par Alexia Renard. Entrevue avec Shirley Barnea et Luca Salas.
Vendredi 24 septembre dernier, deux ans après la manifestation qui avait rassemblé 500 000 personnes dans le sillage de Greta Thunberg, des milliers de personnes, jeunes et moins jeunes, se sont mobilisées pour la justice climatique à Montréal. Une grève pour le climat a été votée par plusieurs étudiant.e.s à travers la province.
Les Nouveaux Cahiers du socialisme ont eu la chance de rencontrer les porte-parole des deux principaux groupes organisateurs de la manifestation, soit la CEVES (Coalition étudiante pour un virage économique et social) et Pour le futur Montréal, un groupe qui rassemble des jeunes du secondaire impliqué.e.s dans la lutte climatique.
Shirley Barnea étudie en sciences en première année de Cégep. Luca Salas est étudiant au baccalauréat en science politique à l’UQAM. Ils ont tous deux généreusement accepté de répondre à nos questions sur les revendications du mouvement, leur vision de l’avenir et leur parcours d’engagement. Dans cette entrevue, il est question, en plus de lutte aux changements climatiques, de la manière dont les combats environnementaux et sociaux se rejoignent. Cette convergence semble constituer une évolution par rapport aux revendications portées en 2019 : loin de se centrer uniquement sur l’environnement, le message met en effet l’accent sur la question des inégalités sociales qui, non seulement, découlent des changements climatiques, mais que ces derniers exacerbent. À l’heure de Black Lives Matters et de la remise en question du passé colonial canadien, c’est donc, à travers la notion de justice climatique, une nouvelle forme de convergence des luttes qui émerge.
——————————————
Pourriez-vous m’en dire plus sur votre parcours et sur ce qui vous a conduit à vous impliquer dans la lutte pour l’environnement?
Luca : Mon éducation sur l’environnement est beaucoup passée par des lectures et des discussions avec des amis. Mais c’est vraiment au niveau collégial qu’est né mon intérêt pour le climat. La marche du 27 septembre 2019 m’a également donné l’envie d’aller plus loin. Je me suis impliqué dans la CEVES grâce à des ami.e.s, et c’est aujourd’hui devenu un véritable choix de vie : non seulement mes études sont centrées sur ce sujet, mais je suis également végane et c’est toute ma vie qui est dédiée à la lutte aux changements climatiques, ainsi qu’à la justice sociale au sens large.
Shirley : Pour moi cela a commencé tôt aussi ! Dès l’école primaire, j’étais intéressée par l’environnement. J’étais dans le comité vert de mon école. Plus j’avançais dans mon parcours scolaire, plus je m’impliquais ; par la suite, je me suis engagée dans Pour le futur Montréal. La crise climatique est tellement énorme et importante… c’est une crise existentielle. Je ne voyais qu’une solution face aux catastrophes naturelles : il fallait que je m’implique, que je me mobilise le plus possible pour essayer d’arrêter ce désastre. La découverte des injustices sociales et de leur lien avec la crise climatique m’a encore plus motivée. Comme Luca le disait, c’est un choix de vie : tout ce que je fais, j’essaie de le faire de la manière écoresponsable. J’étudie aussi en sciences, et je compte faire quelque chose autour du climat dans ma vie, c’est sûr !
Quelles sont les revendications et les objectifs de la manifestation, et plus généralement du mouvement que vous portez?
Luca : les revendications peuvent varier d’une région à une autre, donc je parlerai plus ici de Montréal. On souhaite d’abord l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2030. Nous voulons d’une société sobre, sans sacrifier au bien-être de la population. Pourquoi 2030 et pas 2050 ? Parce qu’on juge qu’il y a seulement 50 % de chances de se limiter à 1,5 degrés d’ici là. C’est trop risqué, et on n’est pas prêts à jouer à pile ou face avec notre avenir !
Shirley : On a aussi trois autres revendications. La première, c’est la souveraineté des Premiers Peuples. Nous avons d’ailleurs travaillé avec le collectif Mashk Assi (ndlr : collectif créé pour soutenir les luttes au front des Premiers Peuples, fondé par des chasseurs-cueilleurs Ilnuatsh et Peskotomuhkati [passamaquody]) pour organiser la manifestation de vendredi. Nous souhaitons que leurs droits sur les terres ancestrales non cédées soient respectés.
Deuxièmement, nous demandons la régularisation du statut de tous les migrants. La crise climatique va engendrer beaucoup de catastrophes naturelles et beaucoup d’entre eux fuiront les effets des changements climatiques. Le Canada, qui sera moins affecté par ces changements, porte ainsi une grande responsabilité ! Nos émissions de GES sont disproportionnées par rapport à celles du Sud. C’est donc à nous d’accueillir ces migrants et de leur donner un statut légal.
