L’humain peut vivre plusieurs semaines sans manger, mais il ne peut pas vivre plus de trois jours sans eau. En matière de sécurité civile, une faille dans l’approvisionnement en eau potable d’une communauté urbaine majeure est un enjeu jugé critique. C’est une priorité absolue!
Imaginez maintenant qu’on doive fermer l’approvisionnement en eau de la grande région de Montréal pour une durée indéterminée. Les autorités savent que les réservoirs gravitationnels de la ville de Montréal ne leur donnent que quelques jours, tout au plus. Les dirigeants n’ont qu’un certain nombre d’heures pour organiser un approvisionnement alternatif en eau potable pour des millions de personnes. C’est la pagaille, on doit éviter que les gens se ruent et vident les commerces de leurs cruchons d’eau. Le grand Montréal est arrêté, plus rien ne fonctionne, même les pompiers n’ont plus d’eau… Doit-on évacuer Montréal et ses banlieues ?
Scénario catastrophe et peu plausible croyez-vous ? Eh bien, détrompez-vous. Ce n’est pas du cinéma, c’est la réalité qui tracasse les autorités de la sécurité civile depuis la mise en fonction de la ligne 9B de Enbridge, autorisée par l’Office fédéral de l’Énergie. La ligne 9B, c’est ce vieux pipeline de gaz qu’on a inversé. Il permet maintenant à des centaines de milliers de litres de bitumineux dilué par des produits chimiques de franchir le fleuve Saint-Laurent dans le coin de Saint-André d’Argenteuil. C’est maintenant une demi-douzaine de tuyaux d’approvisionnement en hydrocarbures qui traversent le fleuve en périphérie du lac des Deux Montagnes, des poisons à proximité et en amont des prises d’eau de la grande région de Montréal. Pour les 43 maires de la grande région montréalaise, le controversé pipeline TransCanada n’est que le tout dernier dans la liste, la goutte qui fait déborder le vase en quelque sorte.
Notons ici qu’un tout récent rapport de l’École Polytechnique de Montréal, commandé par le gouvernement du Québec sur les bonnes pratiques en matière de traverses de cours d’eau, conclut qu’on devrait forcer ces tuyaux à traverser le fleuve dans un tunnel, isolant les hydrocarbures de l’eau. Cette pratique devrait s’appliquer à tous les pipelines d’hydrocarbures qui traversent des cours d’eau à important débit. Cette réalité a certainement influencé la sortie récente et médiatisée des maires québécois contre le projet TransCanada.
La profonde inquiétude des autorités s’explique par le fait qu’aucune des installations de traitement de l’eau potable dans la grande région de Montréal n’est équipée pour purifier une eau contaminée par des dérivés de pétrole. Une fuite de pétrole brut créerait des dépôts persistants à proximité des prises d’eau. Une situation qui polluerait l’approvisionnement en eau potable et les équipements de millions de citoyens et de citoyennes pour des périodes qu’aucun spécialiste ne peut présentement déterminer. Les spécialistes des eaux sont très inquiets.
Loin du caprice politique, l’opposition des maires au projet TransCanada est un choix judicieux en faveur de l’approvisionnement sécuritaire en eau d’une majorité de la population québécoise, au détriment du commerce à grand volume des hydrocarbures. C’est une position courageuse, claire et limpide comme notre eau. Elle devrait inciter à revoir la mise en service de la ligne 9B d’Enbridge qui, elle, comme installation existante, a pu éviter un processus rigoureux d’évaluation et une telle opposition. Il en va de notre sécurité. Comme être vivant composé à 60 % d’eau, cette réaction est fondée.
Normand Beaudet
Étudiant en traitement des eaux