Les paradis fiscaux posent trois problèmes : ils attaquent la souveraineté des Etats auxquels ils soustraient des recettes fiscales, ils nourrissent l’instabilité financière, ils offrent des instruments de blanchiment à l’argent mafieux. La première partie précise ces menaces ; la deuxième propose un bilan critique des actions entreprises depuis le G20 d’avril dernier pour y répondre. Enfin, la troisième partie propose un plan d’action en 10 mesures pour aller plus loin :
- Promouvoir un échange automatique d’informations
- Renforcer les administrations fiscales
- Créer un centre national permanent d’expertise
- Renforcer l’action européenne : la directive épargne
- Renforcer l’action européenne : la directive Accis
- Mettre en place un reporting comptable pays par pays
- Renforcer la gouvernance fiscale des multinationales
- Réguler les produits d’optimisation fiscale
- Etablir le principe de soupçon d’évasion fiscale
- Publier un rapport national régulier sur la lutte contre les paradis fiscaux
1 – LA TRIPLE MENACE
Comme les pavillons de complaisance et les zones franches, les paradis fiscaux appartiennent au monde de l’économie offshore. On peut la définir comme tous les moyens qui permettent d’instaurer un découplage entre le lieu réel et le lieu juridique d’une transaction : faire des profits dans un pays et les déclarer dans un autre, innover dans un territoire et se faire payer les droits de la propriété intellectuelle dans un autre, etc…
Toute politique publique de lutte contre les paradis fiscaux doit avoir comme objectif de remettre en cause ces espaces légaux fictifs d’enregistrement des transactions car ils produisent trois grands types de problèmes.
1.1 -TROIS ENJEUX POLITIQUES
Les asiles fiscaux
Comme leur nom l’indique, les paradis fiscaux sont des territoires qui permettent aux résidents d’autres pays d’échapper à l’impôt. Ces pratiques démarrent à la fin du 19ème siècle et entrent dans les préoccupations des politiques publiques internationales (Société des Nations) dès les années 1920.
Trois étapes importantes sont à l’origine de ces pratiques. Le principe d’une très faible taxation pour attirer les sièges sociaux des entreprises naît aux Etats-Unis à la fin du 19ème siècle. L’Etat du New Jersey, bientôt suivi par celui du Delaware, conseillés par un groupe d’avocats d’affaires new-yorkais, en seront les premiers adeptes, avec une certaine efficacité dans la durée puisque environ la moitié des entreprises américaines cotées en Bourse ont actuellement leur siège social dans le Delaware.
Le principe de l’enregistrement fictif des entreprises pour des raisons fiscales (contrôler une entreprise dans un pays mais payer ses impôts dans un autre) voit le jour en Angleterre en 1929. Les juges britanniques décident alors qu’Egyptian Delta Land and Investment, une entreprise anglaise de spéculation immobilière qui a pris soin de déménager son conseil d’administration au Caire et de le remplir de résidents égyptiens, n’est pas passible de l’impôt britannique. Une décision qui ouvre la porte aux enregistrements de société avec des dirigeants hommes de paille, un point que les Bermudes, les Bahamas, les îles Caïmans et autre Hong Kong sauront exploiter au sein de l’Empire britannique.
La possibilité d’une protection renforcée de l’identité des clients naîtra ensuite dans la loi bancaire suisse de 1934 : l’employé d’une banque suisse livrant des informations concernant l’identité de ses clients, nationaux ou étrangers, y compris à son propre gouvernement, commet désormais un acte criminel.
Moindre imposition, résidence fictive et secret seront ainsi les trois piliers sur lesquels vont se développer les paradis fiscaux, lentement jusqu’à la fin des années 1960, puis plus rapidement, avec une accélération au cours des années 1990.
Aujourd’hui, les différentes estimations disponibles, toutes très fragiles, semblent indiquer que les grands Etats perdent au minimum l’équivalent de 2 à 3 % de PIB de recettes fiscales en fraudes et évasions de tous genres, les paradis fiscaux en étant l’un des instruments. Pour la France, on estime qu’au moins 40 à 50 milliards d’euros pourraient être perdus chaque année, soit environ 15 % des recettes fiscales 2008, un montant significatif.
Les paradis fiscaux exercent également une forte pression en faveur du moins disant fiscal. Les recettes fiscales totales des pays de l’OCDE, mesurées en pourcentage de la richesse produite, n’ont cessé de croître du milieu des années 1960 au milieu des années 1990, avant de se stabiliser ces dix dernières années autour de 35 %. Au sein de l’Union européenne à 27, le taux d’imposition des entreprises a perdu 12 points de pourcentage entre 1995 et 2007, passant de 35,3 % à 23,5 %. Les Etats ont intégré l’existence des paradis fiscaux et internalisé la nécessité de ne pas trop demander à l’impôt en dépit des immenses besoins sociaux et économiques que réclame une insertion réussie et équitable dans la mondialisation.
Le problème est encore plus criant pour les pays en développement qui se voient privés, par l’évasion fiscale des multinationales et les détournements de fonds des élites publiques corrompues, de recettes fiscales essentielles à leur développement.
Les centres financiers offshore
Les premiers marchés financiers offshore contemporains, où les transactions s’exercent sous un faible contrôle public, se sont développés à partir de la fin des années 1950 sous l’impulsion de la Banque d’Angleterre, avec la création du marché des eurodollars. A partir de la fin des années 1960, banquiers et multinationales s’en serviront de manière croissante pour répondre à la crise du modèle des Trente glorieuses, recherchant des localisations alternatives pour réduire leurs coûts salariaux, échapper aux conflits sociaux et réduire leur participation au financement de l’Etat Providence. Offrant des conditions fiscales avantageuses, une résidence fictive, la protection du secret des transactions et un marché financier développé aux activités difficilement traçables, les paradis fiscaux répondaient alors exactement aux besoins des entreprises.
