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Trop de monde à table?

Par Serge Mongeau *

Sans qu’il soit encore total, le consensus semble se faire autour de la certitude que nous, les humains, consommons au-delà des capacités de la Terre et que nous en arrivons au point de mettre en danger les mécanismes qui permettent la vie humaine sur la planète.

En conséquence, bien des gens ont compris qu’il fallait diminuer notre consommation. Surtout que dans nos pays industrialisés, alors que ne cesse de croître notre consommation, nous sommes de plus en plus nombreux à constater qu’il y a déjà un bon moment que notre fuite en avant dans la consommation ne contribue en rien à notre épanouissement, bien au contraire.

Mais le système capitaliste, qui repose sur une incessante croissance économique fondée sur une augmentation ininterrompue de la consommation, s’est totalement débridé et il n’est pas facile d’en changer. Aussi cherche-t-on de toutes parts des voies qui permettraient la poursuite de la croissance économique. Nombre de propositions du développement durable vont dans ce sens : inventer des automobiles qui n’auraient pas d’impact sur le climat, trouver de nouvelles sources d’énergie qui remplacent le pétrole, se débarrasser du carbone en l’enfouissant au fond des mers, etc. Naïveté inquiétante, surtout que s’élèvent toujours plus nombreuses les voix qui font le constat que même s’il était possible de continuer la croissance économique, nous ne voudrions pas le faire vu que la société de consommation actuelle est en train de nous dépouiller de notre humanité, nous convertissant en esclaves aussi bien de la production que de la consommation.

Beaucoup moins naïfs et sans doute plus dangereux émergent des placards les disciples de Malthus, qui reprennent le discours du banquet : il y a tout simplement trop de convives à la table et si nous voulons qu’il y ait assez pour chacun, il convient de diminuer le nombre d’ « invités ». Le « assez pour chacun » ne semble pas négociable : c’est tout ce que le « progrès » peut offrir qu’on veut avoir, que ce soit utile ou non.

La population mondiale vient d’atteindre les 6 milliards 800 millions d’habitants. Sa croissance continuera pour quelques années, pour sans doute se stabiliser autour de 10 milliards un peu après 2050. C’est le tiers monde qui contribue presque uniquement à la croissance démographique. Et, selon les néomalthusiens, c’est là qu’il faudrait agir. Certains y vont de solutions radicales : cessons toute aide, laissons la nature… et les tyrans jouer leur rôle. Évidemment, cela implique de fermer encore plus hermétiquement nos frontières. D’autres suggèrent des programmes massifs de contrôle des naissances; pour être efficaces, de tels programmes ne devraient pas reposer sur l’éducation, trop coûteuse et trop longue à donner des effets. L’exemple de la Chine, avec ses méthodes autoritaires, en fait baver plus d’un.

Mais, mais… déjà d’envisager de telles solutions n’est-il pas un signe de notre déshumanisation? Quel type de société se lancera dans de telles actions et où s’arrêtera-t-on? Certes, le raisonnement est rationnel, mais ne sommes-nous que des cerveaux? À problème humain, il doit y avoir des solutions humaines…

Oui, à la table du banquet, il y a des convives qui ne mangent pas à leur faim et d’autres à qui on n’a même pas fait de place. Mais c’est tout simplement parce qu’un petit groupe de convives s’est organisé pour que tous les mets soient placés à un seul bout de la table, là où ils peuvent se goinfrer jusqu’à plus faim et gaspiller sans remords une bonne partie de ce qui est devant eux. Dans les pays industrialisés, on jette aux ordures des tonnes d’aliments; et les choix alimentaires (comme la grande quantité de viande consommée) monopolisent des ressources qui pourraient permettre de nourrir des populations bien plus importantes. Également, les méthodes agricoles modernes, si elles  permettent la culture de grandes surfaces en employant peu de main-d’œuvre, ne se comparent pas, quant au rendement à l’hectare, aux méthodes traditionnelles. Nous pourrions dès aujourd’hui nourrir plus de 10 milliards d’habitants avec une alimentation moins carnée et une agriculture plus intensive.

Oui, mais après l’an 2050? Déjà les naissances par femme diminuent dans le tiers monde. Il suffirait d’une meilleure répartition des ressources sur la planète pour arriver à une amélioration des conditions sociales du tiers monde; et l’expérience montre que lorsqu’il en est ainsi, le niveau d’éducation augmente et la planification familiale se répand par la volonté des gens d’avoir moins d’enfants.

De toutes façons, si nos néomalthusiens n’étaient pas racistes, ne devraient-ils pas faire leur campagne pour la diminution de la population en Amérique du Nord et en Europe, plutôt que de songer à diminuer les naissances en Afrique et ailleurs dans le tiers monde? Un Américain qui naît aura plus d’impact sur la planète que cinquante Maliens ou Burkinabés…Et avant tout ne devrions-nous pas cesser de répandre partout dans le monde l’illusion que notre consommation est gage de bonheur, alors que nous devons constater la croissance si rapide chez nous des problèmes qui révèlent bien que nous ne sommes pas si heureux, avec nos suicides, nos dépressions, l’itinérance de beaucoup de nos jeunes, etc.? De sorte que cesse le recrutement de ces nouveaux consommateurs qui eux aussi contribuent à nous précipiter vers le désastre.

Ne cherchons pas : il n’y a pas d’autre moyen d’échapper aux catastrophes annoncées que de changer radicalement nos façons de vivre et toute notre organisation sociale. C’est là la voie que nous, du Mouvement québécois pour une décroissance conviviale, avons choisie et tentons de faire advenir.

* Serge Mongeau anime le réseau pour la décroissance (http://www.decroissance.qc.ca/). Il a participé à la conférence sur l’écosocialisme organisée par les NCS le 11 mai 2010.

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