Au cours des dernières années le Brésil a réussi la stabilisation économique, tout d’abord sous le gouvernement de Fenrnando Henrique Cardoso (PSDB) qui a réussi maintenir sous contrôler l’inflation. Par la suite, le pays a connu une importante expansion économique sous les deux gestions du PT. Dans cet article, Walter Nique-Franz et Louis Cornu (IEP de Grenoble) proposent la synthèse d’un tel contexte, qui sera un enjeu important, voire clé, de la dispute présidentielle de 2010.
D’une croissance soutenue à la sortie de la crise
La conjoncture économique aura certainement des retombées politiques dans les campagnes électorales qui approchent. Bien que celle-ci ait été favorable pendant les deux mandats de Lula, comme le démontre son niveau de croissance[1], un decouplage de la crise internationale n’a pas eu lieu et depuis mi-2008 le pays a été frappé. La conjoncture brésilienne s’est dégradée rapidement et si jusque là les capitaux étaient attirés par le taux d’intérêt et la tendance d’appréciation monétaire, la fuite de capitaux fut accompagnée par une baisse du real en menaçant d’augmenter le déficit des transactions courantes[2]. Le Brésil sera-t-il capable de résister à ce choc exogène? Ou connaîtra-t-il un scénario catastrophique comme celui des années 1998-99[3]? Une gestion efficace de la crise est devenue le point central de l’action gouvernementale, et une pièce clé pour la stratégie de succession de Lula. Fin décembre 2009, le Président Lula se montrait très optimiste et rassurant lors de son allocution télévisée de Noël. Il annonçait une reprise de la croissance et une relance économique soutenue pour l’année 2010, prônant la continuité des plans économiques mis en place par son gouvernement.
Du troisième trimestre 2008 à août 2009, on observait des indicateurs négatifs de l’économie brésilienne, comme par exemple la chute de la production industrielle, la hausse des licenciements (d’environ 7% entre octobre et décembre 2008), et un cadre de récession technique depuis le quatrième trimestre 2008 jusqu’à mi-2009. Malgré cela, le pays a réussi à sortir de la crise en étant classé en septembre dans la catégorie d’investissement par l’agence Moody’s d’évaluation de risques. Cette sortie s’est faite avant même plusieurs économies industrialisées, ou celles d’autres pays émergents, comme l’a mis récemment en évidence l’hebdomadaire britannique The Economist[4]. Même si les chiffres ne sont pas encore officiels, le Ministre de l’économie, Guido Mantega, a annoncé qu’au dernier trimestre 2009 la croissance économique atteignait entre 8% et 10%, ce qui augmente la variation annuelle a 1% (faible, mais sans récession). Pour l’année 2010, il estime une croissance de l’ordre de 5%. La croissance pourrait même atteindre 7% si l’on en croit l’Institut Brésilien d’Économie[5]. De surcroît, la forte inflation tant redoutée n’a pas eu lieu, laissant au loin les vieux démons de l’économie brésilienne. L’inflation s’est maintenue à 4,12% en octobre 2009[6]. Puis en décembre 2009, le Brésil enregistrait même une déflation des prix légère mais non moins historique.
Selon le président de la Banque Centrale, Henrique Meirelles[7], la croissance est due à la création d’emplois et à l’augmentation des revenus, contexte qui a pu garantir l’essor des mesures de relance budgétaire, telles que la réduction d’impôts sur les produits industrialisés[8]. En effet, selon le dernier rapport du Ministère de l’économie, le revenu moyen des salariés a augmenté de 4,3% entre mi-2008 et mi-2009[9]. Dans le cadre de la mise en place de mesures de relance, le gouvernement a augmenté de 338,4 milliards de reais (soit environ 135 milliards d’euros) les investissements en infrastructures qui concernent le « Programa de Aceleração do Crescimento/PAC [10]» (programme d’accélération de la croissance). Ce programme a un rôle crucial pour le gouvernement. D’abord parce qu’il pose des bases pour la croissance des années à venir, mais aussi en raison des enjeux politiques à court terme qui concernent sa gestion. Du fait que le PAC est coordonné par la Ministre Dilma Rousseff, il pourrait devenir une vitrine pour la pré-candidate du PT.