Un regard sur leur répartition géographique montre que loin de l’image traditionnelle de petites îles ensoleillées, Londres, les autres places financières de pays développés (Luxembourg, Suisse…) et les places exotiques se partagent le marché selon des proportions respectives d’environ 40 %, 30 % et 30 %. On peut répartir les centres financiers offshore en quatre grands groupes :
- les marchés primaires : des grands centres financiers, présents sur tous les segments de marché et destinés à accueillir tous types d’acteurs financiers (Londres)
- les Booking centers : des espaces spécifiquement dédiés à l’enregistrement fictifs des transactions (Caïmans, Bermudes, etc.) et qui peuvent être également des centres bancaires internationaux (Suisse…). Ainsi, les îles Caïmans se classent régulièrement autour de la 5ème place comme centre financier international (BRI). Son secteur bancaire gère environ un tiers du montant des actifs gérés par les banquiers de la City qui emploient pour cela environ 300 000 personnes contre … 5400 aux Caïmans pour environ 8000 entités financières, soit 1,5 personne pour chacune, une illustration de la dimension fictive des activités conduites
- les Funding centers : ceux qui organisent des transferts de capitaux de l’extérieur vers l’intérieur (Singapour, Hong Kong…)
- les Collection centers : ceux qui organisent des transferts de capitaux de l’intérieur vers l’extérieur (Bahreïn…)
Ces centres financiers offshore représentent un outil efficace de dissimulation des risques financiers. S’ils n’ont pas causé la crise des subprimes, ils en ont été l’un des facilitateurs, un rôle jusque là complètement sous estimé. Pour l’anecdote, la crise financière démarre le 9 août 2007, lorsque la banque BNP-Paribas ferme trois fonds d’investissement, dont Parvest Dynamics ABS, de droit luxembourgeois. Un rapport du Government Accountability Office (GAO), l’équivalent de la Cour des comptes aux Etats-Unis, a montré qu’une partie du système bancaire fantôme, construit par les banques américaines pour jouer avec les titres financiers complexes à l’origine de la crise, était établie aux Îles Caïmans. Qu’il s’agisse des déboires de la banque britannique Northern Rock (dont l’endettement de court terme passait par sa filiale Granite installée à Jersey), de l’américaine Bear Stearns (touchée par les déboires de ses fonds spéculatifs installés pour partie à Dublin, pour partie aux Caïmans), de l’allemande Hypo Real Estate, des banques islandaises, les fraudes de Bernard Madoff et de « Sir » Allen Stanford, et on en oublie, les principaux évènements de cette crise passent par les paradis fiscaux.
Les centres de blanchiment
Il n’existe aucun endroit dans les statistiques financières internationales où l’on puisse lire le montant d’argent sale qui passe dans les paradis fiscaux. Fondées sur des anecdotes, des extrapolations ou sur des « confidences » des appareils répressifs, les estimations disponibles ne tiennent généralement pas le moindre petit test de cohérence. Les travaux du chercheur américain Tom Naylor soulignent qu’une estimation digne de ce nom réclame de connaître le montant du chiffre d’affaires du crime, le taux de profit, le taux d’épargne (ce qui n’est pas flambé dans de la consommation ostentatoire), la part de l’épargne financière, etc., autant d’estimations impossibles à établir. La vérité est que personne ne sait rien ni des montants, ni de leur évolution. Toute estimation se doit donc de réaliser un certain nombre d’hypothèses qui doivent être présentées pour pouvoir être discutées.
L’un des rares auteurs à le faire est l’Américain Raymond Baker, qui travaille sur ces sujets depuis plusieurs décennies. Ses recherches conduisent à une estimation des montants d’argent sale circulant dans le système financier mondial qui représenteraient à peu près 5 % seulement des activités internationales des banques.
C’est pourtant, paradoxalement, cet aspect qui a le plus mobilisé depuis longtemps les politiques publiques en matière de lutte contre les paradis fiscaux avec la création du Gafi dès 1989. Les travaux récents de Gilles Favarel-Garrigues, Thierry Godefroy et Pierre Lascoumes ont montré qu’après une dizaine d’années de faible engagement les grandes banques françaises ont fortement développé leurs outils de lutte anti blanchiment. Non pas tant pour attraper de gros poissons que, face au risque pénal encouru par les patrons de ces établissements, de pouvoir justifier aux yeux des régulateurs le sérieux des politiques de contrôle interne.
2 – UN BILAN CRITIQUE DE L’APRES G20 D’AVRIL 2009
Le G20 d’avril 2009 a porté la lutte contre les paradis fiscaux parmi les priorités des politiques publiques internationales. Un choix qui prolonge celui de la Commission européenne qui pousse depuis plusieurs mois à un approfondissement des contraintes en vigueur à l’encontre des paradis fiscaux. De son côté, le gouvernement américain a fait en mai dernier des propositions qui suggèrent la possibilité d’une nouvelle philosophie d’action.
2.1 -LES QUATRE AVANCÉES DU G20 D’AVRIL
Dossier ultra médiatisé du G20 d’avril, la lutte contre les paradis fiscaux a fait l’objet de quatre décisions essentielles :
- l’affirmation d’un double objectif : s’attaquer à ces territoires pour éviter les fuites de recettes fiscales et pour protéger le système financier, ce qui reconnaît leur rôle de facilitateur de l’instabilité financière ;
- l’identification publique des territoires par l’intermédiaire de listes. Une liste blanche – voulue par les Etats-Unis – des pays au comportement adéquat. Une liste grise de pays pas encore au point (dont l’Autriche, la Belgique, le Luxembourg, Singapour, la Suisse…) et une liste noire de mauvais élèves qui s’est rapidement vidée ;
- une liste de sanctions possibles à l’encontre des territoires récalcitrants, pouvant aller jusqu’à la suspension des relations financières ;
- le FMI et le Conseil de stabilité financière devront établir un suivi du respect des règles prudentielles internationales dans ces territoires et pointer les dérives des centres financiers offshore en tant que paradis réglementaires.
