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REEE et RPR, de fausses solutions aux effets pervers

Avec le débat sur l’augmentation des frais de scolarité, on voit apparaître deux acronymes, REEE et RPR, que l’on présente comme des solutions avantageuses pour les étudiants et leurs familles : des parades qui permettraient de concilier hausse des frais et maintien de l’accessibilité aux études. Dans ce petit texte, on voudrait montrer qu’il n’en est rien et que ces pseudo-solutions comportent même plusieurs effets pervers.

Les Régimes Enregistrés d’Épargnes Études (REEE)

Les REEE sont des placements que les familles font au nom de leur(s) enfant(s) auprès de leur institution financière. Ces placements sont déductibles d’impôts et bonifiés par des subventions provinciales et fédérales calculées selon la tranche de revenu des parents. L’argent ainsi placé est ensuite débloqué lorsque les parents veulent financer les études secondaires, collégiales ou universitaires de leur(s) enfant(s).

Effectivement, si les études deviennent payantes et dispendieuses, il semble intéressant pour des familles d’anticiper ces coûts et de commencer à épargner dès que leurs enfants sont en bas âge, d’autant plus si le Fédéral et le Provincial donnent un petit coup de pouce pour ce faire.

Toutefois, les REEE ne résolvent absolument pas le problème de l’accessibilité aux études. Par ailleurs, ils entraînent des effets pervers.

Tout d’abord, il est illusoire de croire que toutes les familles peuvent épargner dans les REEE : seules les plus aisées d’entre elles ont cette capacité. Pour les foyers modestes, si une épargne est possible, elle sera négligeable : et mettre une vingtaine de dollars par mois dans son épargne, même depuis la naissance de son enfant, ne permet de financer qu’une ou deux sessions d’un système éducatif payant. L’accessibilité aux études pour les enfants de familles modestes n’est donc absolument pas réglée par l’existence des REEE

Par ailleurs, si l’on réfléchit bien, les REEE constituent une forme d’injustice, puisque l’État subventionne les foyers les plus aisés (ceux qui peuvent épargner) avec les impôts de la collectivité. Aussi, l’impôt, au lieu d’être redistribué aux familles qui en auraient le plus besoin à des fins de justice sociale (en permettant par exemple aux enfants des couches modestes d’accéder à des études supérieures gratuites ou presque), est redistribué aux familles qui en ont le moins besoin.

Enfin, si l’on réfléchit encore un peu plus, on voit bien qu’il y a un problème logique dans le fait d’avoir à épargner pour financer les études de ses enfants. D’un côté, on voudrait faire payer moins d’impôts aux contribuables, mais de l’autre, paradoxalement, cet argent qu’ils ne donnent pas à l’État doit être placé dans des banques. En bout de ligne, les gens ne se retrouvent donc pas avec plus d’argent.

Pire, l’argent donné aux banques est placé par celles-ci dans les investissements qui sont susceptibles de leur rapporter le plus. Avec notre épargne, les banques financent ainsi les pétrolières, les minières ou les industries de l’armement; elles spéculent sur les dettes des États ou les prix des matières premières; elles rachètent et revendent des entreprises après en avoir vampirisé la substantifique moelle. En bref, elles utilisent notre argent pour participer à la violence inouïe que le monde économique fait subir aux travailleurs, aux collectivités, aux droits sociaux ou à l’environnement.

Or, sur cet usage de notre argent par les banques, nous n’avons pour ainsi dire aucun pouvoir, car les banquiers ne sont pas soumis aux votes, aux contrôles ou aux règles de la transparence qui prévalent pour les gouvernements des États de droit. Inversement, si cet argent que l’on doit maintenant placer dans les banques était donné à l’État, celui-ci serait investi dans des projets ayant une certaine utilité sociale : il aurait à l’être. C’est à dire que nous pourrions exercer un contrôle sur le devenir de cet argent, via les leviers démocratiques.

Avec le système des REER, l’État et la population sont donc doublement perdants : 1) Ils transfèrent une partie de l’impôt collectif vers les foyers les plus aisés;  2) Ils transfèrent une partie de l’argent disponible vers les banques qui l’investissent dans des projets sans utilité sociale, voire socialement destructeurs.

