Lors de l’entrevue qu’il accordée à Radio-Canada récemment le premier ministre Justin Trudeau a réitéré l’engagement que son gouvernement ferait adopter une réforme du mode de scrutin à temps pour la tenue des élections de 2019 comme le Parti libéral l’avait promis lors de la dernière campagne électorale. Le chef du gouvernement contredit ainsi des déclarations que lui même, ainsi que la ministre de la réforme électorale, Maryam Monsef, avaient faites il y a quelques semaines.
On sait qu’un comité parlementaire multipartite sur la réforme électorale a consulté la population à ce sujet depuis juin dernier. Une forte majorité des 1 300 intervenants qui ont participé à cette consultation se sont alors prononcés en faveur d’un scrutin proportionnel mixte avec compensation, ainsi que trois des cinq partis représentés aux Communes (le NPD, le Bloc québécois et le Parti vert). Mais faute de temps pour l’implanter un tel système ne pourra pas être en vigueur lors des élections de 2019.
De plus, dans le rapport que le comité a déposé, début décembre, les représentants des cinq partis qui y siègent se sont ralliés à la recommandation de tenir un référendum pour que les Canadiens puissent choisir entre le scrutin majoritaire uninominal à un tour actuel et un nouveau système. Toutefois la dernière déclaration de M. Trudeau indique que son gouvernement refusera la tenue d’un tel référendum. Il ne reste alors comme possibilité de réforme rapide que le vote préférentiel en faveur duquel les libéraux se sont déjà prononcés. Son adoption aurait aussi comme avantage pour les libéraux aussi bien que les conservateurs d’expédier dans les limbes de la politique fédérale le projet de scrutin proportionnel auquel les deux partis s’opposent.
Le vote préférentiel appartient à la famille des scrutins majoritaires. Dans ce système, le député est élu sur une base uninominale dans chacune des circonscriptions. Il doit obtenir une majorité absolue des voix (50%+1). Pour y arriver, l’électeur utilise un bulletin de vote sur lequel il indique en ordre ses préférences (1er choix, 2e choix, 3e choix, etc.). Si aucun candidat n’obtient 50% + 1 lors du décompte, on comptera alors les 2e – 3e – 4e choix des électeurs, jusqu’à ce que le candidat obtienne la majorité absolue.
Le vote préférentiel ne permet pas de respecter la volonté populaire car, selon de nombreux experts, il cause des distorsions encore plus grandes entre le choix des électeurs et la représentation parlementaire que le scrutin actuel majoritaire uninominal à un tour. Ce mode de scrutin favorise aussi le parti appelé à former le gouvernement au détriment des partis d’opposition. Cela est dû au fait que, comme pour le système majoritaire à un tour, le candidat gagnant remporte toute la mise.[1]
La vigilance s’impose donc pour que la majorité parlementaire libérale ne fasse adopter une réforme qui empirerait la situation actuelle tout en favorisant le parti gouvernemental lors des prochaines élections. Selon sa dernière déclaration c’est ce que le premier ministre semble en train de faire: paver subrepticement la voie au vote préférentiel.
[1] Il ne faut pas confondre le vote préférentiel, qui appartient à la famille des scrutins majoritaires, avec le vote unique transférable (VUT) appartenant à la famille des scrutins proportionnels. Le fonctionnement des deux est semblable, car l’électeur indique un ordre de préférence parmi les candidats sur son bulletin de vote et qu’un transfert s’exerce lors du décompte pour élire un candidat détenant une majorité absolue (50% + 1). La différence vient du fait qu’avec le vote préférentiel, qui est axé sur une forte représentation locale, il n’y a qu’un seul siège de député par circonscription. Avec le vote unique transférable par contre il y en a plusieurs, car les circonscriptions sont plus populeuses et couvrent un plus grand territoire; ce qui permet une représentation proportionnelle.