2.2 -…ET SES INSUFFISANCES
Le premier problème concerne la composition des listes : suite à la pression de la Chine, Hong Kong n’est pas explicitement dans la liste des pays douteux – même si elle est suivie de près par l’OCDE. Jersey, Guernesey, l’île de Man, l’Irlande, etc., autant de territoires régulièrement cités pour leurs pratiques fiscales ou financières douteuses, ne sont pas dans la liste non plus, ce qui a entamé sa légitimité aux yeux de la société civile. De plus, rapports de force politique oblige, la City de Londres ou bien le Delaware ou le Nevada aux Etats-Unis ne sont pas non plus pointés du doigt alors qu’il est facile, rapide et peu coûteux d’y ouvrir des sociétés écrans servant tout type de flux financiers obscurs.
La mobilisation des institutions internationales sur le plan de la surveillance prudentielle semble par ailleurs être en panne. Le Conseil de stabilité financière n’a pas communiqué sur le sujet. Et une rencontre avant l’été avec quelques responsables du FMI laisse penser que l’institution n’a pas encore décidé d’engager les moyens qui lui permettraient de jouer un rôle actif dans la surveillance des paradis réglementaires.
Le principal souci est celui du critère retenu pour établir les listes des paradis fiscaux. Le choix de celui-ci est essentiel car il décide du maintien ou non des pays sur les listes noires et grises, seuls territoires à pouvoir faire l’objet de sanctions. Or, le critère du G20 d’avril est insuffisant. Il demande aux paradis fiscaux de signer 12 traités bilatéraux d’échanges d’informations fiscales, un nombre limité. Il s’appuie sur l’article 26 des conventions fiscales OCDE qui se contente de réclamer un échange d’information à la demande en cas de présomption de fraude et d’évasion fiscale. Ce qui signifie que les grands Etats devront fournir a priori un nom, une adresse, une période déterminée et le nom d’une banque ou d’une société écran utilisée, ce qui, pour ce dernier point, peut s’avérer très difficile.
Le secret bancaire ou la dissimulation derrière une société écran ne pourront a priori être retenus pour s’opposer à la divulgation des informations. De quoi affaiblir considérablement le degré de protection dont bénéficient les Français qui veulent dissimuler leur argent dans ce genre de territoires… dans la mesure où le fisc français peut obtenir les informations nécessaires pour effectuer ses demandes. Il y a environ 800 000 sociétés écrans aux Îles Vierges Britanniques, par exemple. Comment localiser la bonne banque ou la bonne société pour effectuer une demande aux autorités des paradis fiscaux ?
2.3 -DEPUIS LE G20 : LE SECRET BANCAIRE BOUSCULE
Le risque de réputation que fait subir aux paradis fiscaux le fait de se trouver sur une liste grise ou noire internationale a suscité une frénésie de négociations d’accords bilatéraux, avec pour résultat une succession désordonnée de tractations bilatérales.
Ainsi, le Royaume-Uni a annoncé le 11 août dernier avoir signé un accord avec le Liechtenstein qui fixe comme objectif qu’à l’issue d’une période de 5 ans il n’y ait plus aucun fraudeur britannique dans la Principauté. Les 5000 clients concernés sont appelés à se dénoncer pour régulariser leur situation et bénéficier de pénalités réduites avant que leur identité ne soit transmise au fisc britannique. L’accord a un défaut important : il accorde une grande confiance à la volonté de coopération du Liechtenstein. Mais il pose trois principes intéressant qui vont au-delà de l’article 26 de l’OCDE : il supprime de fait le secret bancaire entre les deux pays, il définit un critère de performance clair et de niveau élevé (zéro fraudeur) et il réclame des résultats dans une limite de temps donné (5 ans).
Dans le cadre du conflit opposant les Etats-Unis à la banque suisse UBS, l’accord rendu public le 19 août a représenté un autre type d’avancée : la Suisse a un an pour donner 4450 noms, dont 500 dans les 3 mois qui viennent. Les Etats-Unis engagent ce que les spécialistes appellent une fishing expedition, c’està-dire la demande, et l’obtention, d’une longue liste de fraudeurs alors qu’ils ne connaissent pas leurs noms, ce que proscrivent les accords signés sur la base de l’article 26 de l’OCDE. Signe de la confiance extrême des Américains dans l’administration suisse, l’accord prévoit une revue trimestrielle de la transmission des noms pour être sûr que cela ne traîne pas ! Ce qui représente, de nouveau, une sacrée brèche dans le secret bancaire.
Le 27 août, la France annonçait la signature d’un avenant à son accord de non double imposition avec la Suisse. Il est d’abord indiqué que la France doit effectuer ses demandes sur la base de renseignements « vraisemblablement pertinents ». Une façon de dire qu’il n’est pas besoin d’arriver avec un dossier étayé et qu’une présomption de fraude ou d’évasion fiscale suffit. On reste là dans le cadre de ce qu’indique l’OCDE dans son modèle d’échange d’informations.
Par contre, la suite du document est a priori favorable à la France. Celle-ci devra en effet fournir seulement un nom, une adresse et une période visée, préciser bien entendu ce qu’elle veut comme informations et à propos de quel impôt, mais sans avoir à donner le nom de la banque ou de la société écran utilisée par le fraudeur : l’alinéa e) indique que la France ne donnera ces renseignements que « dans la mesure où ils sont connus ». Or, c’est cette information qui est la plus difficile à connaître. Il revient aux autorités suisses de mener l’enquête s’il y a lieu. La Suisse ne peut arguer du fait que le fraudeur se cache derrière une banque ou une société écran. Il restera à voir comment le texte sera interprété au moment où les demandes d’informations seront effectuées. Mais, sur le principe, cela représente un sacré coup sur le secret bancaire et les réseaux d’opacité de la finance suisse.
