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Rio+20 : le futur que nous ne voulons pas

Les premières négociations sur le projet d’accord qui sera adopté à Rio, lors de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (sommet Rio+20) ont commencé la semaine passée. Les militants altermondialistes et écologistes se sont de leur côté retrouvés à Porto Alegre (Brésil), pour préparer leur participation à ce sommet, et discuter, entre autres, quelle option choisir parmi les suivantes: contribuer au processus de négociation, se situer «un pied dedans, un pied dehors», tenter de bloquer les négociations.

Les mirages de l’économie verte

L’avant-projet d’accord (intitulé «Le futur que nous voulons») avait été rendu public peu avant par le secrétariat des Nations Unies. Ce texte, qui ne devrait évoluer qu’à la marge d’ici juin, entend promouvoir l’économie verte comme alternative aux impasses d’un capitalisme débridé, destructeur des écosystèmes. Il s’agit en quelque sorte d’étendre ce que le précédent sommet de Rio, en 1992, avait enclenché avec le “développement durable”. Ce dernier était censé être un compromis entre le développement, perçu comme indissociable de la croissance et du productivisme, et la nécessaire protection des écosystèmes. Il prenait corps dans un plan d’action (Agenda 21), plusieurs milliers de recommandations et trois conventions (sur le changement climatique, la biodiversité et la désertification). C’est par exemple à Rio qu’avait été reconnu le principe d’une “responsabilité commune mais différenciée” des États dans le réchauffement climatique – les pays industrialisés admettaient ainsi leur responsabilité historique et s’engageaient à réaliser les efforts les plus importants dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Las, ces dernières n’ont cessé d’augmenter, à tel point que les prévisions les plus pessimistes en terme de réchauffement climatique semblent en deçà de la réalité ; tandis que la biodiversité n’a cessé de reculer, les forêts d’être détruites et les déserts d’avancer. Les trois conventions issues du Sommet de la Terre ont donc largement échoué à remplir leurs objectifs.

Le processus des Nations Unies jouit cependant toujours d’une excellente réputation auprès des organisations de la société civile, disposées à jouer le jeu des négociations officielles. Les arènes onusiennes sont, en théorie du moins, les derniers bastions du multilatéralisme, et la société civile est associée (à titre consultatif) aux négociations. L’enjeu est en outre tellement important (ni plus ni moins que l’avenir de la planète) qu’il serait irresponsable de s’opposer à un processus ouvert de négociations.

La donne a néanmoins commencé à changer au moment du sommet de Copenhague (2009). Plusieurs coalitions y ont alors opté pour des stratégies de confrontation et de blocage des négociations, à tel point que certains militants ont comparé Copenhague à Seattle (blocage total du sommet de l’OMC, en 1999, qui devait marquer l’émergence médiatique du mouvement altermondialiste). Il devenait en effet évident que les pays industrialisés se refusaient à assumer leurs responsabilités, préférant tergiverser plutôt que d’engager la transition vers une société réellement durable.

Le mirage de la géoingénierie

Officiellement, le sommet officiel Rio+20 est entièrement dédié à la préparation de cette transition – au moyen, donc, de la conversion de l’économie “brune” en une économie “verte”. En théorie, le projet est donc séduisant, et devrait rallier l’ensemble des militants, y compris les plus radicaux.

Mais, à lire de près le “draft zero” des négociations, Rio+20 apparaît plutôt comme étant l’un des derniers chaînons de la marchandisation du monde. L’enjeu du sommet est en effet d’entendre les mécanismes de marché (incluant la brevetabilité) à l’ensemble du vivant. Il n’est pas question de définir un ensemble de règles encadrant strictement l’exploitation de la nature par les humains, mais de la déréglementer un peu plus, et de la transformer définitivement en un ensemble de biens que pourraient s’échanger les multinationales désireuses de s’accaparer le « capital naturel » et de commercialiser les « services rendus par la nature ».

Car le projet d’accord ne se fonde pas sur la volonté de tendre vers des sociétés énergétiquement sobres et respectueuses des écosystèmes : il en organise le refus. La géoingénierie, les nanotechnologies et la biologie synthétique doivent ainsi permettre d’apporter des solutions techniques aux problèmes que posent la perte de biodiversité et le changement climatique, tout en ouvrant de nouveaux marchés. Pour le dire autrement, il s’agit d’inventer un monde de l’après-pétrole dans lequel la raréfaction des énergies fossiles ne serait pas compensée par une transition vers des sociétés moins prédatrices, mais par l’utilisation des ressources biologiques, afin de continuer à faire croître la production industrielle.

De Seattle à Rio

Pablo Solon, ancien ambassadeur de la Bolivie aux Nations Unies, et à ce titre chef de la délégation bolivienne dans les négociations climat, était à Porto Alegre. Il y expliquait que Rio+20 revenait à prolonger et étendre au vivant la logique qui était au cœur de l’ALCA (Zone de Libre Échange des Amériques). De manière plus générale, l’économie verte, telle que conçue dans le cadre de l’ONU, s’apparente en effet aux grands projets de traités organisant la dérégulation et la marchandisation des services publics contre lesquels les altermondialistes se sont mobilisés, du milieu des années 90 au début des années 2000 : Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI), Accord Général sur le Commerce des Services, etc. dont ils étendent les principes à la nature.

Le parallèle avec les grandes mobilisations altermondialistes peut par ailleurs être poussé plus loin. La plupart des ressources en biomasse (terrestres comme aquatiques) se trouvent en effet dans les pays du Sud, dans des territoires occupés par des peuples et tribus indigènes, des petits paysans, des communautés de pécheurs, etc. Le projet d’accord du sommet Rio+20 s’apparente donc tout autant à un traité de l’OMC, ou à un plan d’ajustement structurel, qui détruisent les systèmes sociaux (et, à l’avenir, les écosystèmes) des pays les moins favorisés au profit des pays les plus industrialisés et des grandes firmes multinationales.

Bien sûr, l’accord passé à Rio n’aura pas la même force que traités de libre échange : il ne sera pas contraignant. Mais il définira le cadre dans lequel seront discutés les accords à venir – au sein de l’ONU, mais aussi de l’OMC, ou encore via des accords régionaux ou bilatéraux. Il donnera du poids aux entreprises face aux barrières que les collectivités locales, les États ou les institutions internationales voudraient maintenir ou renforcer.

Dans la mesure où certaines puissances du Sud (comme le Brésil) sont tentées de voir là une source de revenus, et une occasion de finir de grignoter ce qui reste de l’hégémonie occidentale, il n’est guère probable qu’un front des pays émergents vienne contrecarrer ce projet.

Les alternatives sont pourtant nombreuses. Elles s’appuient sur des expériences concrètes, couplées à un long et dense travail d’élaboration. «L’accord des peuples», issu du sommet alternatif de Cochabamba (printemps 2010), de même que les travaux des réseaux internationaux travaillant sur les biens communs forment ainsi le socle de ce que pourrait être une politique du climat et de l’écologie qui ne renonce pas à la justice sociale.

Leurs propositions n’ont malheureusement aucune chance d’être adoptées dans le cadre du processus Onusien. La société civile n’a de ce fait rien à gagner à ne faire que suivre les négociations de l’intérieur. Elle a donc tout intérêt à mettre au moins un pied dehors – et ne devrait pas rejeter la possibilité d’adopter une stratégie disruptive, à l’instar de ce qui avait été fait à Seattle ou contre l’Accord Multilatéral sur l’investissement. Il s’agit sans doute de la seule manière de réaffirmer avec détermination que non, le monde et la nature ne sont définitivement pas des marchandises.

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