut dire le centre de gravité de cette grève, il y a plusieurs leçons à tirer de cette lutte. D’emblée, la grève a été en continuité avec les grandes mobilisations étudiantes des 30 dernières années exprimant le principe d’un syndicalisme combatif démocratique. Dans cette tradition explique Lafrance, «l’éducation est un droit et non un privilège», constamment menacé et miné par les élites. Le mouvement étudiant est donc conscient des rapports de forces que cela implique, mais ce rapport de forces n’est jamais figé : »Le mouvement social est un acteur et non pas seulement un spectateur. Il modifie les rapports de forces par ses mobilisations, son organisation, sa conscience : accepter la défaite, le statu quo, sous prétexte que les dominants sont puissants, n’est pas une optique». On pourrait rappeler la remarque laconique de Bertold Brecht : «Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu.
Une des ruptures importantes de la grève de 2005 a été l’implication de la base. Plusieurs syndicats étudiants jouent traditionnellement le jeu du lobby, de l’influence, des experts et des tractations secrètes. Lors de la grève de 2005, les syndicats FAEUQ et FAEQ refusaient d’expliquer à leurs membres ce qui se passait dans les négociations. «Dans cette perspective, seuls les dirigeants connaissent la «game», selon Lafrance, et les membres sont au mieux un facteur dont il faut tenir compte et au pire un irritant». C’est l’inverse pour le syndicalisme militant. Le point de départ est «la défense et les conquêtes des acquis sociaux passe par la mobilisation sans se modérer et accepter le statu quo».
Cette perspective s’inscrit dans celle de l’auto-émancipation évoquée par Karl Marx et qui implique que la transformation sociale, ou la lutte pour le socialisme si l’on veut, est une lutte par en bas : «L’émancipation ne peut être décrétée ni octroyée. En entrant en lutte en tant qu’acteurs, les individus entrent dans un processus d’auto transformation, de radicalisation. Ils construisent la délégitimation du pouvoir auquel ils font face». Certes dans cette lutte, «on se change soi même, on change les rapports sociaux. On développe de nouvelles capacités d’organisation». Selon Lafrance, «se rassembler n’est pas seulement un moyen pour gagner des acquis, mais un goût de la collectivité».
En 2005, les étudiants n’ont pas gagné toutes leurs revendications ni réussi à abolir l’essentiel de la «réforme» du gouvernement qui transfert aux étudiants et aux familles le coût de l’éducation supérieure. Mais des gains ont quant même été indéniables : le retour des sommes payées par les étudiants et un certain réinvestissement dans le système, ce qui enfin de compte a bloqué l’explosion de l’endettement étudiant. Plus encore, la grève a ressuscité un débat de société, y compris en plantant l’idée de la gratuité scolaire, au centre de la question de l’accès à l’éducation. «Bref, cela a été une défaite partielle du néolibéralisme dans la grande bataille des idées». Aurait-on pu aller plus loin ? «Probablement que oui, mais il aurait fallu une plus grande implication des diverses composantes du mouvement social».
En conclusion, Lafrance a rappelé qu’il n’y a aucun substitut à une telle mobilisation populaire. Qu’un gouvernement soit de gauche ou de droite, rien ne peut subvenir sans un mouvement populaire organisé et combatif. Il estime même que la progression de Québec solidaire dépend, dans une large mesure, d’une montée des luttes populaires.