AccueilCahiers du socialismeSocialisme et démocratie, l’utopie tient toujours !

Socialisme et démocratie, l’utopie tient toujours !

Voici quelques questions pour discuter les éléments de continuités entre la gauche de la fin du 20e siècle et celle du début du 21 siècle. Quels sont les éléments de consonances sur lesquels il importe de réfléchir ? Quels sont les agencements politiques qui se sont présentées et qui se présentent encore aujourd’hui sur l’agenda politique de la gauche sur le plan international, mais dans l’espace national québécois ?

Faire de la politique à la manière de Pierre ou de Charles ?

Un compagnon avec qui j’ai participé à plusieurs luttes sociales m’avait raconté que dans les années 70, il avait voyagé, comme un bon nombre de Québécois et de Québécoises à l’époque, un peu partout en Europe. Un jour, il rencontre une copine québécoise qu’il fréquente pendant quelques semaines. Elle a dans ses bagages deux livres : l’Urgence de choisir de Pierre Vallières et Pour un Parti Prolétarien de Charles Gagnon. Le premier lance le mot d’ordre de se joindre au Parti Québécois et de s’inscrire dans la voie électorale. Le deuxième propose la création d’un parti prolétarien, comme le titre l’indique. Pendant plusieurs semaines, les deux tourtereaux lisent les deux livres, les commentent et finalement prennent une décision opposée : elle passe au PQ et lui s’engage dans le groupe En Lutte. Cette anecdote me semble porteuse d’une dimension historique qui met en scène le sort de deux militants qui ont mené ensemble des luttes importantes, à un point tel que ces deux noms ont souvent été liés pratiquement par un trait d’union (on disait «Vallières-Gagnon»). Ils ont été selon plusieurs deux grands militants, et dont le contentieux sur les perspectives à emprunter a ouvert différentes perspectives à la jeunesse et la gauche québécoise.

Au-delà de la division (parfois violente) entre Gagnon et Vallières, il importe de ne pas tomber dans une sorte d’opposition binaire, simpliste, entre le «modéré» et le «dur», entre la social-démocratie et le communisme. Cette opposition, réelle, était plus complexe que le souvenir qu’on en a. Ainsi, Vallières ne préconisait pas uniquement l’entrisme dans le Parti Québécois. Il favorisait aussi un parcours démocratique pour la gauche québécoise. Son erreur a été de penser que le Parti Québécois répondait à ce critère. La proposition de Charles Gagnon, par ailleurs, répondait à la nécessité de penser une critique radicale de la société et la transformation sociale en termes de lutte de classe et sur le plan international. Là-dessus, il avait aussi raison. Cependant, la question de répondre à l’impératif démocratique était sous-estimée dans la pensée et la pratique de Charles, d’où l’échec des organisations marxistes-léninistes de l’époque.

La question démocratique

Aujourd’hui, la question de la démocratie est devenue essentielle. Je reste interpellé par le dernier ouvrage de Nicos Poulantzas publié en 1978, État pouvoir et socialisme. Cet auteur, on s’en souviendra, avait une influence importante sur les marxistes et la gauche au Québec. Voici quelques éléments de sa réflexion :

L’histoire ne nous a pas donné jusqu’à présent d’expérience réussie de voie démocratique au socialisme : elle nous a en revanche donnée des exemples négatifs à éviter et des erreurs à méditer, ce qui n’est pas négligeable. Certes, on peut toujours arguer, au nom du réalisme bien entendu (celui de la dictature du prolétariat ou  des autres néolibéraux bien pensants) que si le socialisme démocratique n’a nulle part encore existé, c’est qu’il est impossible. Peut-être : nous n’avons plus la foi millénaire fondée sur quelques lois d’airain d’une révolution démocratique et socialiste inévitable, ni le soutien d’une patrie du socialisme démocratique. Mais une chose est sûre : le socialisme sera démocratique ou ne sera pas.  (État pouvoir et socialisme, p.295).

On peut lire cette citation comme étant dure, négative, sans espoir. De mon côté, je la vois comme un formidable défi à relever.

Qu’est ce que le socialisme démocratique ? Je risque ici certains éléments de réponse.

  • Une pratique politique qui peut s’inscrire dans les rapports de la démocratie libérale dans une perspective stratégique sans y voir une panacée mais seulement une manière de « faire de la vieille politique avec de nouvelles idées ». Nous pensons évidemment tous et toutes au travail d’Amir Khadir à l’Assemblée nationale.
  • Une volonté ferme de changer le monde politique, économique, social et culturel tout en renouvelant les différentes formes de la démocratie (faire de la politique autrement !).