En échange, la France accepte de ne pas aller à la pêche aux renseignements comme l’ont fait les Américains avec UBS : demander des noms de clients sans savoir a priori qui ils sont et s’ils pratiquent ou pas l’évasion ou la fraude fiscale. La France ne cherche donc pas à promouvoir un échange automatique d’informations qui obligerait la Suisse à lui transmettre régulièrement, sans demande préalable, le nom des Français qui utilisent le système financier suisse.
La qualité et l’efficacité de l’accord vont se mesurer à la diligence avec laquelle les autorités suisses accepteront de jouer le jeu. De manière collatérale, le suivi de l’application de l’accord permettra également de mesurer l’énergie avec laquelle le ministre du Budget se lancera ou pas dans la traque aux fraudeurs français.
A cet égard, l’annonce par ce dernier qu’il disposait d’une liste de 3000 fraudeurs fiscaux français installés en Suisse, leur enjoignant de se dénoncer d’ici le 31 décembre s’ils veulent éviter les poursuites pénales, a été un joli coup. Il ne s’agit pas d’une amnistie car il faut payer les impôts de retard et les pénalités. Avec un peu de chance, le fisc pourrait ainsi voir arriver des personnes rendues nerveuses par les évolutions en cours et qui n’étaient pas sur la liste. Les contrôleurs des impôts en profitent généralement pour se faire expliquer les mécanismes de fraude utilisés, ce qui permet ensuite de cibler les banques, avocats, fiscalistes, etc. qui trempent dans ce genre de pratiques et permet de lancer de nouvelles enquêtes ciblées.
L’un des tests permettant de juger de l’engagement réel du gouvernement en la matière sera de surveiller quels moyens supplémentaires il donnera au fisc pour traiter les informations reçues. Car, une fois celles-ci obtenues, il faut pouvoir les traiter si l’on veut récupérer des recettes fiscales (cf. infra).
2.4 -LE SUIVI DES TRAITES BILATERAUX : LES PROGRES DE DEBUT SEPTEMBRE
Lors de la réunion du Forum mondial de l’OCDE sur la transparence et l’échange de renseignements des 1er et 2 septembre, il a été décidé la création d’un « groupe des pairs » chargé de surveiller que les paradis fiscaux qui, mis sous pression par le G20 d’avril dernier, ont pris des ces derniers mois engagements d’échange d’informations fiscales, vont bien tenir leurs promesses.
Dans les documents liés au sommet, l’OCDE précise que la contrainte de la signature de 12 accords d’échanges d’informations imposée par le G20 « ne doit pas être considérée comme un plafond mais comme partie intégrante d’un processus dynamique » laissant supposer que d’autres accords pourraient être réclamés aux paradis fiscaux. L’institution veut établir un suivi précis de la mise en œuvre des accords, de leur utilisation effective, avec un rapport régulier, rendu public, le premier étant prévu pour la fin 2009.
Néanmoins, le Forum en reste au principe de l’échange d’informations à la demande, ce qui est loin de permettre de prophétiser la fin des paradis fiscaux pour le monde de demain comme l’a fait Angel Gurria, le secrétaire général de l’OCDE le 31 août.
Les ministres des Finances du G20 ont par ailleurs précisé le 5 septembre qu’ils étaient prêts à mettre en œuvre des sanctions contre les territoires récalcitrants dès mars 2010. Mais comme tous les paradis fiscaux ou presque signent des accords d’échanges d’informations, il ne restera bientôt plus personne à qui les appliquer.
2.5 -EN ATTENDANT L’UNION EUROPEENNE A L’AUTOMNE
L’affaire de fraude fiscale impliquant le Liechtenstein au début de l’année 2008 a fait monter la pression politique en Europe contre les paradis fiscaux. La France et l’Allemagne ont alors décidé de soutenir politiquement les travaux engagés depuis 2005 par la Commission en vue de renforcer la Directive épargne qui permet la taxation de l’épargne des non résidents.
La Directive prévoit pour l’instant que lorsque des individus perçoivent des intérêts dans un pays européens (ou ayant accepté d’appliquer la loi européenne comme l’ont fait nombre de paradis fiscaux) où ils ne sont pas résidents, le pays en question doit en informer le fisc du pays d’origine ou bien, s’il souhaite conserver son secret bancaire, appliquer une retenu à la source de 20 % (35 % à partir de 2011). France et Allemagne souhaitent que l’échange d’informations devienne obligatoire et que la directive puisse s’appliquer non plus seulement aux placements traditionnels des individus mais touche également les personnes morales type trusts, etc., ainsi que les instruments de placements financiers plus sophistiqués comme les produits dérivés, l’assurance-vie et tous les produits « innovants » inventés par les financiers les plus créatifs. Des évolutions importantes, qui vont dans le bon sens et doivent être soutenues au moment où elles reviendront sur la scène politique européenne à l’automne.
En février 2009, la Commission a également proposé la fin du secret bancaire entre pays de l’Union. Il est « inacceptable que le secret bancaire en vigueur dans un État membre puisse constituer un obstacle à l’établissement correct par les autorités fiscales d’un autre État membre du montant des taxes et impôts dus par l’un des contribuables résidents de ce dernier», a ainsi déclaré Laslo Kovacs, le Commissaire européen chargé de la fiscalité.
2.6 -LES PROPOSITIONS D’OBAMA
Le code des impôts américain est « un code rempli d’échappatoires pour les entreprises qui leur permet en toute légalité de ne pas payer leur juste part. C’est un code qui rend bien trop facile pour un nombre, un petit nombre d’individus et d’entreprises d’abuser de l’utilisation des paradis fiscaux pour ne pas payer d’impôt du tout ». Sur la base de ce constat, que l’on pourrait également faire pour la France, le président Obama est passé à l’attaque le 4 mai dernier pour forcer multinationales et Américains fortunés à payer leurs impôts.
