Un printemps resplendissant

C’était le printemps de 1972. Il y avait plusieurs milliers de personnes dans la rue. Des grévistes occupaient des postes de radio à Saint-Jérôme, Joliette, Sept-Îles. Le mouvement syndical de l’époque parlait de « changer de régime ». Dans les universités se mettaient en place des coalitions inédites entre étudiant-es, profs, employé-es de soutien. Le Front de libération des femmes secouait la cage du patriarcat. Le Québec vibrait, le Québec changeait. Les dominants étaient désemparés. La manière forte ne fonctionnait plus beaucoup : en octobre 1970, ils avaient mis 500 personnes en prison, mais au lieu de faire peur, cela avait galvanisé le monde militant ! La cooptation habituelle, petits bonbons, petits cadeaux, petites promesses, ne réussissait pas non plus. Un sentiment, une rumeur, une ambiance se sentaient partout: il faut que ça change, et oui, ça va changer.

La grève générale de 1972 (dont l’histoire reste à raconter) est alors un moment dans un long cycle de mobilisations où se crée peu à peu ce qu’on pourrait appeler une nouvelle « identité » de communautés diversifiées et unies par la lutte. Cette identité exprime une confiance, un espoir réel et aussi des capacités innovatrices tant dans les formes de luttes que dans les contenus. Au bout de la ligne se profilent divers bouleversements, y compris cette victoire inattendue du PQ en 1976. Plus tard, l’histoire ne s’arrête pas là, elle continue encore aujourd’hui.

40 ans plus tard

Zap-zap quelques décennies plus tard. Le Québec est encore (et toujours) en ébullition. Des dominants sont délégitimées. La voyoucratie, le pillage éhonté des ressources, la dislocation des acquis de la révolution tranquille sont à l’ordre du jour. Une droite agressive, appuyée par des empires médiatiques sans foi ni loi, essaie d’intimider. Mais petit problème, les gens n’acceptent pas. Ils ne croient plus les mensonges. Ils ont de moins en moins peur.

La grève étudiante actuelle, qui succède à des résistances presque continues depuis 2003 (contre la privatisation, contre les gaz de schistes, contre la guerre) exprime ce ras-le-bol généralisé. Mais c’est plus en profondeur. L’autre jour à la manifestation des « parents », on notait l’atmosphère presque festive, confiante, constructive : « on est 99% et on a raison et même si les pouvoirs ne nous écoutent pas, on est assis sur une force tranquille, montante ».

Dans l’air mais aussi de manière explicite, l’idée étant que le capitalisme actuel (le néolibéralisme) est incapable de faire face aux défis et de protéger les gens. Quelque chose d’« autre », encore mal défini, encore vague, apparaît. Comme cette idée absolument fondamentale que l’éducation, la santé, le logement ne sont pas des « marchandises », ne doivent pas être soumises à la « main invisible » du « marché », c’est-à-dire du capitalisme.

Aujourd’hui, plus qu’il y a 40 ans, les classes populaires et moyennes sont mieux organisées, mieux informées, mieux équipées. Certes, cette montée se produit sur un chemin parsemé d’embuches, de peur, d’insécurité. Les dominants sont prêts à tout, à entendre les Éric Duhaime, Mario Renaud et autres roquets de service. Rien n’est donné d’avance.

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