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Résistances multiples contre l’apartheid global

Par Pierre Beaudet

En Palestine, le «mur» de l’apartheid symbolise ce que les dominants sont en train d’ériger pour enfermer les peuples. De tels murs, au propre ou au figuré, apparaissent partout pour exclure, confiner, réprimer. Mais les dominés continuent de s’entêter.

Intifada

La déstructuration/restructuration orchestrée par les dominants sous l’égide du néolibéralisme apparaît comme une formidable agression contre les dominés qui n’ont pas d’autre choix que de résister. D’où l’essor d’une grande vague de luttes depuis une dizaine d’années, un peu partout dans le monde. À leur apogée, ces luttes aboutissent à de véritables insurrections populaires, comme on l’a vue en Bolivie ou au Népal, par exemple. Ailleurs, les dominants sont bousculés et forcés à des replis tactiques sous l’assaut des luttes populaires comme en Argentine et en France.

Ces intifadas sont surtout aptes à bloquer des réformes néolibérales, à faire fléchir des gouvernements, parfois à les expulser. Elles sont de «basse intensité», rampantes, mobiles et rarement débouchent-elles sur des alternatives même si elles peuvent atteindre un niveau de grande intensité, au Mexique ou en Afrique du Sud, par exemple.

Un rapport complexe avec les «gauches»

Très souvent, ces mouvements de masse entretiennent des rapports assez complexes avec la gauche politiquement organisée. Dans certains cas, les insurrections sont totalement déconnectées de ces gauches, soit parce que celles-ci sont devenues insignifiantes politiquement, soit parce qu’elles ne sont pas en mesure de faire le lien avec les mouvements populaires. Les intifadas certes ont des rapports historiques ou actuels avec ces gauches. Mais elles n’en sont pas l’émanation et conservent un niveau d’autonomie exprimant les aspirations et les besoins des subalternes, «au-delà» des partis.

Le fait est que dans de nombreux pays, les partis de gauche sont traversés d’une crise complexe qui remet en question leur identité, voire leur raison d’être. Même lorsqu’ils sont puissants, des partis communistes (Afrique du Sud, Inde) ne portent plus un projet de transformation radicale. Ils agissent comme une force de pression et tentent d’exercer leur influence sur le bloc hégémonique (dont ils sont parfois la caution de gauche).

En Amérique du Sud, les nouvelles formations politiques apparues dans les années 1980-90 et qui se voulaient ni social-démocrates, ni léninistes évoluent à des degrés divers vers le social-libéralisme. Elles ne sont plus en mesure de coaliser les classes populaires qui tout au mieux vont continuer de les appuyer, «par défaut». La situation devient compliquée lorsque ces nouveaux projets hégémoniques se positionnent contre l’impérialisme américain (et non pas contre le néolibéralisme) et qu’ils sont ne mesure de mettre en œuvre une sorte de «keynésianisme à rabais». Mais même dans un tel cas, il apparaît clair que ces projets ne correspondent plus aux aspirations d’émancipation qu’ils avaient représenté à leur origine.

«Nouvelle gauche»

Dans plusieurs pays où cette déconnection est flagrante entre mouvements populaires et partis de gauche «traditionnels» apparaissent des débats et même des tentatives de mettre en place de nouvelles organisations. Certaines de ces organisations émergent comme des quasi émanations des mouvements sociaux, le MAS en Bolivie par exemple. D’autres amalgament et fusionnent des militants du mouvement social avec ceux des partis de gauche (Québec solidaire par exemple).

Certains nouveaux partis se définissent en se séparant des anciens de partis de gauche dont ils ne se sentent plus d’affinité, eu Brésil, aux Philippines, au Maroc. Certains sont dans la tradition de la 4e Internationale, d’autres sont plus en ligne avec l’histoire des mouvements maoïstes. Au Danemark, au Portugal, au Venezuela, de nouveaux partis ont pris forme sur la base de coalitions de divers courants et traditions, alors qu’ailleurs, de nouveaux partis anticapitalistes sont en gestation (France, Italie).

L’expérience du MAS est peut-être la plus intrigante. Bien qu’agissant en tant que coalition électorale et maintenant depuis 2006 en tant que gouvernement, ce parti «qui n’est pas un parti» semble vouloir fonctionner comme une coalition de mouvements sociaux.

Les défis

Les défis sont partout immenses. La nécessité s’impose partout de briser avec la tradition de l’ancienne gauche, notamment avec l’autoritarisme, le dogmatisme, le «je-sais-tout-isme». Il s’agit également de mettre fin à une vision quasi religieuse du «prolétariat sauveur de l’humanité», de la «marche inéluctable de l’histoire», du «marxisme-léninisme science totale et absolue».

Certes, ces dogmatismes qui semblent archaïques sont rejetés en principe par la majorité des mouvements actuels qui prônent la flexibilité, la créativité, la démocratie interne. En pratique cependant, les traits pervers qui ont fait bifurquer les projets du communisme et de la social-démocratie historiques découlent de facteurs sociologiques et politiques complexes, qui se reproduisent dans les nouvelles formations de gauche.

Aussi les militants et les militantes actuelles sont désireux de freiner ces tendances «naturelles» et d’imposer de nouvelles formes de faire de la politique, en insistant sur l’horizontalisme, la démocratie interne, l’action positive en faveur des subalternes «au sein des subalternes» (femmes, jeunes, autochtones, immigrants). Il n’est plus acceptable de penser le processus sur une base hiérarchique, comme si les uns (mouvements sociaux) étaient subordonnés aux autres (partis).

Identités à géométrie variable

En dépit de ces nombreux obstacles, la terre tourne et les subalternes cherchent à se doter de nouveaux outils. Certes, le Forum social mondial a été un incubateur efficace et ample de ces nouveaux développements. Bien sûr, ceux (une petite minorité) qui pensaient que le FSM aurait accouché du «grand programme mondial de la révolution» ont été déçus ! Mais tel n’était pas le but. Mais plus encore, cela ne peut plus fonctionner comme cela.

En réalité, les intifadas actuelles sont encore à l’époque d’accumuler des forces. Elles sont rarement en mesure de mener le processus jusqu’à terme et de marginaliser les dominants. Pour la plupart des mouvements de résistance, le moment est encore centré autour de la recomposition sociale et politique, de la mise en place de vastes alliances et de la mobilisation des classes populaires. Ce qui veut dire que généralement, ces mouvements sont dans une position de défensive. En conséquence, ils doivent entreprendre plusieurs transformations.

De contre-hégémonique, le projet doit devenir hégémonique : il doit se positionner comme une alliance arc-en-ciel sur un projet «national» qui s’adresse à l’ensemble des couches populaires. Il doit cependant dépendre de ses propres forces et non sur celles de ses alliés conjoncturels. Il doit pratiquer l’art de la retraite stratégique. Il doit comme le suggérait Gramsci envahir les tranchées de l’adversaire, mais en même temps, détruire et reconstruire ses propres tranchées.

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