Quand nos amis du Mouvement des sans-terre (MST) brésilien nous ont contactés il y a plusieurs mois pour nous annoncer que leCentre d’information alternative était invité à une rencontre avec le pape François, nous avons beaucoup ri : qu’est-ce qu’une organisation – le Centre d’information alternative (AIC) à Jérusalem et Bethléem – dont la plupart des membres sont de culture juive ou musulmane, et athées de surcroît, allaient faire au Vatican? Et quand le conseil d’administration m’a demandé d’y représenter l’organisation dont je suis le président, j’ai carrément dit non : si je ne partage pas l’anticléricalisme primaire de beaucoup de mes amis français, et considère, avec Karl Marx, que la religion n’est pas seulement l’opium du peuple mais aussi « le soupir des opprimés », je ne voyais pas l’intérêt de ma présence à une rencontre au Vatican. Devant l’insistance de nos amis brésiliens, j’y suis finalement allé. Et je ne le regrette pas du tout.
En fait, le Pape organisait une rencontre de dialogue intensif entre l’Église catholique et une centaine de mouvements populaires venant des quatre coins de la planète, autour de trois thèmes : la terre, le travail et le logement. Je l’avoue, c’était passionnant et certainement pas moins intéressant que les nombreux Forums sociaux mondiaux (FSM) auxquels j’ai déjà participé.
« Mouvements populaires », et pas des ONG – sauf l’AIC et quelques autres – ou même des mouvements sociaux comme on les appelle, mais des mouvements de base ou s’organisent les couches les plus exclues de la société et du monde du travail, comme les recycleurs
des déchets de Rio, des paysans d’Afrique centrale déplacés par les guerres, ou encore des pêcheurs privés de leurs ressources par des sociétés multinationales, ainsi que des habitants de bidonvilles d’Afrique et d’Amérique Latine, que les spéculations immobilières ont transformés en réfugiés dans leur propre villes.
Puis est venue la rencontre avec le Pape François et son adresse aux participants : directe, chaleureuse même, et d’une radicalité surprenante. Apres avoir fait une critique sans concession de l’état des lieux de notre monde, où l’homme est devenu l’esclave du capital et des multinationales, le Pape a appelé les mouvements populaires à devenir les agents d’un changement révolutionnaire indispensable. Oubliant le discours écrit, le Pape a tout d’un coup dit, avec un petit sourire : « Certains diront peut-être que je prêche du communisme… ». Et il est vrai que ses propos n’étaient pas moins subversifs que ceux du camarade-président bolivien Evo Morales qui a clôturé la rencontre.
« Terre, travail, logement – des droits sacrés et inaliénables, pour tous et toutes » a souligné le Pape François. Un tournant dans l’Église catholique? Pas certain : il suffisait de regarder les visages de certains des cardinaux présents pendant le discours du Pape, apparemment choqués par la radicalité du chef de l’Église. Ce qui est certain, c’est qu’un tournant dans l’implication sociale et politique de l’Église catholique est aujourd’hui l’objet d’un combat dans les instances supérieures de celle-ci. Il ne peut laisser indifférents les militantes et les militants du mouvement social à travers le monde, même les plus mécréants d’entre nous.