Transformations sociales
Cette croissance économique soutenue par le marché interne a été le résultat d’un ensemble de changements dans la structure sociale du pays. Une telle association avec l’amélioration des conditions sociales sera un des piliers de la campagne présidentielle du parti au pouvoir. En effet, le niveau de pauvreté a baissé de 33% en 2001 à 22,7% en 2007 (plus de dix points, soit une baisse de 30%), pendant que le recul était de 14% à 7,9% pour l’indigence (huit points)[11]. Cependant, le Brésil continue à être l’un des pays qui compte la plus forte concentration de revenus : les 1% les plus riches concentrent autant de revenu que les 50% les plus pauvres. Par contre, depuis 2004, le niveau d’inégalités, mesuré par le coefficient de Gini, est le plus bas depuis trente ans. Il a reculé de 4%[12]. On observe également un phénomène d’ascension sociale au cours des dernières années, avec un élargissement de la classe moyenne. En 2009, 52% de la population du Brésil appartiendrait à la classe moyenne[13]. Cette nouvelle dynamique sociale accompagne sans doute la croissance économique, mais le facteur qui l’explique est celui des politiques de transfert mises en œuvre à travers les programmes du gouvernement[14].
Le principal programme social mis en œuvre par le gouvernement est le « Fome Zero » (zéro faim). Crée en 2005, son objectif est d’assurer l’alimentation adéquate aux populations les plus nécessiteuses, en contribuant à l’éradication de la pauvreté. Au sein du « Fome Zero » sont développés plusieurs sous-programmes, qui ciblent l’alimentation et la nutrition[15], le renforcement de l’agriculture familiale, l’organisation productive de communautés et le microcrédit. Le programme Fome Zero a connu dès sa mise en œuvre d’importantes difficultés d’organisation, entâchant sa crédibilité et son ampleur. Le symbole de la politique sociale du gouvernement est ainsi devenu le programme Bolsa Família (Bourse Famille), créé en 2003.
Il s’agit d’un programme de transfert qui bénéficie à 12,4 millions de familles, avec une allocation d’environ R$ 95,00[16]. Le programme a permis une augmentation moyenne de 30% des revenus des familles concernées, ce qui stimule les économies locales et régionales a travers la relance de la consommation (notamment d’aliments, de matériel scolaire, de médicaments, de vêtements, et d’électroménager). En dépit de son caractère national, le programme se concentre dans les régions les plus démunies du pays, tout particulièrement la région du Nordeste, qui compte à elle seule près de 50% des bénéficiaires. Malgré les critiques qui s’opposent au programme, on trouve un certain consensus sur son rôle d’inclusion sociale et de développement local dans cette région. D’ailleurs, cet essor pourrait être l’un des éléments explicatifs du changement de la géographie électorale de Lula[17] entre les scrutins de 2002 (lors duquel il a remporté des victoires homogènes dans tout le territoire) et de 2006 (lors duquel il a obtenu une majorité parfois écrasante dans le nord et le nordeste et des revers dans les régions du sud et du sud-est. Certains travaux croisant les variables « vote » et « redistribution laissent » supposer le scrutin de 2010 des retombées électorales des programmes sociaux (voir par exemple Soares & Terron : 2008). Mais l’impact qu’il pourrait y avoir sur le score des candidats n’est pas évident, notamment pour celui du candidat ou de la candidate du PT.
En somme, le scrutin de 2010 devrait se dérouler sous un climat de relative euphorie en raison des réussites en matière économique et sociale. Par ailleurs la récente découverte de gisements pétroliers off-shore, qui pourrait placer le Brésil comme la 8ème réserve mondiale, vient nourrir ces attentes.
Notes
[1] On observe une croissance moyenne du PIB de 3,91% depuis 2002, et de 4,9% depuis 2006. En revanche, le taux moyenne de la période 1994-2001 fut de 2,64%. Source: Ministère des Finances du Brésil. http://www.fazenda.gov.br/
[2] Le Brésil a enregistré un déficit de ses comptes courants à partir du quatrième trimestre 2007, même si le bilan de l’année est resté positif (en 0,1% du PIB contre le 1,3% de 2006). Néanmoins, pour le premier semestre 2008 le solde négatif a atteint 2% du PIB. (INTAL/BID, Rapport du Mercosur 2008, p.8)
[3] Il s’agit de l’impact de la crise asiatique sur l’économie brésilienne, qui a vécu une rétraction du PIB provoquée par la chute des exportations et de la production industrielle, et encore davantage une hausse du chômage suivi d’une baisse des revenus des salariés. Dans le contexte de cette crise, provoqué par un choc exogène, le pays a dévalué sa monnaie et a adopté le régime de change flottant.
[4] Le magazine affirme que « It did not avoid the downturn, but was among the last in and the first out », “Brazil Takes off”, The Economist, November 12th 2009.
