Vers le Forum social de Dakar

Depuis déjà deux ans, le Forum social mondial s’est engagé à tenir sa huitième édition à Dakar (Sénégal). Cette décision a été validée par le conseil international du FSM, composé d’une centaine de mouvements sociaux d’un peu partout dans le monde, et qui se réunit régulièrement, comme à Montréal en octobre 2009. Le FSM de 2011 est donc en voie d’être organisé sous la responsabilité d’un secrétariat sénégalais appuyé par le Forum social africain.

Pourquoi Dakar ?

Ce sera la deuxième fois que le FSM aura lieu en Afrique, la première fois ayant été à Nairobi (Kenya) en 2007. Lors de cette première expérience africaine, les problèmes ont été nombreux au niveau organisationnel et logistique, mais aussi au niveau politique. En fin de compte, le FSM de Nairobi, au lieu d’être un espace de convergence des mouvements sociaux kenyans et africains a été un «évènement», une série de conférences. Il est vrai que pour jouer pleinement son rôle, le FSM ne peut qu’être le miroir des réalités locales (ou régionales), un outil de facilitation, et non un substitut. En réalité, les mouvements kenyans n’étaient pas prêts pour une telle aventure. Ils n’ont pas été secondés par ailleurs par les mouvements des pays environnants où sévissent diverses crises, et où les organisations populaires sont faibles, voire désarticulées.

Le choix de Dakar a donc été fait après certains débats. Les mouvements sociaux dans la partie ouest de l’Afrique, notamment dans les pays sahéliens (Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie) ont effectivement acquis une certaine force depuis quelques années. Ils tentent de développer des alternatives dans le contexte d’États semi-démocratiques et sous la coupe des institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le FMI. La tâche, on peut l’imaginer, n’est pas facile.

Au Sénégal comme tel, on note une certaine effervescence dans divers secteurs. Des luttes urbaines se font autour de l’accès à l’électricité et les services sanitaires, dans une ville qui est en fait un bidonville pour la grande majorité des habitants et où prolifèrent réseaux et organisations comme le Comité d’Initiative pour une Mobilisation Alternative Citoyenne. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les mouvements populaires ont acquis une certaine force dans le domaine paysan, au niveau de l’éducation, via les réseaux de radios communautaires. Dans plusieurs pays voisins, il y a également des luttes dures pour la démocratie, en Côte d’Ivoire, au Nigeria, notamment. Le processus du Forum social existe dans ces pays où se sont tenus des Forums nationaux et régionaux. Relativement proche également, il y a le processus du Forum social maghrébin où sont actifs les organisations marocaines, principalement. Enfin, des mouvements se développent dans d’autres pays africains, principalement dans des luttes contre les politiques néolibérales, en Afrique du Sud, au Mozambique, en Zambie, par exemple.

Partout cependant, le processus est encore embryonnaire. Les réseaux sont encore en voie de formation, handicapés par les «démocratures» qui ne cessent d’intervenir dans le monde associatif pour réprimer, contrôler, réprimer, faire disparaître des militants trop actifs, etc. On reste sur le fil du rasoir.

L’influence des ONG

Il y a aussi beaucoup d’autres obstacles devant les mouvements sociaux africains. Les partis de gauche sont également faibles, ou encore, comme c’est le cas en Afrique du Sud, cooptés par le pouvoir (le Parti communiste sud-africain œuvre avec l’ANC). De profondes divisions, certaines découlant des fractures régionales et communautaires au sein des divers États, éparpillent la gauche en de micro mouvements, souvent hostiles les uns aux autres. Il y a cependant des exceptions positives, comme le mouvement SADI au Mali, bien ancré sur les mouvements sociaux.

Sur un autre registre, l’Afrique est le continent où prolifèrent les organisations non-gouvernementales, qui sont hétérogènes et ne constituent pas un «mouvement» au sens propre du terme. Les ONG sont souvent des initiatives locales, animées par une communauté, des personnalités (plus ou moins proches de l’État) et qui veulent améliorer la vie des gens, sans nécessairement exprimer une volonté de transformer les structures qui génèrent la pauvreté et l’exclusion. Encore là il y a des exceptions, comme l’organisme Alternative citoyenne à Niamey (Niger) et qui anime des réseaux associatifs politisés.