Il propose de renforcer les contraintes de divulgation d’informations pesant sur les banques étrangères proposant des comptes offshore aux Américains. C’est une évolution importante. Il ne faut pas oublier que l’IRS, le fisc américain, ne reçoit pas d’informations systématiques des banques sur les dépôts bancaires, pas plus que sur les bénéficiaires effectifs d’intérêts perçus à l’étranger et versés à des citoyens américains. Le projet de loi préparé à cet effet par l’administration Clinton, n’est jamais passé. Les paradis fiscaux européens utilisent couramment cet argument pour justifier leur refus de passer à l’échange automatique d’informations.
Par ailleurs, la première façon de ne pas payer d’impôts étant d’appliquer la loi, Barack Obama veut changer quelques mesures clés du code des impôts américain qui permet notamment aux multinationales d’organiser des flux de revenus entre différentes filiales situées à l’étranger sans être imposées aux Etats-Unis.
En cela, le gouvernement américain applique une logique qui va à l’encontre de ce qui s’est fait au cours des dernières décennies. Le système de taxation des firmes multinationales repose sur le principe de la taxation à la source : on taxe là où les profits sont réalisés quel que soit le lieu d’origine de la maison mère. Or, les pratiques de prix de transferts, de localisation des droits de la propriété intellectuelle, le financement de filiales en thin cap (faible capital, grosse dette) et autres, permettent aux multinationales d’échapper au principe de taxation à la source. Les propositions techniques avancées par Obama visent à introduire un principe de taxation fondé sur le critère de résidence : si vous êtes une entreprise américaine vous devez payer des impôts aux Etats-Unis, quelque soit l’endroit où vous les réalisez. Un principe intéressant et à débattre, même si son objectif logique, un régime mondial consolidé, n’est pour l’instant soutenu par aucun pays.
La lutte contre les paradis fiscaux semble donc rester en haut de l’agenda politique mondial. Le G20 de Pittsburgh doit maintenir cette dynamique politique selon deux grands axes : améliorer les dispositions déjà prises et ouvrir de nouveaux chantiers, sans lesquels les progrès réalisés jusqu’à présent laisseront de grandes marges de manœuvre à ces territoires parasites pour continuer à déstabiliser la mondialisation contemporaine.
3 – ALLER PLUS LOIN EN 10 PROPOSITIONS
Une véritable remise en cause de l’espace légal fictif et opaque que proposent les paradis fiscaux suppose de pouvoir s’attaquer aussi bien aux utilisateurs des paradis fiscaux (contribuables aisés, multinationales, institutions financières) qu’aux pays qui les accueillent, sans oublier tous les professionnels du droit et du chiffre (avocats, cabinets d’audit, banques, etc.) qui servent d’intermédiaires.
A cet égard, on trouvera ci-dessous 10 propositions qui peuvent être débattues aussi bien au niveau français qu’européen ou international.
3.1 -PROMOUVOIR UN ECHANGE AUTOMATIQUE D’INFORMATIONS
Les progrès accomplis dans la dynamique politique du G20 qui se sont traduits par la multiplication des accords bilatéraux d’échange d’informations doivent être considérés comme un point de départ et non un point d’arrivée.
Il est nécessaire de promouvoir le passage à un échange automatique d’informations au moment des ouvertures de compte ou de trust – fiducie, etc. Les techniques informatiques permettent de transmettre ce genre de données de manière automatisée avec une recherche d’information facilitée par les technologies en vigueur. Les pays du Sud comme les pays du Nord pourraient le mettre en place : après le 11 septembre 2001 les douaniers du Sud ont mis en œuvre un système d’information automatisé qui leur permet d’avoir accès de manière automatique aux fichiers de police du Nord en quelques secondes après avoir scanné un passeport.
En attendant qu’une telle évolution recueille un assentiment politique international, le ministère des Finances devrait rendre public chaque année le nombre de procédures d’échange d’informations mises en œuvre par l’intermédiaire des conventions fiscales / accords d’échange d’information et leurs résultats, afin de s’assurer que les procédures à la demande qui sont en train d’être mises en œuvre sont utilisées efficacement. La même information devrait être rendue publique au niveau de l’ensemble des pays membres du Forum mondial de l’OCDE sur la transparence et l’échange de renseignements.
Au cas où il s’avèrerait que certains pays sont particulièrement réticents à fournir des informations, des contre mesures devront être mises en œuvre de manière graduée : instauration d’une retenue à la source sur tous les transferts financiers à destination de ces pays (efficacité limitée) ; suppression de la possibilité de déduire des paiements d’intérêt effectués à destination de ces territoires ; remise en cause des accords de libre échange commerciaux pour les pays situés en dehors de l’Union européenne ; interdiction des transactions financières en provenance et à destination de ces pays. Ce genre de sanctions pèsent d’autant plus lourdement qu’elles sont coordonnées. La voie européenne et multilatérale doit donc être privilégiée, ce qui n’exclut pas des actions bilatérales.
3.2 -RENFORCER LES ADMINISTRATIONS FISCALES
La lutte contre les paradis fiscaux ne s’arrête pas aux informations obtenues auprès de ces territoires. Au contraire, c’est là qu’elle commence. Les administrations fiscales doivent développer une capacité à maîtriser le système d’échange d’information pour que les efforts diplomatiques internationaux se traduisent en recettes fiscales effectivement récupérées. Il faut alors s’assurer que l’administration française dispose de l’arsenal juridique anti évasion approprié – de ce point de vue, la question se pose de la nécessité d’harmoniser les incriminations en matière de délinquance fiscale au niveau de l’Union européenne – et des moyens humains adaptés.
