Il y a tout juste un an, à 16 h 53, heure locale, un tremblement de terre d’une magnitude de 7 sur l’échelle de Richter dévastait Haïti. En une minute, le séisme avait transformé la capitale Port-au-Prince et sa région en un champ de ruines. Des chiffres effroyables résument en partie ce désastre : 222 570 morts, 300 000 blessés, plus de 2,3 millions de personnes déplacées ; plus de 390 000 bâtiments détruits, dont 180 000 maisons, ainsi que le palais présidentiel, le Sénat, l’Assemblée nationale et la quasi-totalité des ministères ; des dégâts estimés à plus de 8 milliards de dollars.
Un homme sur les ruines de Port-au-Prince, le 27 janvier 2010.AFP/FRED DUFOUR
Ce séisme a été de loin la catastrophe naturelle la plus meurtrière en 2010. Mais la petite île des Caraïbes, pays le plus pauvre d’Amérique, a également dû faire face à une épidémie “brutale et massive” de choléra qui a fait plus de 3 600 morts, au passage de l’ouragan Tomas et à une crise politique ayant abouti à une flambée de violences et à la paralysie du processus électoral.
Pour rendre hommage aux victimes, les autorités haïtiennes ont décrété que le 12 janvier sera un “jour national du souvenir et du recueillement”. Les drapeaux seront mis en berne, ce qu’il reste des administrations et des écoles sera fermé et un mémorial sera érigé près des ruines du palais présidentiel. Ce sombre anniversaire est l’occasion pour les très nombreuses ONG présentes sur le terrain de faire un bilan de leur action. Beaucoup soulignent que la vie au quotidien pour beaucoup d’Haïtiens reste effroyable et que le chemin de la reconstruction sera extrêmement long. Une situation due autant à l’accumulation de catastrophes naturelles qu’aux dysfonctionnements des structures officielles, qu’elles soient locales ou internationales.
“La reconstruction prendra un temps indéfini”. Comment reconstruire un pays dont les infrastructures centrales ont été quasiment détruites ? Par où commencer ? Un an après, les autorités haïtiennes et le milliers d’ONG présentes sur place n’ont toujours pas de réponse claire. “La tâche de reconstruction d’Haïti sera lourde et prendra du temps, un temps indéfini”, a lâché Jacques Gabriel, ministre des travaux publics, des transports et de la communication. Pour pouvoir agir, nous attendons le plan. Dans cinq ans, on commencera à voir apparaître le nouveau visage de la capitale”.
Pour l’ONU, 650 000 personnes seront toujours sinistrées à la fin 2011.AFP PHOTO / Hector RETAMAL
Actuellement, 800 000 personnes, dont plus de 300 000 enfants, vivent toujours dans les ruines de Port-au-Prince et dans les 1 150 camps précaires bâtis aux alentours de la capitale et dans le sud de l’île. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) souligne que la construction de nouveaux logements a bénéficié à plus de 200 000 sinistrés ces derniers mois. Une tendance positive qu’il faut toutefois atténuer : seuls 5 % des 20 millions de m3 de débris ont été évacués jusqu’ici et l’ONU estime que 650 000 personnes seront toujours sinistrées à la fin 2011.
Pointée du doigt, la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH). Cet organisme, coprésidé par l’ancien président américain Bill Clinton et le premier ministre haïtien, Jean-Max Bellerive, est censé coordonner la distribution d’aide internationale et de rationaliser les opérations de reconstruction. “Jusqu’à présent, la commission n’a pas été à la hauteur de son mandat”, a constaté Roland Van Hauwermeiren, directeur de l’ONG Oxfam en Haïti. Il déplore notamment le manque de coordination entre les pays donateurs et le gouvernement haïtien, qui “a eu pour effet d’affaiblir très sérieusement la capacité du gouvernement à planifier et à tenir ses engagements”.
Un exemple parmi d’autres : “la plupart des pays donateurs ont débloqué des fonds pour des logements de transition mais très peu d’argent pour déblayer les décombres ou réparer les maisons”. Or, sans déblaiement préalable, “la construction des maisons à grande échelle ne peut pas commencer”, explique M. Van Hauwermeiren. L’arrivée des fonds promis par la communauté internationale pose également problème. Sur 2,1 milliards de dollars attendus en 2010, seuls 882 000 dollars ont été utilisés (42 %). La communauté internationale a promis 5,3 milliards de dollars pour les années 2010 et 2011, et le montant devrait grimper à 10 milliards d’ici à 2012.
Un “élan de générosité extraordinaire”, de l’aveu même de Médecins du monde, qui n’a pas forcément porté ses fruits. Action contre la faim, autre ONG présente sur place, met en cause l’absence de “vision stratégique” du gouvernement haïtien, qui oblige “à maintenir des actions d’urgence non pérennes et extrêmement coûteuses dans l’objectif d’offrir une réponse minimale”. Les Nations unies ont affirmé que la reconstruction d’Haïti “sera la priorité absolue pour 2011”, tout en rappelant que le processus devrait prendre “des mois, si ce n’est des années”.