Les ONG africaines dépendent beaucoup (presqu’exclusivement) des subsides extérieurs, ce qui les amène à des engagements prolongés ou éphémères avec les structures de dotation. Celles-ci sont étatiques (comme l’ACDI canadienne) ou multilatérales (l’ONU, la Banque mondiale) ou non-étatiques (les ONG internationales). À des degrés divers, ces engagements sont problématiques. Les dons sont rarement «neutres» et encouragent (pour ne pas dire pire) les ONG à réaliser des programmes et projets s’inscrivant dans la logique des donateurs et de leurs politiques, presque toutes néolibérales. Au niveau des ONG internationales, le paysage est plus ample, certaines ONG provenant ou étant proches des mouvements populaires, et donc susceptibles d’appuyer les initiatives locales qui œuvrent à la transformation sociale. C’est le cas, par exemple, des ONG internationales qui appuient le FSM et son processus, tel Novib (Pays-Bas), Secours catholique (France), Action Aid (Angleterre), Alternatives (Québec) et bien d’autres.

Au niveau du FSM, des efforts sont consacrés pour faire en sorte que le processus du Forum ne soit pas l’apanage des ONG, mêmes les mieux intentionnées. Mais c’est difficile, surtout en Afrique. Les ONG sont souvent les seules entités qui ont les moyens et les ressources pour s’investir, y compris pour participer aux rencontres du FSM.

Rendez-vous africain : 6 au 11 février 2011

Entre-temps, le FSM aura bel et bien lieu à Dakar en février prochain. C’est l’Université Cheikh Anta Diop qui sera l’hôte et on espère au moins 50 000 participants du monde entier principalement de l’Afrique. Les axes thématiques ont déjà été déterminés :

  • La crise du capitalisme
  • Le renforcement des luttes
  • La construction des alternatives
  • La solidarité Sud-Sud
  • Le rôle des diasporas

Un appel a été lancé à tous les mouvements sociaux pour qu’ils proposent des activités s’inscrivant dans l’un ou l’autre de ces axes. (voir comment s’inscrire sur le site http://fsm2011.org/fr/)

Le calendrier global est le suivant :

  • 6 février : Marche d’ouverture
  • 7 février : Journée africaine et de la diaspora
  • 8-9 février : Journées autogérées
  • 10 février : Journée des convergences : assemblées thématiques
  • 11 février : Journée de clôture

En marge du Forum comme tel, il y aura plusieurs forums thématiques : Forum sur la théologie de la libération, Forum sciences et démocratie, Forum intersyndical, Forum des autorités locales, Forum parlementaire, Forum mondial des habitants  (la liste n’est pas exhaustive). De plus, il y aura, comme c’est devenu l’habitude, l’Assemblée des mouvements sociaux qui vise à favoriser l’interaction et le développement de stratégies communes pour les mouvements qui le désirent (cela n’engage pas le FSM comme tel).

Questions logistiques

En réaction au fiasco financier de Nairobi, le comité organisateur du FSM de Dakar a bien prévu ses affaires. Le budget total est environ 5$ millions de dollars, et provient des souscriptions et des appuis de quelques gros ONG internationales progressistes. D’emblée, les frais d’inscription seront modestes, de 0,5$ pour les Africains à 10$ pour les participants non-africains. Et il n’y aura pas de contractuels privés (comme à Nairobi) pour gérer l’eau, la sanitation, la nourriture. Pour le logement, les participants pourront choisir entre les hôtels locaux, les auberges, l’hébergement chez l’habitant, le camping, etc.

Pour la traduction, le réseau Babels promet de déployer 500 interprètes bénévoles, ce qui devrait faciliter les dialogues multilinguistiques au lieu de favoriser une seule langue, et également en favorisant les langues largement employées au Sénégal et en Afrique (le wolof, le swahili, par exemple).

En avant pour Dakar

Les organisations latino-américaines, particulièrement engagées dans le FSM et leurs propres luttes, ont décidé de faire un effort supplémentaire pour participer à ce 8e FSM. Pour certaines d’entre elles, notamment au Brésil, l’engagement latino-africain est fondamental, pour changer le monde, et aussi pour changer les mouvements sociaux et la gauche, encore trop européocentriques.

D’autre part, tous en conviennent, le FSM, avec toutes ses limites, demeure un outil important pour le renforcement des mouvements et des alternatives. Plus politique sans être nécessairement partisan, le FSM est un espace dans lequel délibèrent des mouvements qui ont une base commune contre le néolibéralisme, et qui ont intérêt à échanger sur leurs stratégies et leurs tactiques. C’est peu, mais c’est déjà beaucoup, considérant le fait que, depuis 2001 à Porto Alegre, beaucoup de chemin a été parcouru. Non seulement la pensée unique (néolibérale) a été refoulée, mais de nombreuses alternatives ont été construites. Certes pour ceux et celles qui l’oublieraient ( !), la marche devant nous est probablement plus longue que celle qui est derrière.

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