Les administrations fiscales doivent pouvoir bénéficier des effectifs et des compétences nécessaires à la lutte contre les paradis fiscaux qui utilisent des montages complexes. Le président Obama a montré la voie en annonçant le recrutement de 800 agents supplémentaires dédiés à cette tâche (près de 700 millions de dollars de dépenses supplémentaires, 5 % du budget du fisc). En France, le nombre de contrôleurs du fisc a diminué de 12 % entre 2002 et 2008 et en aura perdu 15 % d’ici 2011 si l’on tient compte des suppressions de postes annoncées. Le gouvernement s’engage fortement, en paroles, dans la lutte contre les paradis fiscaux, mais ne semble pas prêt à l’effort budgétaire nécessaire pour mettre son portefeuille au niveau de ses ambitions. La possibilité de donner des pouvoirs de police judiciaire aux inspecteurs des impôts, en matière de fraude et d’évasion internationale, et sous le contrôle d’un juge, comme cela a été fait pour les douaniers, est une piste intéressante. Le ministre du Budget semble le souhaiter.
La capacité technique des contrôleurs doit également être accrue à la fois par une formation continue adaptée à la complexité et à l’internationalisation croissante des fraudes, ainsi que par le recrutement de professionnels issus du secteur privé en matière bancaire, comptable, financière et juridique. Leurs conditions statutaires et de recrutement pourraient faire l’objet de procédures spécifiques.
Un état des lieux réguliers des efforts effectués en matière d’arsenal juridique et de moyens humains devrait être rendu public, tant l’efficacité de la lutte contre les paradis fiscaux passe également par la surveillance de l’expression de la volonté, dans la durée, des pays victimes d’entreprendre les actions politiques nécessaires.
3.3 -CREER UN CENTRE NATIONAL PERMANENT D’EXPERTISE
Comme le soulignait à plusieurs reprises le Conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport de 2007 sur La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, la France fait partie des pays où les connaissances sur la fraude fiscale et l’utilisation des paradis fiscaux par les acteurs individuels et économiques installés en France reste très faible.
Il est donc proposé de créer un Centre national d’expertise permanent dont l’objectif serait double. D’une part, assurer une meilleure connaissance du rôle joué par les paradis fiscaux dans l’économie française. D’autre part, fournir à la France un niveau d’expertise de haut niveau lui permettant d’être en pointe dans les débats internationaux sur le sujet qui ne devraient pas manquer de se développer dans les prochaines années, au moment où la lutte contre les paradis fiscaux s’est imposée parmi les priorités de l’agenda politique international.
3.4 -RENFORCER L’ACTION EUROPEENNE : LA DIRECTIVE EPARGNE
Ainsi qu’indiqué précédemment, il faut que l’échange automatique d’informations devienne obligatoire (plus de pays à secret bancaire avec retenue à la source) et que la directive puisse s’appliquer non plus seulement aux placements traditionnels des individus mais touche également les sociétés écrans types trusts, etc., ainsi que les instruments de placements financiers plus sophistiqués comme les produits dérivés, l’assurance-vie et tous les produits « innovants » inventés par les petits génies de la finance. Le Parlement européen et le Conseil devraient revenir sur le sujet à l’automne 2009.
3.5 -RENFORCER L’ACTION EUROPEENNE : LA DIRECTIVE ACCIS
La Commission dispose également dans ses cartons d’un projet d’harmonisation des assiettes fiscales de l’impôt sur les sociétés. Les multinationales établies dans plusieurs pays européens établissent leurs comptes et payent leurs impôts dans chaque pays d’implantation. Elles ont alors tendance à faire apparaître leurs profits dans les pays les moins taxés. Une base fiscale consolidée, établie au niveau européen, rendrait ce genre de comportement, lié à la manipulation des prix de transfert, nettement plus difficile au sein de l’Europe.
Les profits du groupe seraient consolidés au niveau européen et, soit taxés à ce niveau si un accord est possible en termes d’harmonisation des taux, soit répartis et taxés en fonction des différents taux nationaux, les profits ou le produit de l’impôt étant redistribué entre les différents pays d’implantation selon des critères à déterminer mais qui devraient refléter une activité réelle (actifs matériels, chiffre d’affaires, nombre de personnes employées) afin d’éviter l’utilisation de sociétés écrans. L’ajout d’un taux minimal d’imposition paraît une nécessité.
Au-delà, on peut évoquer la possibilité d’un « serpent fiscal européen » : comme le serpent monétaire a préparé l’euro, le serpent fiscal permettrait de préfigurer une harmonisation fiscale européenne totale encore difficile à faire accepter aujourd’hui.
3.6 -METTRE EN PLACE UN REPORTING COMPTABLE PAYS PAR PAYS
A plus long terme, le projet d’une taxation consolidée unique au niveau mondial peut être évoqué, selon les mêmes principes que ceux évoqués pour le projet européen. Des travaux techniques peuvent être demandés à l’institution internationale idoine (OCDE ?) dont l’approche standard des prix de transfert selon l’Arm’s lenghth principle – les différentes filiales d’une multinationale doivent s’échanger des biens et des services à un prix qui correspond au prix de marché qui serait appliqué entre deux entreprises n’appartenant pas à un même groupe – s’avère désormais souvent inadapté face aux comportements des multinationales.
Un tel projet de taxation consolidé n’étant pas à l’ordre du jour pour l’instant, des progrès pourraient être réalisés grâce à la mise en œuvre d’un reporting comptable pays par pays, si possible par une intégration aux normes IFRS.
Le principe est de disposer de l’information permettant de mettre en évidence les pratiques fiscales douteuses des multinationales (manipulation des prix de transfert, thin cap, allocation des droits de la propriété intellectuelle, etc.). Chacune d’entre elles – cela peut être demandé par les autorités publiques nationales – devra fournir : son chiffre d’affaires, le nombre de personnes employés, la masse salariale, les profits réalisés et les impôts payés, pour l’ensemble des ses implantations dans les pays où elle est implantée, voire pour chacune des implantations.