Le choléra, deuxième catastrophe. Neuf mois après le séisme, les habitants d’Haïti ont du faire face à un autre fléau : une épidémie “brutale et massive” de choléra, qui a touché 171 304 personnes et en a tué 3 651, selon un dernier bilan de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pire : l’organisation estime que le pic de propagation du choléra n’a pas encore été atteint et qu’il pourrait y avoir jusqu’à 400 000 cas dans les douze prochains mois. Toutefois le taux de létalité est en baisse.
L’épidémie de choléra a coûté la vie à 3 651 personnes et touché 171 304 autres, selon un dernier bilan de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).AFP/HECTOR RETAMAL
Ce téléscopage de catastrophes naturelles – l’ouragan Tomas a également frappé le sud de l’île en novembre – a fortement perturbé les opérations de secours et de reconstruction, chaque catastrophe aggravant les conséquences de la suivante. “L’épidémie est apparue avant le passage de Tomas, a confié au Monde.fr Violaine Dory, du Comité catholique contre la faim et pour le développement [CCFD]. Mais avec l’ouragan, tout s’est accéléré.”
Plus grave, cette épidémie a créé une cassure entre les personnels étrangers et la population, qui accusait ces derniers d’avoir importé la maladie, à tel point qu’un centre de MSF a été caillassé par des manifestants fin octobre au nord de Port-au-Prince. Un rapport confidentiel réalisé par le professeur Renaud Piarroux, révélé et diffusé (PDF) par Le Monde, est venu confirmer cette hypothèse. Il affirme que la bactérie mortelle à l’origine de l’épidémie provenait du camp de soldats népalais de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah).
Grégory Bulit, de l’ONG Solidarités International, expliquait au Monde.fr qu’il existait alors “un amalgame entre la Minutsah et les ONG”. “La population pense que les Blancs ont apporté le choléra. Il y a comme un malaise vis-à-vis de l’étranger. On éprouve donc des difficultés à sensibiliser la population est à faire accepter le fait qu’un centre de traitement du choléra ne va pas importer la maladie mais aider à la prévenir”, confiait-il.
Une instabilité politique néfaste. Dans le chaos de la reconstruction, l’instabilité politique a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les différends sont d’abord apparus entre les autorités locales et organisations internationales. D’un côté, les ONG devaient contourner les blocages au sein des instances gouvernementales tout en bénéficiant de la confiance des bailleurs de fonds qui redoutaient la corruption des élus locaux. De l’autre, le gouvernement redoutait que ces organisations internationales ne finissent par diriger le pays.
Un partisan de Michel Martelly, en décembre à Petion-Ville.AFP/HECTOR RETAMAL
“On a fait ce qu’on devait faire”, a assuré Stefano Zannini, chef de la mission de MSF en Haïti, à propos de l’attitude de son ONG juste après le séisme. A ses yeux, il est désormais “temps de mettre en place des efforts à long terme et que d’autres acteurs interviennent”, notamment le gouvernement du président René Préval. Or, la classe politique haïtienne ne semble pas avoir les moyens de prendre seule en main la situation. Elle a passé les derniers mois à s’entredéchirer, exacerbant la désorganisation dans le pays.
L’Union européenne se dit “extrêmement préoccupée par la situation politique” sur l’île, estimant que “l’instabilité actuelle empêche l’aide humanitaire de l’UE d’atteindre les personnes dans le besoin et ralentit et complique le processus de reconstruction”. Bruxelles, premier bailleur de fonds en faveur de Haïti, s’est engagé à hauteur de 1,2 milliard d’euros.
Après le premier tour de l’élection présidentielle, le 28 novembre, l’île a été le théâtre de manifestations violentes. Les partisans de Michel Martelly, candidat arrivé troisième derrière Mirlande Manigat (31 %) et Jude Célestin (22 %), contestaient ces résultats provisoires qui éliminaient leur candidat. Les principaux candidats ont évoqué des fraudes massives en faveur de Jude Célestin, dauphin du président René Préval. Plusieurs semaines d’incertitude et de violence sporadique ont suivi, laissant craindre le pire. L’ancien président Boniface Alexandre n’hésitait pas a évoquer la possibilité d’“une guerre civile”.
Alors que le deuxième tour opposant Célestin et Mirlande Manigat doit avoir lieu le 16 janvier, l’Organisation des Etats américains (OEA) vient tout juste de diffuser un rapport préconisant le retrait du premier au bénéficie de Michel Martelly. Le président Préval a refusé de commenter le document, ajoutant que dans ces conditions il ne “pouvait plus” quitter le pouvoir le 7 février, date à laquelle il devait théoriquement laisser son poste.
Luc Vinogradoff