Dans notre société globalisée, la guerre est un peu devenue une banalité. L’épicentre de la crise, cette vaste région qui traverse l’Asie de l’Ouest (ce que les Européens ont appelé le « Moyen-Orient ») et une grande partie de l’Afrique, est enfoncé depuis tellement longtemps dans une série de conflits plus meurtriers les uns que les autres que c’est devenu une sorte de réalité dont on se soucie peu. Pire encore, les idéologues néoconservateurs ont réussi à distiller leur vision du monde dans la conscience des gens. C’est une « guerre des civilisations », disent-ils, entre « nous » (la modernité et la démocratie capitaliste libérale) et « eux », les « barbares ». Ces fantasmes à la noix de coco ressortent à tous les jours dans les médias-poubelles avec les commentateurs-mercenaires comme Denise Bombardier et Richard Martineau. Les insultes qu’ils profèrent contre les Autochtones sont du même ordre que ce qu’ils disent contre les Arabes ou les Musulmans. Dans le Journal de Montréal et même à Radio-Canada, le bain de sang qui coule chaque jour en Palestine, en Syrie, en Irak, en Égypte, est seulement une autre manifestation de « leur » barbarie.
Il y a également une autre raison qui fait que la guerre est disparue de nos préoccupations. Aujourd’hui, la guerre s’est technologisée. Ce n’est plus tellement les petits GI ou les braves Dupont et Dupond canadiens ou français qui sont au premier plan, mais des drones, des missiles et toutes sortes d’autres dispositifs qui font en sorte que la guerre apparaît au commun des mortels comme un énorme jeu vidéo. Comme ce sont seulement des « barbares » qui en souffrent, on ne ressent pas la même émotion que lorsqu’on voyait revenir au pays les corps morts de nos soldats tués dans des affrontements insensés. Les tueries passent trois secondes à la télévision, derrière les « grandes nouvelles » qui « comptent » parce que des Européens, des Américains, des Canadiens se sont fait prendre entre deux feux.
Avec Harper, il y avait encore un côté théâtral qui choquait, car Stephen voulait nous inculquer la culture de la mort et de la force, et pour cela, il fallait aller au « front ». Il n’avait même pas compris que cela ne correspondait plus aux structures de l’ordre impérial. Ceux qui l’ont compris sont ceux qui ont créé le « phénomène » Trudeau. Ce sont des ex-professeurs d’université qui sont assez intelligents pour comprendre que le temps des cowboys a pris fin.
C’est ainsi que la guerre actuelle prend des formes tout à fait nouvelles, aseptisées, abstraites, techniques. Dans les dernières années, les États-Unis avec l’appui du larbin canadien ont détruit la Libye, l’Irak et maintenant la Syrie à distance, par l’intermédiaire de leurs gadgets et avec l’aide des acteurs interposés comme l’Arabie saoudite, la Turquie, la Jordanie, Israël. On ne cherche même plus à contrôler ce qui se passe sur le terrain. À condition que l’on sécurise les approvisionnements énergétiques d’une part. Et que cela ne déborde pas trop d’autre part, entre autres par des réfugiés et des attentats commis par des groupes désespérés que les États-Unis ont armés et appuyés au moment de leur mise en place, comme Daech et Al-Qaïda.
Cette stratégie atroce serait encore plus redoutable si elle fonctionnait complètement, mais en réalité, ce n’est pas le cas. Les autres puissances, qu’on appelle les « pays émergents » (la Chine, la Russie, l’Inde, etc.) profitent des grossières erreurs des États-Unis et de l’OTAN pour augmenter leur influence. Ils ont aussi leurs alliés et leurs relais locaux, comme l’Iran, ce qui reste du régime syrien, ainsi qu’une nébuleuse antiaméricaine qui va de Hezbollah aux rebelles yéménites. Cette alliance hétéroclite réussit en fin de compte à empêcher Washington d’imposer la pax americana.
D’autre part, il y a aussi les peuples, qui résistent, parfois dans des conditions surréalistes, qui s’organisent, qui tiennent tête, qui ne capitulent pas. C’est aussi une réalité occultée par l’appareil médiatique, mais sur le terrain, il y a plein de résistances, mais qui sont éparpillées, sans capacité de se centraliser et de coordonner des forces disparates. On se bat séparément, dans les villages palestiniens, dans les quartiers de Damas et de Bagdad, dans les faubourgs ouvriers du Caire, dans les montagnes kurdes. Les anciennes organisations de gauche sont pratiquement démantelées, et alors les nouvelles générations font ce qu’elles peuvent. En tout cas, elles en font assez pour déstabiliser ces régimes de terreur, sans pourtant être en mesure de les renverser. C’est un « printemps arabe » qui n’en finit plus, qui se reproduit, qui échoue, qui revient à la charge, qui cherche des solutions.
Cette histoire cachée, plusieurs vont la faire ressortir au Forum social mondial. Gilbert Achcar, un chercheur d’origine libanaise, qui a écrit probablement le meilleur ouvrage sur le printemps arabe (Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, publié chez Sinbad en 2013), sera parmi nous, de même qu’un des leaders du mouvement démocratique palestinien, Mustafa Barghouti. Il y aura également des syndicalistes égyptiens, des animateurs communautaires marocains et algériens, et même des camarades syriens, irakiens et kurdes, du moins, ceux qui réussiront à passer la muraille que le Canada érige contre les intellectuels et les résistants de ces régions. Les braves qui se battent contre l’apartheid israélien, comme Michel Warschawski et son copain Sergio Yahni, seront là aussi. Comme interlocuteurs, ces camarades auront avec eux d’infatigables organisateurs de la solidarité au Québec et dans le monde, notamment ceux et celles qui sont en train de réussir à sonner la cloche avec la campagne BDS.
Ensemble, nous pourrons échanger et discuter. Tenir bon, cela se dit en arabe « sumud »…