L’économiste américain Robert Lipsey a ainsi pu mettre en évidence pour l’ensemble des multinationales américaines les résultats suivants :
Une étude publiée en juillet dernier par le Sénat américain a également permis de montrer combien les grandes entreprises américaines localisent leurs profits à l’étranger prioritairement dans les paradis fiscaux, que les actifs immatériels représenteraient la moitié des transferts de revenus vers ces territoires et les transferts de paiements d’intérêt l’essentiel du reste. Il pointe que les industries pharmaceutiques, informatiques et électroniques sont de grosses utilisatrices de ce genre de pratiques et cible la Hollande, la Suisse, les Bermudes et l’Irlande comme principaux offreurs de ce type de services.
Avec une comptabilité pays par pays, ce genre d’anomalies devient flagrant, ce qui peut permettre une action politique dont les modalités politiques restent à négocier.
Le gouvernement britannique a indiqué à la mi-juin son soutien à une telle initiative. Lors de la réunion de Berlin du 23 juin 2009, la Belgique, la Corée du Sud, la Norvège et la Suède l’ont également appuyé. La France doit s’engager en ce sens.
Certaines entreprises disposent déjà des informations nécessaires dont le coût de publication serait minime. D’autres devraient procéder à un changement de l’organisation de leur reporting mais le coût à supporter serait uniquement lié à celui de la mise en place de la procédure. Par contre, les entreprises devraient sûrement supporter des frais d’audit supplémentaires, les commissaires eux comptes devant valider la justesse des comptes pays par pays. Un coût d’ajustement qui serait compensé par la baisse du « risque réputationnel » des dirigeants et actionnaires qui verraient grandement minimiser la possibilité de voir leur entreprise en première page des journaux après un scandale fiscal.
L’information pourrait être rendue publique, uniquement sur les sites Internet des entreprises si l’on souhaite éviter de trop gonfler la version papier des rapports annuels. Les agences de notation, financière et extra financière, pourraient s’en saisir pour déterminer les profils de risque des entreprises dont les plus saines seraient récompensées par un accès moins onéreux aux marchés de capitaux.
3.7 -RENFORCER LA GOUVERNANCE FISCALE DES MULTINATIONALES
Les questions fiscales doivent devenir l’objet d’une attention particulière des conseils d’administration. Si les multinationales cherchent la meilleure optimisation possible, elles sont également en quête de sécurité fiscale, les deux pouvant s’avérer antagoniques si une pratique d’optimisation, finalement jugée trop agressive, fait l’objet d’un redressement.
Dans le climat politique actuel favorable à la remise en cause des paradis fiscaux, les exigences réglementaires en matière de prix de transfert s’étendent et certaines administrations – comme en Chine – n’hésitent pas à recruter les grands cabinets de conseils qui travaillent pour les multinationales pour mieux appréhender les comportements d’optimisation des multinationales. D’une manière générale, les grands cabinets d’audit soulignent un accroissement des relations conflictuelles entre multinationales et administrations fiscales en matière de prix de transfert, dans les grands pays et chez les émergents.
Tout ce qui contribue à augmenter le niveau potentiel de conflictualité avec l’administration, abaisse le niveau de sécurité fiscale, et augmente le cout de l’optimisation. L’administration fiscale française est d’ailleurs en train de revenir à la charge sur les obligations documentaires liées aux prix de transferts après l’échec du vote sur la précédente loi de finances qui visait à accroître les contraintes pesant sur les multinationales. A ce sujet, il faudra surveiller que les établissements financiers ne bénéficient pas d’égards particuliers leur permettant de subir de moindres contraintes en la matière.
L’Autorité des marchés financiers pourrait être en charge de formaliser les documents nécessaires pour justifier de la qualité de la gouvernance fiscale des entreprises. Elle pourrait par exemple labelliser la gouvernance fiscale des sociétés en fonction de leur qualité. En cas d’infraction, les entreprises devraient payer des amendes rendues publiques. On peut également envisager de labelliser la gouvernance fiscale des entreprises.
En cas de comportement fiscaux douteux, les directeurs fiscaux des groupes devraient être tenus pour responsable des comportements d’optimisation agressive.
3.8 -S’ATTAQUER AUX PROFESSIONNELS DU DROIT ET DU CHIFFRE
Afin de lutter contre les pratiques des intermédiaires, obligation légale pourrait être faite aux cabinets de conseils et fiscalistes de déclarer à l’administration les produits d’optimisation fiscale qu’ils créent, et aussi d’identifier leurs clients. De quoi réduire le marketing d’optimisation agressive. L’administration fiscale doit se doter des moyens de pouvoir exercer une veille sur les techniques agressives d’optimisation.
On peut évoquer la piste d’une labellisation des conseillers fiscaux sur le modèle des notes que reçoivent les Etats, les entreprises, etc. (AAA , AA, A, etc.). Les intermédiaires aux pratiques douteuses verraient leur note dégrader.
De manière générale, avec ou sans labels, les professionnels pris la main dans le sac de montages agressifs devraient être touchés par de fortes amendes dont la publicité devrait être faite. On peut également envisager une mise en cause judiciaire directe de leurs dirigeants. Ainsi, dans le cadre de l’affaire UBS, les Etats-Unis ont annoncé qu’ils portaient plainte contre un cadre de la banque privée zurichoise NZB et contre un avocat qui auraient facilité l’évasion fiscale des clients américains d’UBS.
L’IRS dispose d’une unité spéciale (Offshore Identification Unit) dont l’objectif est d’identifier ces réseaux opaques de conseils douteux. S’attaquer à ceux de ces professionnels qui encouragent la fraude fiscale pour s’enrichir est une étape essentielle pour mener un véritable combat politique contre les paradis fiscaux.