[5] Source: http://www.fazenda.gov.br/
[6] Selon les données de la Fundação Getúlio Vargas (FGV). http://www.fgvdados.com.br/bf/dsp_consulta.asp
[7] En 2009, près de 1,1 million d’emplois formels ont été crées – ce qui consolide le marché interne et stimule la consommation en soutenant la croissance pour 2010. La tendance n’est pas seulement à une récupération des emplois perdus lors du premier semestre, mais aussi au développement de contrats pour de nouveaux investissements. Isto é dinheiro. N° 632 du 18 novembre 2009. Disponible en ligne: http://www.terra.com.br/istoedinheiro/edicoes/632/artigo156196-1.htm
[8] La mesure fut ciblée sur le secteur automobile, les cars et camions, les matériaux de construction, l’électroménager et les biens de capitaux.
[9] Brasil, economia sustentável. Publicação do Ministério da fazenda, n°5, outubro 2009. disponible en ligne sur le site: http://www.fazenda.gov.br/portugues/docs/brasil-economia-sustentavel/edicoes/Brasil-Economia-Sustentavel-Edicao-5_PORTUGUES.pdf
[10] Le PAC est un programme de développement d’infrastructures débuté en 2007 dont les projets concernent trois axes: logistique, énergétique, et urbain/social. Jusqu’à octobre 2009, on comptait 39% des projets conclus et 70% autre en cours. Source: PAC, 8° balanço, maio a agosto 2009. http://www.brasil.gov.br/pac/
[11] Données publiés par la Fundação Getúlio Vargas. Le seuil de pauvreté et d’indigence est établi par les revenus qui n’atteignent pas, respectivement, la moitié et le ¼ du salaire minimum : http://www.fgvdados.com.br/bf/dsp_consulta.asp
[12] Le coefficient de Gini est passé de 0,593 en 2001 a 0,569 en 2004, selon l’IPEA, “Nota Técnica sobre a recente queda da desigualdade de renda no Brasil”, Brasilia, Agosto de 2006. Le niveau d’inégalité mesuré par la Fundação Getúlio Vargas s’est maintenu à 0,56 en 2007.
[13] Selon la Fundação Getúlio Vargas. La classe moyenne correspond aux familles dont le revenu mensuel est entre R$ 1.065 et R$ 4.591.
[14] La note technique produite par l’IPEA affirme qu’ en raison d’une baisse de 0,9% du revenu per capita entre 2001 et 2004, la réduction de la pauvreté est attribuée à la baisse de l’inégalité dans la distribution des revenus. En effet, on observe pour la même période une croissance de 7,2% par an des revenus des 10% les plus pauvres et de 2,4% pour les 50% les plus pauvres. Dans le même temps, le revenu moyen des 50% les plus riches a été réduit de 1,4%. Finalement, le document estime que, sans les mesures de redistribution des revenus, il faudrait une moyenne de croissance économique de 20% pour atteindre une telle réduction du niveau de pauvreté extrême.
[15] À cet égard on peut souligner les programmes d’alimentation scolaire, construction de citernes, restaurants populaires, banques de nourriture, agriculture urbaine et potagers communautaires, distribution de vitamines, etc. Les informations sont disponibles sur le site officiel: www.fomezero.gov.br
[16] Il s’agit d’une moyenne, puisque les versements varient entre R$ 22 et R$ 200 en raison du revenu mensuel des familles (qui ne doit pas être supérieur à R$ 120 par personne). Le programme a été crée en 2003 en intégrant l’ancien « bourse école », « allocation pour le gaz » et « la carte d’alimentation ». Depuis 2005 il a été incorporé au « Fome Zero ». L’investissement total a été de R$ 52,7 milliards au cours des six ans du projet, et le gouvernement propose pour 2010 d’étendre le bénéfice à 12,9 millions de familles. http://www.mds.gov.br/bolsafamilia/noticias/bolsa-familia-completa-seis-anos
[17] Pour approfondir cette question, voir Pellicot, Johan. La géographie électorale du PT. De nouvelles mutations? pp.127-136 In: LOUAULT, Frédéric (Dir.). Brésil Municipales 2008. Des élections de positionnement?. Paris: OPALC, 2009, Parution en ligne. Disponible sur http://www.opalc.org/web/index.php?option=com_content&view=article&id=258:quatrieme-partie-analyse-des-resultats&catid=159:bresil-2008-observation-electorale&Itemid=211