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Une decennie d’altermondialisme – les defis pour l’avenir

Dix ans après Gènes et la mort de Carlo Giuliani, 12 ans après Seattle et l’Autre Davos, 17 ans après la révolte zapatiste, on s’aperçoit qu’une décennie de Forums sociaux mondiaux, des centaines de Forums régionaux, nationaux, thématiques, des dizaines de protestations contre les organismes internationaux, Banque mondiale, FMI, OMC, ont créé à travers le monde une culture nouvelle. Une conscience collective s’est forgée et elle se répand : le monde ne peut plus fonctionner de cette façon. Tout cela anticipait la crise qui éclata en 2008 et qui révéla les contradictions du système dominant. Le printemps arabe, les indignés du M15 en Espagne, les manifestations contre les plans d’austérité anticrise, poursuivent aujourd’hui une dynamique de résistances, chacune dans leur domaine spécifique.

Il est donc important d’analyser la crise dans toutes ses dimensions pour en comprendre l’enjeu, mesurer l’ampleur des réactions et des nouvelles initiatives, afin de réfléchir sur les défis de l’avenir.

La profondeur de la crise

Au fil du temps, la crise que vit l’humanité aujourd’hui apparait sous un jour nouveau. Il est vrai qu’elle a été enclenchée par une faille du système financier, classique dans le système capitaliste, mais considérablement renforcée par la contradiction grandissante entre une économie réelle et une économie virtuelle, celle du capital financier devenu hégémonique et dont la bulle des produits dérivés éclata aux Etats-Unis en 2008. De la sphère financière, la crise se propagea dans les fondamentaux de l’économie : la production, le crédit, l’emploi, la consommation.

Ce qui la distingue cependant des crises antérieure, notamment celle des années ’30, c’est qu’elle se combine avec d’autres déséquilibres, tous issus de la logique du capitalisme. Le surdimensionnement du capital financier eut son origine dans le taux de profit supérieur qu’il générait. La crise alimentaire des années 2008 et 2009 fut le résultat principalement de mouvements de capitaux spéculatifs, qui profitèrent de l’augmentation des prix, quand ils ne l’encourageaient pas de façon directe. Plus de 100 millions de personnes basculèrent sous la ligne de pauvreté en conséquence de ce phénomène. L’agriculture devient une nouvelle frontière pour le capital, face à la diminution des taux de profit du capital industriel et à la crise du capital financier. D’où le développement de la monoculture, notamment pour les agro-combustibles, la concentration des terres et l’élimination du petit paysannat, en ignorant les « externalités », ce qui n’entre pas dans le calcul du marché, c’est à dire les dommages écologiques et sociaux.

La crise énergétique, pour sa part, s’inscrit dans le gaspillage énorme des ressources naturelles, qui tendent à l’extinction, à cause d’une utilisation irrationnelle et destructrice de l’environnement, qui s’est développée après la deuxième guerre mondiale et surtout depuis l’orientation néolibérale de l’économie avec le Consensus de Washington. Le contrôle de ces ressources exige un déploiement militaire de plus en plus important et entrainent des dépenses astronomiques, sans parler du déclanchement des guerres, comme en Iraq, Afghanistan et Libye. Certaines solutions de rechange à l’énergie fossile, comme l’agroénergie, reproduisent la logique du capitalisme, en ignorant les dégâts écologiques et sociaux, assurant la domination du grand capital et diffusant l’idéologie d’une solution « verte ». Enfin, la destruction des écosystèmes et la crise climatique viennent couronner l’ensemble, par l’accroissement des effets de serre, l’augmentation de la température de la terre et du niveau des mers.

Tout cela se traduit par une crise sociale profonde, un accroissement des inégalités économiques, des disfonctionnements politiques et finalement une véritable crise de valeurs et de civilisation. C’est bien ce que le courant altermondialiste révélait, en manifestant le refus de poursuivre le cheminement de l’humanité sur une telle voie. Le temps n’est plus aux régulations, c’est un nouveau paradigme du développement humain qu’il faut construire au sein même des fondements de l’existence collective de l’humanité sur la planète : le rapport à la nature, la production des moyens d’existence (l’économie) l’organisation collective (la politique et les rapports sociaux) et la lecture symbolique du réel ou la culture. Alors que le capitalisme a considéré le progrès matériel comme indéfini, la planète comme inépuisable, le profit comme unique valeur économique, le nouveau paradigme consiste à construire harmonieusement la vie de la terre et de tous les êtres humains et d’en assurer la reproduction et l’amélioration, en d’autres mots de construite le « Bien Commun de l’Humanité ».

I. Les résistances et les nouvelles initiatives

Il ne s’agit nullement de penser que les résistances au système économique capitaliste et à ses prolongements politiques et culturels aient commencées avec l’altemondialisme. Les luttes ouvrières qui ont parsemé son parcours et les résistances au colonialisme qui se sont manifestées dans l’ensemble des continents du Sud, depuis le 16e siècle, en témoignent abondamment. Ce sont des millions de victimes qui clament la barbarie de cette domination.