3.9 -DES DECLARATIONS DE SOUPÇONS D’EVASION FISCALE
La transcription de la Directive européenne anti blanchiment en droit français au début 2009 inclus dans son périmètre la fraude fiscale. Les banques devraient donc envoyer à Tracfin des déclarations de soupçons en matière de fraude fiscale comme elles le font en matière de blanchiment d’argent sale.
Les décrets d’application n’étant pas parus, on ne connaît pas pour l’instant les critères que devront respecter les banques en la matière. Il est urgent qu’ils soient arrêtés. Il doit être demandé aux banques d’établir les profils fiscaux de leurs clients à risques, que l’on pourrait définir comme ceux engageants des transactions vers les territoires ayant figurés sur une liste grise et noire en 2009 ou ayant été inclus dans les listes OCDE / Gafi / FSF en 2000. Si au cours d’une période de 10 années aucune déclaration n’est faîte, l’obligation de déclaration serait suspendue pour le pays considéré.
Le principe d’une déclaration de soupçon d’évasion fiscale doit être reconnu et médiatisé. Tracfin devrait publier le nombre des déclarations de soupçons reçus en la matière et les banques indiquer dans leur rapport annuel le nombre de déclarations envoyées. Les agences de notation extra financières, la société civile, etc., doivent pouvoir utiliser ces données. La question se pose de savoir si le fisc doit pouvoir avoir accès aux déclarations de soupçons que Tracfin juge suffisamment sérieuses pour faire l’objet d’une enquête de sa part.
Les régulateurs bancaires doivent s’assurer que les banques mettent concrètement en place des systèmes de contrôle des fraudes et évasion fiscale. Un établissement bancaire qui ne ferait pas d’effort en la matière doit se voir condamner à une amende et celle-ci faire l’objet d’une publicité. On peut envisager la mise en cause judiciaire des dirigeants dont les établissements ne coopèrent pas assez.
3.10 -UN RAPPORT NATIONAL REGULIER
La lutte contre les paradis fiscaux est une entreprise de long terme. Les politiques publiques qui peuvent aller en ce sens mettront du temps à être mises en œuvre et feront l’objet d’âpres négociations. Afin de maintenir la dynamique politique de ces derniers mois, il est nécessaire que soient fixés des rendez-vous réguliers permettant de mesurer les progrès accomplis et de maintenir la pression sur les gouvernements et les acteurs privés pour qu’ils poursuivent leurs efforts.
Par exemple, au niveau de chaque pays du G20 ou de l’Union européenne, il pourrait être demandé aux administrations fiscales de produire un document annuel qui présenterait : les taux effectifs d’imposition des personnes les plus aisées (en tant que groupe), des multinationales (individuellement), le nombre de redressements fiscaux opérés pour les grandes entreprises, le nombre d’utilisation des conventions fiscales bilatérales/ traités d’échange d’informations, etc., la liste reste à définir. Une discussion parlementaire pourrait suivre la publication du rapport.
Une fenêtre politique est aujourd’hui ouverte en faveur de politiques publiques conséquentes destinées à remettre en cause les paradis fiscaux dans toutes leurs dimensions. Il est essentiel de la maintenir ouverte tout le temps nécessaire à la construction de compromis nationaux, européens et mondiaux efficaces. Le maintien de déficits publics élevés pendant plusieurs années devrait inciter les gouvernements à maintenir un intérêt certain pour le sujet. Mais la pression des acteurs privés pour ne rien céder sera également forte. C’est un combat de long terme.
Annexe
Qu’est ce qu’un paradis fiscal ? Les 10 critères
Plusieurs organisations internationales ont proposé quelques critères d’identification des paradis fiscaux mais toujours très partiels, liés à leurs propres besoins (pratiques d’imposition, lutte contre le blanchiment, etc.). Une revue de la littérature spécialisée permet de mettre en évidence les dix critères qui caractérisent un paradis fiscal.
- Une taxation faible ou nulle pour les non résidents : cette caractéristique qui donne leur nom aux paradis fiscaux ne doit pas faire oublier que seule une petite minorité des paradis fiscaux n’ont aucun impôt sur le revenu ou sur les sociétés. Le principe même de ce genre de territoires est de réserver les avantages fiscaux aux activités internationales des non résidents.
- Un secret bancaire renforcé : les établissements financiers s’obligent, sous la contrainte de la loi, à ne pas révéler l’origine, la nature et le nom de leurs clients à leurs propres gouvernements, sans parler des gouvernements étrangers.
- Un secret professionnel étendu : avocats, comptables et employés en tout genre sont soumis à un contrôle réglementaire strict (un contrôle de l’absence de contrôle…) du respect de la confidentialité concernant leurs clients et leurs opérations, y compris lorsqu’elles violent les lois de territoires étrangers.
- Une procédure d’enregistrement relâchée : les entreprises peuvent s’enregistrer rapidement, à moindre coût et sans fournir beaucoup d’informations sur leurs activités ou sur l’identité de leurs propriétaires effectifs.
Une liberté totale des mouvements de capitaux internationaux.
Une rapidité d’exécution : implantation d’entreprises et transferts de fonds peuvent être réalisés en un temps record. - Le support d’un grand centre financier : une infrastructure de haut niveau en matière de technologies de l’information reliée à un centre financier d’importance est primordiale. Etre un grand centre financier mondial, comme Londres, est encore mieux.
- Une stabilité économique et politique.
- Une bonne image de marque : le nom du territoire ne doit pas être (trop) associé à des opérations de corruption ou de blanchiment d’argent criminel.
- Un réseau d’accords bilatéraux : les centres financiers offshore ont généralement signé des conventions avec les grands centres financiers permettant d’éviter une double taxation des filiales d’entreprises. Les paradis proprement fiscaux ont commencé à signer des accords d’échange d’informations fiscales en 2009 sous la pression internationale.