Alors que l’offensive médiatique et publicitaire pour justifier l’implication du Canada dans les guerres impérialistes en Afghanistan et en Irak se poursuit, quantité de véhicules SUV se sont mis à afficher des rubans magnétiques au motif « camouflage », semblables à ceux associé à la cause du VIH/SIDA , mais ornés d’un message beaucoup moins humaniste : « Support our troops ». Témoignage de solidarité ou vaste campagne de manipulation publique?
Eric Martin
Dès le début de la contestation contre la participation canadienne en Afghanistan, le premier ministre Harper cherche à neutraliser la critique en assimilant tout questionnement sur la légitimité du néo-militarisme conservateur à un geste anti-patriotique et immoral vis-à-vis de « NOS troupes » héroïques (à prononcer à la manière de Radio-Canada).
La manoeuvre est claire : situer l’adhésion à la guerre au plan émotif et « humain », personnaliser, et donc, dépolitiser la question. Ce genre d’entreprise requiert un sacré travail au plan des relations publiques. Cet été, d’ailleurs, l’armée n’était pas en restes (humains) : BBQs, piques-niques, farandoles et blitzs de recrutement ensoleillés étaient au menu.
Depuis, chacun peut s’émouvoir en lisant la chronique du caporal-cheuf Martin Forgues dans le Journal de Montréal, qui économise sur les journalistes (les mieux payés en Amérique du Nord) en faisant…écrire les soldats eux-mêmes. Quoi qu’à lire la prose va-t-en-guerre de Richard Latendresse et Christine Saint-Pierre, on y était presque. À quand les reportages sur Norbourg écrits par Vincent Lacroix? Et une chronique Info-crime rédigée par le kidnappeur de la petite Cédrika Provencher? Ça, c’est du direct!
Ne manquait plus que les canadiens se mettent à décorer leurs VUS d’aimants en faveur des troupes pour que l’on puisse dire que l’aliénation totale est en voie d’être parachevée. Grâce à l’intelligence des gens chez CANEX , une division de L’Agence de soutien du personnel des Forces canadiennes (ASPFC) qui « a pour mission d’élaborer et d’exécuter des programmes de bien-être et de maintien du moral pour les membres des Forces canadiennes (FC) et leurs familles », c’est maintenant chose faite.
L’offensive marketing bat son plein : casquettes, t-shirt, manteaux et aimants arborant le slogan « Support our troops » sont en vente pour créer un sentiment d’appartenance et d’identification avec les militaires chez les canadiens. Faut-il y voir une démonstration anodine de solidarité, ou plutôt l’expression d’une entreprise de manipulation et de relations publiques issue tout droit du Pentagone ?
L’affaire n’est pas sans rappeler le film de 1997 Wag the dog (Des hommes d’influence) basé sur le roman American Hero de Larry Beinhart. Robert De Niro y joue un spin doctor chargé de simuler dans les médias une guerre en Albanie pour détourner l’attention d’un scandale sexuel dans lequel est impliqué le président. Dans le film, De Niro fabrique un héroïque prisonnier de guerre (Woody Harrelson joue le soldat « Schumann »), un chanson thème jouée par Willy Nelson et… de petits rubans jaunes à accrocher aux chaumières.
Ces petits rubans jaunes ont été popularisés aux États-Unis lors de la guerre d’Irak, et sont aujourd’hui l’inspiration derrière ceux de CANEX. L’histoire de leur origine rappelle sur plusieurs points le scénario du film Wag the dog.
En avril 1979, Penne Laingen, dont le mari est un haut diplomate américain détenu lors de la « Crise iranienne des otages », aurait décidé d’attacher un ruban jaune autour d’un arbre bordant sa résidence, inspirée par une vieille chanson (Tie a ribbon around the old oak tree) qui raconte le retour d’un prisonnier à sa femme (en substance : « si le ruban est attaché à l’arbre, je saurai que tu m’aimes toujours. Sinon, je resterai dans l’autobus »…).
Le 10 décembre 1979, un article de Barbara Parker dans le Washington Post invite les américains enragés par l’Iran (suffering from Irage (!)) à se défouler en priant, en frappant violemment des balles de tennis, ou encore… en imitant Penne Laingen et son ruban. Simultanément, une organisation fondée par les familles des otages, le Family Liason Action Group (FLAG), en collaboration avec l’ONG No Greater Love et les syndicats de l’AFL-CIO (!) distribue des épinglettes et rubans à travers les États-Unis, aux troupes de scouts et à des célébrités locales, comme les annonceurs de la météo.Très vite, tout le monde les porte.
Le mari de Penne Leingen raconte : « My wife decided one day that there needed to be some kind of symbol that would be a way for family members and the public at home to unite behind something. Rather than be mad at Iran and the students, she hung up a yellow ribbon – and it became a symbol of caring throughout the crisis, and is today the universal symbol of caring for Americans in distress overseas » .
En relations publiques, ce type de campagne de propagande se nomme Astroturfing (astro turf : gazon artificiel) . Son objectif est de donner à un message publicitaire l’apparence d’une réaction spontanée, provenant de gens ordinaires, qui « pousserait directement du sol » (grassroots campaign). En 2001, par exemple, Microsoft aurait envoyé des lettres aux journaux dénonçant la loi antitrust sous le couvert de deux corporations écran, Americans for Technology Leadership et Freedom to Innovate Network, utilisant souvent l’identité de gens décédés.
Il serait bien difficile de prouver qu’il existe un lien direct entre les services secrets américain et la campagne Yellow-ribbon, comme le suggère le film Wag the dog. Tout de même, les manipulations médiatiques comme l’affaire incubateurs irakiens, ou les récentes campagnes mensongères sur la ségrégation des Juifs en Iran , suggèrent une possible collusion entre le Pentagone et les organismes « indépendants » qui ont lancé la campagne des rubans jaunes, dont le caractère spontané et bucolique prête aisément flanc aux doutes sur son authenticité. Comme quoi l’adhésion spontanée cache parfois le spin le plus habile…
Notes:
C’est le ruban du VIH, créé en 1991 par le Visual AIDS Artists Caucus de New York en 1991, qui s’inspire du ruban de la guerre du Golfe, et non l’inverse.
http://www.cfpsa.com/fr/CANEX/
http://www.loc.gov/folklife/ribbons/ribbons.html
http://www.usdiplomacy.org/accessibility/transcripts/laingen.html
http://en.wikipedia.org/wiki/Astroturfing
http://en.wikipedia.org/wiki/2006_Iranian_sumptuary_law_controversy
Source: Le Couac