Mais un changement qualitatif s’est produit au cours des dernières années : la conscience que la survie de la planète et de l’ensemble de l’humanité sont désormais en jeu. Pendant longtemps, le capitalisme avait pu par son efficacité à produire de la richesse, des biens et des services, et par son intelligente éélaboration idéologique, affirmer son caractère constructif, tout en minimisant ses effets destructeurs. Aujourd’hui ce n’est plus possible. Quand la terre perd sa capacité de régénération face aux activités prédatrices du modèle de croissance économique, quand près d’un milliard d’êtres humains souffrent de la faim dans un monde où jamais tant de richesse n’a été créée, on peut affirmer que le capitalisme comme principe d’orientation du développement humain est arrivé à la fin de son cycle historique et que son caractère destructeur a définitivement pris le pas sur ses fonctions créatrices. Certes, il conserve encore bien des facultés d’adaptation, mais ou bien sa logique fera place à une nouvelle orientation ou bien le sort de l’humanité sera remis en question.

C’est pour cela que nous assistons à un grand nombre de résistances, partout dans le monde et aussi à la recherche de solutions. La logique du développement capitaliste n’affecte plus seulement la classe ouvrière, directement soumise au capital au sein même du processus de production, elle concerne aujourd’hui l’ensemble du travail informel (70 % à l’échelle mondiale) soumis indirectement à sa loi d’airain par le biais de la privatisation de services publics, les politiques monétaires, la dette des Etats, le dumping des produits agricoles. L’expansion du système n’a plus besoin du lien colonial, car il contrôle les mécanismes de l’économie mondiale, grâce aux moyens de communication et à l’informatique. Bref, la mondialisation est celle du capital, en particulier financier. D’où la multiplication des résistances et des recherches de solutions au sein même des quatre fondamentaux de la vie humaine sur terre.

1. Le rapport à la nature

La logique économique dominante a considéré la nature comme un élément à exploiter, pour la réduire à l état de marchandise, alors que le nouveau paradigme exige le respect de la nature, comme source de la vie. Les résistances contemporaines sont multiples : oppositions à la destruction et à la privatisation des forêts, à la construction de grands barrages, au développement massif des activités minières, aux agro-carburants, à la contamination des eaux, aux industries polluantes, aux déchets toxiques. En même temps se développent les mouvements paysans, exigeant des réformes agraires, l’amélioration de l’agriculture paysanne organique, de même que de nombreux mouvements écologiques. Des gouvernements prennent des initiatives pour la défense de la biodiversité. On ne pourra plus accepter l’appropriation privée des ressources naturelles et les biens essentiels à la vie, comme l’eau ou les semances, devront faire partie du patrimoine commun de l’humanité.

2. La production de la base de la vie

Les rapports économiques du capitalisme sont remis en question, c’est-à-dire l’exploitation du travail et cela se manifeste par des grèves, des boycotts, des révoltes. Les institutions du système sont contestées : la Banque mondiale, le FMI, l’OMC, les Traités de Libre échange. Les migrants s’organisent, de même que les travailleurs du secteur informel. De nouvelles formes d’économie sociale voient le jour, coopératives, monnaies locales.

Alors que le paradigme du capitalisme débouche sur la prévalence de la valeur d’échange (seule capable de générer uèn profit et donc de contribuer à l’accumulation du capital, le nouveau principe d’orientation met l’accent sur la valeur d’usage, c’est-à-dire sur la satisfaction des besoins humains. Il en résulte une nouvelle définition de l’économie, comme l’activité destinée à produire les bases de la vie physique, culturelle et spirituelle de tous les êtres humains à travers le monde. Plus question d’admettre la prédominance du capital financier, ni les paradis fiscaux, ni le secret bancaire, ni l’appropriation privée des grands moyens de production.

3. L’organisation collective, sociale et politique

L’exigence de démocratie politique , les luttes féministes pour l’égalité des rapports entre les hommes et les femmes, la défense des Droits de l’Homme, les mouvements anhti-guerre et contre les pactes militaires (OTAN) sont autant d’expressions de l’insatisfaction dans ce domaine.Là aussi des formules nouvelles ont vu le jour : démocratie participative, Etats multinationaux, participation ouvrière à la gestion des entreprises. Le principe est la généralisation de la démocratie dans toutes les institutions, non seulement politiques, mais aussi économiques, sociales, culturelles, religieuses et dans tous les rapports sociaux, y compris de genre.

4. Les représentations du réel et l’éthique

Les résistances culturelles sont multiples, notamment celles des peuples indigènes, les revendications d’autonomie et des reconstructions sont en cours, dans le domaine des médecines traditionnelles, des concepts du « bien vivre », dans la théologie de la libération. Il s’agit de ne pazs identifier développement humain avec occidentalisation et de donner la possibilité à toutes les cultures de contribuer à la construction du nouveau paradigme, qui s’appuie sur une vision complète du réel (holistique) et non plus segmentée (notamment entre la nature et l’homme) et sur une éthique de la vie. Bref, dans tous les domaines, il s’agit de la construction du Bien Commun de l’Humanité, c’est-à-dire des conditions de la vie de la planète et de l’humanité.