Finalement, on demande le réinvestissement des fonds donnés aux forces policières. Comme on le sait, il y a beaucoup d’enjeux de violence entre la police et les communautés racisées. Il faut que plus d’argent soit investi dans ces communautés, pour les rendre résilientes face aux changements climatiques. Les personnes racisées sont affectées de manière disproportionnée par ces derniers.
L’idée générale que nous défendons est celle de justice climatique, c’est-à-dire l’idée que la crise climatique nous affecte tous et toutes, mais pas de manière égale. Elle va en réalité aggraver les inégalités déjà existantes. C’est à nous en tant que pays industrialisés de prendre nos responsabilités.
Luca : J’ajouterai que nos objectifs plus généraux sont d’éduquer et de faire comprendre aux différentes générations ce que signifient les enjeux climatiques. Faire passer le message, rappeler l’urgence : nous voulons montrer que c’est maintenant ou jamais qu’il faut agir.
Avez-vous le sentiment que les politiciens et politiciennes (que ce soit au niveau fédéral, provincial, municipal) sont à l’écoute des revendications étudiantes en matière d’environnement?
Luca : On n’est pas satisfait parce qu’il n’y a pas de leadership sur la question climatique, alors même que le gouvernement libéral a eu 6 ans pour démontrer ses ambitions sur la question. Les émissions de GES n’ont fait qu’augmenter. En réalité, peu importe les politiciens en place, on veut que les gouvernements prennent leurs responsabilités et cessent d’être inactifs sur la question climatique. On veut que tous les paliers, municipal, provincial et fédéral, fassent leur part des choses.
Shirley : Il y a encore beaucoup d’actions de la part des gouvernements qui ne sont pas en lien avec la science, mais les choses changent. Je pense qu’on a un impact, mais les gouvernements ne semblent pas comprendre l’urgence de la crise…
Comment vous sentez-vous face à l’avenir de notre planète? Quels sont les grands défis qui nous attendent selon vous?
Shirley : C’est complexe… je me sens en même temps complètement désespérée et pleine d’espoir. Quand je regarde ce que prévoient les scientifiques pour l’avenir, je ne vois pas grand-chose de beau, surtout au regard du faible niveau d’action politique… Mais en même temps, faire partie de ce beau mouvement qui fleurit me donne de l’élan. Je suis entourée de gens qui pensent comme moi, qui sont prêts à se battre avec moi. Peu importe le résultat, je vais continuer cette bataille, même si on dépasse 1,5 ou 2 degrés de réchauffement climatique ! Être dans l’action qui me permet de n’être pas désespérée.
Luca : Je suis un éternel optimiste ! Je pense que les gens vont continuer de se mobiliser. C’est sûr qu’avec l’année que nous venons de passer et toutes les catastrophes que nous avons connues, il y a déjà des migrations climatiques… malheureusement ce sont souvent les plus vulnérables qui sont affectés (d’où notre intérêt pour la justice sociale). On est tous et toutes un peu inquiets ; le sentiment d’écoanxiété affecte les jeunes et les moins jeunes… Mais malgré les grands défis qui nous attendent, une génération d’engagé.e.s s’en vient. Je crois qu’on peut faire une différence.
Comment votre implication est-elle accueillie par vos proches, ainsi qu’à l’école ou à l’université?
Shirley : J’ai de la chance, car j’ai beaucoup de soutien. Ma sœur milite avec moi dans Pour le Futur Montréal, et mes parents me soutiennent. J’ai également beaucoup d’ami.e.s dans le mouvement. Je me sens également soutenue dans mon milieu scolaire : mon Cégep a annulé les cours vendredi pour que tout le monde puisse aller à la manifestation. Au départ, quand j’ai commencé à m’engager pour le climat et à organiser la manifestation, je ne savais pas trop comment les professeur.e.s allaient réagir. Quand je lui ai parlé, ma professeure de français s’est exclamée : « C’est génial ! ». On avait un projet de reportage à faire dans le cadre de son cours, et elle m’a encouragée à le faire sur la manifestation. La plupart des professeur.e.s nous appuient quand on leur parle de notre engagement.
Luca : Mon cercle social m’appuie beaucoup là-dedans, beaucoup de mes ami.e.s sont impliqué.e.s… Je pense à mes parents aussi, qui, depuis que j’ai choisi le mode de vie végane, font aussi leur part des choses pour adhérer à cela. À force de côtoyer des militants comme Shirley, ou ceux et celles de Pour le Futur Montréal et de la CEVES, je me suis constitué un solide réseau social militant !