Nous avons progressé

En réalité, nous avons, depuis quelques années, répondu, au moins partiellement, à la proposition de Pierre Vallières. Nous avons emprunté la voie démocratique libérale. Cependant, nous n’avons pas appuyé le PQ. Nous avons créé notre propre parti. Ce qui n’était pas évident, tenant compte du fait que plusieurs expériences (comme celle du Mouvement socialiste par exemple) ont échoué. Certes, le projet de Québec solidaire est encore trop récent et on ne peut en faire un bilan. Cependant, on doit quand même  constater que l’action électorale se soit avérée une expérience globalement positive, bien que cette pratique demeure encore symbolique sur le plan de l’impact. Même seul, Amir ne se gêne pas pour nommer les choses par leur nom à l’Assemblée nationale. C’est l’élément essentiel auquel nous pouvons conclure aujourd’hui. Arriver en si peu de temps à créer une brèche, à donner une inclinaison dans le portrait politique québécois, est un élément important et encourageant pour l’avenir. Par ailleurs, le processus d’élaboration du programme de Québec Solidaire est un élément important dans la stratégie du développement de la gauche du 21e siècle au Québec. Nous devons reconnaitre qu’il est impressionnant qu’une organisation politique de plusieurs milliers de membres d’horizons réussissent à débattre sur de longues périodes et trouver des consensus sur des questions aussi complexes que la question nationale et la laïcité dans la fonction publique. Et le même processus est déjà entamé sur les questions économiques et écologiques.

Questions sur le mouvement populaire et syndical

Mais cette pratique ne peut s’articuler d’une manière autonome, indépendante. Un parti politique de gauche a besoin de mouvements sociaux et syndicaux pour l’orienter. La gauche politique doit dialoguer avec la gauche sociale. Cette gauche sociale se trouve dans le mouvement populaire, syndical et communautaire. Elle intervient directement sur le terrain de la pauvreté, de l’itinérance de la marginalité etc. Elle réussit tant bien que mal à favoriser une certaine participation citoyenne chez les personnes vivant dans la pauvreté, chez les jeunes, les femmes. Et cette participation peut donner des rassemblements importants comme la manifestation de 15 000 personnes du 1 avril 2010. Ce n’est pas d’hier que cette gauche sociale démontre ses capacités.

Par contre, nous sommes interpellés par le déclin du mouvement syndical. Aujourd’hui, les luttes sont quasi-absentes. Comment expliquer cela ? J’ai déjà risqué une explication en affirmant que, lors d’une offensive importante du capitalisme ou du néolibéralisme, le mouvement syndical a deux choix : soit qu’il lutte ouvertement quitte à se sacrifier, ou soit qu’il tombe dans une logique de reproduction. Le principe serait le suivant : quoiqu’il arrive, il doit demeurer en place. Rétroactivement, je constate que cette explication est incomplète. Elle ne tient pas compte des stratégies du capitalisme pour encadrer et réduire les potentialités radicales des organisations syndicales. On peut nommer quelques unes : les embauches de personnel en rotation pour éviter la syndicalisation, la stratégie de délocalisation, les mesures de surveillance, de contrôle et de sanction, les décrets ou les menaces de décrets.

Évidemment, toutes ces mesures peuvent servir d’excuses pour les directions syndicales. On entend qu’il y a peu de débats en cours dans le mouvement pour trouver les leviers qui permettraient de faire «tourner le vent». Dans ce sens, il faut encourager et consolider un courant de gauche syndical, une « minorité consciente » dans le mouvement syndical et qui soit en mesure de jouer un rôle d’intercesseur avec le mouvement populaire et les courants politiques et les courants écologiques.

Je crois que nous sommes en train d’assister à un nouvel agencement politique avec une gauche sociale, l’émergence prochaine d’une gauche syndicale, des organisations politiques et écologistes qui sont en mesure d’apporter une critique sociale autonome et radicale qui peut perdurer. Les points de tension qui traversent cet agencement sont différents de ceux des années 70, mais cet agencement répond aux mêmes désirs de transformation sociale radicale et démocratiques qu’il y a 40 ans.

René Charest,
Nouveaux Cahiers du socialisme,

Intervention lors du Colloque 40 ans après Octobre 1970, 30 octobre 2010.

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