II. Les défis pour l’avenir

Il y a deux grands défis pour l’avenir des luttes sociales et des constructions nouvelles : d’une part le caractère anti-systémique des luttes et l’application d’un nouveau paradisgme pour les initiatives sociales et de l’autre la convergence des actions pour changer un rapport de forces.

1. Les luttes anti-systémiques et le nouveau paradigme

Dans la dynamique contemporaine de l’évolution des sociétés, on eout constater trois garnds courants : ce qui contribue à reproduire le capitalisme, les mesures d’adaptation de ce dernier et les initiatives qui anticipent et préparent un nouveau paradigme.

Tout ce qui obéit à la phase néolibérale du capitalisme, comme les politiques des organismes de Bretton Wood, de l’Union européenne, des gouvernements conservateurs, s’inscrit dans la breproduction du système. Il s’agit de la ,poursuite de la privatisation des services publics, de la concentration du capital, du sauvetage du système financier par des pratiques d’austérité. Autrement dit, rien de change dans la théorie ni dans les pratiques.

L’adaptation du système consiste à prendre des mesures qui répondent à des situations nouvelles, comme les problèmes climatiques ou les résistances populaires, parce qu’elles affectent le taux de profit, mais sans remettre en question la logique du capitalisme. On développe un « capitalisme vert » et des politiques assistencielles contre la pauvreté. Le cas le plus typique a été la politique du Brésil. Mais l’adaptation est aussi une caractéristique de nombreux syndicats ouvriers et l’ONG, qui s’efforcent d’intégrer des groupes sociaux exclus, à l’intérieur du système ou de défendre les acquis remis en question par la phase néolibérale, mais sans s’en prendre à loa logique même qui préside à sa construction. Certes ne faut-il pas mépriser le travail qu’ils accomplissent pour améliorer le sort de certains groupes, mais il faut relativiser leurs fonctions par rapport à une transformation en profondeur.

Le troisième courant est l’anticipation du nouveau paradigme, qui suppose à la fois que les luttes soient consciemment anti-systémiques – quitte à prévoir des étapes – et que les initiatives nouvelles soient basées sur une autre philosophie et d’autres principes : construire le Bien Commun de l’Humanité au sein des fondements de l’existence collective du genre humain sur la planète. Entrent dans cette perspective, le contrôle des travailleurs sur la production, la nationalisation des ressources naturelles, la démocratie participative, le concept de « bien vivre ». On retrouve aussi une telle base nouvelle dans une initiative d’intégration telle l’ALBA (Alliance bolivarienne des peuples de notre Amérique) qui sur le plan économique se construit non sur la base de la compétitivité, mais sur celle de la complémentarité et de la solidarité.
Certes, l’anticipation suppose une transition. C’est ce qui confronte les régimes progresssites de l’Amérique latine. Mais transition ne peut signifier adaptation du système. Les mêmes mesures économiques, sociales et culturelles peuvent signifier soit des adaptations, soit des anticipations, selon le cadre politique général dans lequel elles sont prises.

2. La convergence des luttes et des initiatives

Même si les résistances et les actions rénovatrices sont nombreuses dans le monde, elles restent segmentées et dispersées. Elles ne sont pas parvenues jusqu’à présent à construire un nouveau rapport de force. Or, le capitalisme ne disparaitra pas par lui-même. C’est donc un nouveau sujet historique qu’il faut construire, aujourd’hui pluriel, c’est )à dire réunissant l’ensemble des forces anti-systémiques. Cela suppose à la fois une cohérence théorique, celle du nouveau paradigme du Bien Commun de l’Humanité, réunissant les divers aspects de la réalité et des actions spécifiques ou communes, s’inscrivant dans la logique d’ensemble.

Aucun mouvement ne doit abandonner ses objectifs propres : ouvriers, peuples indigènes, paysans, femmes, jeunes sans travail, mais bien savoir quelle est leur place dans l’ensemble, en étant capables aussi de s’inscrire dans des objectifs communs : résister contre la banque mondiale, par exemple ou participer au conseil des Mouvements sociaux de l’ALBA. Cela suppose nune brévision critique des objectifs et une redéfinition des stratégies.

III. La préparation d’une Déclaration Universelle du Bien Commun de l’Humanité

A titre d’instrument pédagogique, préparer une Déclaration Universelle du Bien Commun de l’Humanité , est une tâche à poursuivre. Non qu’une déclaration n’aie jamais changé le monde, mais comme un moyen de préciser l’approche théorique du concept et d’associer tous les mouvements et organisations qui veulent nun changement en profondeur. Parallèle à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, elle complèterait cet apport des Révolutions française et américaine. Sans doute, cette dernière a-t-elle pris deux siècles avant de devenir universelle, sans doute est-elle imparfaite, trop occidentale, utilisée à des fins politiques, mais elle a le mérite d’exister et a servi à la liberté et la vie de nombreuses personnes.

Une telle Déclaration, reprenant les grandes lignes du nouveau paradigme de la vie de l’univers et de l’humanité, peut paraître une utopie, mais de ces utopies nécessaires pour faire cheminer l’humanité.

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