SOCIOLOGIES ET RELIGION APPROCHES INSOLITES
Presses universitaires de France, 2009
Ce livre est le troisième d’une série inaugurée par nos collègues Danièle Hervieu-Léger et Jean-Paul Willaime, avec l’ouvrage intitulé Sociologies et religion. Approches classiques, et poursuivie par notre livre Sociologies et religion II. Approches dissidentes, tous parus dans cette même collection aux Presses Universitaires de France, collection « Sociologie d’aujourd’hui », dirigée par Georges Balandier.
Comme pour notre livre précédent, celui-ci est composé d’essais critiques sur des auteurs très divers, par leur méthode, leur discipline principale, leur langue, leur centre d’interêt : Walter Benjamin, Erich Fromm, EP Thompson, Eric Hobsbawm, WEB DuBois, De Martino, Roger Caillois, Lydia Cabrera, Michel Leiris. Michael Löwy s’est occupé des quatre prémiers, Erwan Dianteill des quatre suivants, et le dernier a été rédigé à quatre mains ; mais nous avons travaillé ensemble sur tous les neuf auteurs, en corrigeant les copies les uns des autres.
Tous sont déjà décédés, à l’exception d’Eric Hobsbawm, auquel nous souhaitons longue vie et une riche moisson de nouveaux livres. Plusieurs sont juifs de culture allemande, deux sont anglais, deux (seulement) français, un italien, un noir américain et une cubaine ; ils couvrent une période qui va de la fin du 19e siècle (DuBois) au début du 21e (Hobsbawm) : ce n’est pas un échantillon réprésentatif des sciences sociales au siècle passé, mais une brillante collection d’individualités sui-generis.
La liste est, inévitablement, arbitraire, et correspond à nos goûts, nos interêts et nos connaissances ; ce qui n’empêche pas que l’ensemble soit cohérent et porté par une perspective commune. Mais on pourrait facilement enlever ou ajouter des noms – nous en avons fait l’expérience au cours de la préparation du volume. Nous les avons choisis en fonction de l’interêt de leur œuvre et de son contenu…insolite, c’est-à-dire, selon le Petit Robert, « ce qui étonne, surprend par son caractère inaccoutumé, contraire à l’usage, aux habitudes ».
Ce n’est pas un concept scientifique, ni rigoureux, ni épistémologiquement fondé, mais il définit bien l’état d’esprit avec lequel nous avons séléctionné nos auteurs…Comme avec le volume antérieur, celui-ci vise à élargir le « canon » de la sociologie des religions au-délà des classiques, en faisant découvrir des auteurs nouveaux – certains assez connus, mais pas dans notre discipline – des perspectives nouvelles, des problématiques inédites. Ce que nous proposons, c’est un certain régard qui permet de detecter l’apport, volontaire ou involontaire, de ces auteurs à la comprehénsion sociale des faits religieux, en essayant de faire dialoguer différentes matrices épistémologiques,
Pourquoi « insolites » ? Pour differentes raisons. Tout d’abord, plusieurs de nos auteurs ne sont pas habituellement considérés comme sociologues des religions, mais plutôt comme historiens, philosophes, anthropologues, ethnographes ; certains, en fait, n’appartiennent à aucune discipline, et sont strictement « inclassables » (Walter Benjamin !) . En transgressent allègrement les barrières disciplinaires nous avons pu découvrir comment des thèmes, des approches, des analyses qui relèvent de la sociologie des religions peuvent se trouver dans d’autres terrains, là où on ne les attend pas.
Au délà de l’interdisciplinarité – par exemple, la sociologie historique – l’enjeu, en rassemblant ces auteurs si dissemblables, c’est de brouiller un peu les cartes, renverser les cloisons trop étanches, et ouvrir des fenêtres trop longtemps fermées. Ils sont insolites aussi par leur personnalité, leur subjectivité – politique, littéraire ou culturelle – qui s’investit dans leurs travaux et apporte beaucoup à leur richesse et leur interêt. Ce n’est pas un hasard si plusieurs d’entre eux sont passés par le surréalisme ou s’y sont interessés de très près : cette dimension, poétique et politique à la fois, est une des composantes de leur approche, souvent surprennante, des phénomènes réligieux.
Les options politiques – anticolonialistes, antiracistes ou anticapitalistes – sont aussi très présentes, et contribuent très largement à l’originalité et le dynamisme de leurs analyses. Il existe donc, dans leurs travaux, une sorte de dialectique entre le travail d’objectivation « scientifique » et l’engagement personnel, qui ne sont pas, contrairement à ce que l’on prétend souvent, incompatibles et contradictoires. Dans certains cas, comme Lydia Cabrera, c’est leur marginalité par rapport aux règles et méthodes des sciences sociales qui rendent leur travaux si intéréssants…
Enfin, il nous semblent insolites tantôt par l’objet même de leur interêt – p.ex. le capitalisme comme religion – qui ne « cadre » pas avec la liste « canonique » des objets des sciences sociales des religion, et tantôt par leur façon inattendue, inhabituelle, non-conforme, d’examiner des questions « classiques » de nos disciplines : le sacré, le millénarisme, le christianisme primitif, la sorcellerie. Si dans notre ouvrage antérieur nous avons voulu présenter quelques « dissidents » des grands courants de la sociologie des religions, cette fois-ci, avec les « insolites », nous avons affaire à des auteurs qui ne se situent dans aucune école.
Certes, certains se refèrent à Marx, Weber ou Durkheim, mais il serait difficile de les définir comme leurs disciples, même « infidèles ». Ce sont des éléctrons libres, qui refusent de graviter sagement autour des noyaux des atomes. Notre objectif, avec ce volume, n’est pas de défendre une thèse, une méthode ou une conception nouvelle de ce qu’est la sociologie des religions. Nous voulons, plus modestement, introduire un peu de « jeu », dans tous les sens du mot, dans ce vénérable champ disciplinaire, en y jettant quelques graines d’insolite.
Michael Löwy et Erwan Dianteill
4 juillet 2010