Le Remboursement Proportionnel au Revenu (RPR)

Passons maintenant au RPR, qui consiste, pour un étudiant, à payer ses études après les avoir terminées, et ce, en fonction de son salaire. Dans certains cas, il fait ce remboursement auprès de l’institution dans laquelle il a étudié, qui lui avance en quelque sorte le coût de sa scolarité. Dans d’autres cas, il fait ce remboursement à des institutions bancaires, l’État payant entre temps la « perte » en intérêts pour la banque qui a fait le prêt.

Ainsi, la différence avec le système des prêts et bourses actuels est un échelonnement adaptatif des niveaux de remboursement.

On ne s’étendra pas ici sur les critiques de principe à ce système. En particulier, on ne rappellera pas que, sous des aspects plus souples qu’un endettement simple auprès d’une institution bancaire, le RPR s’inscrit toujours dans l’idée d’un système éducatif fondé sur le principe consommateur/payeur. Et que donc le diplômé, ayant investi en lui-même et se sacrifiant pour cela, sera d’autant moins disposé à partager ses richesses et à concevoir la société comme un espace de solidarité et de partage.

On ne s’étendra pas non plus sur les conséquences nuisibles d’un endettement pour les jeunes travailleurs qui viennent de terminer leurs études : pression pour accepter n’importe quel type d’emploi tant qu’il est rémunérateur, difficultés pour accéder à la propriété, ajournement des projets de fondation de famille, difficultés pour financer l’éducation de ses propres enfants une fois que ceux-ci accèdent aux études.

Ici, nous montrerons que c’est macrologiquement que le RPR est critiquable : du point de vue de l’accessibilité aux études, et du point de vue de l’homogénéité de l’offre universitaire et des diplômes.

Tout d’abord, dans un système éducatif où le RPR existe, le dégel des frais de scolarité peut « enfin » devenir total : l’apparence de l’injustice disparaît puisque quiconque travaille après ses études aura droit à un remboursement adapté à son niveau de revenu. Le coût des études est alors directement indexé sur les salaires dans le marché du travail. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les frais d’études à l’Université de Toronto pour s’en convaincre : 6600$ en Arts et lettres; 26000$ en Droit; 20000$ en Médecine; 12000$ en Sciences de l’ingénieur.

Quel sera l’effet produit par ces frais de scolarité sur l’esprit d’un aspirant étudiant provenant d’une famille aux revenus modestes? Bien évidemment, et de nombreuses études sociologiques le prouvent, il ira vers les études les moins chères – s’il ne décide pas carrément de ne pas entreprendre d’études. Et ce, pour la simple raison que les individus issus de milieux modestes ont une aversion pour l’endettement, même s’ils seraient capables de rembourser leurs frais d’études une fois un emploi trouvé.

De fait, le système des RPR aboutit in fine à une reproduction des inégalités socio-économiques d’une génération à l’autre : les rejetons des couches modestes vont vers des études peu dispendieuses et gagneront des salaires modestes, les rejetons des couches aisées choisissent des études coûteuses et gagneront de bons salaires. Ce système favorise ainsi une certaine viscosité sociale, par opposition à l’effet de mobilité sociale qui résulte d’un système où les frais de scolarité sont gelés ou inexistants.

Par ailleurs, avec ce système, on assiste parfois à de vraies aberrations du type « Payez tout de suite et vous paierez moins cher que si vous payez une fois votre diplôme obtenu », ou même « Payez trois années d’un coup et la quatrième est offerte ». C’est à dire qu’encore une fois, les foyers les plus riches se trouvent favorisés car capables de payer les frais de scolarité dès le début plutôt qu’après la diplomation.

Le deuxième effet macrologique est encore plus dommageable, car il touche l’homogénéité de l’offre universitaire et des diplômes. Avec le dégel des frais de scolarité accompagnant l’implantation du RPR, on se retrouve en effet avec un système où ce sont les « gros joueurs » qui raflent le pot. Les universités les plus importantes (comme Mc Gill ou l’Université de Montréal), qui disposent des meilleures infrastructures, des bibliothèques les plus fournies et des professeurs les plus en vue, vont pouvoir imposer des frais universitaires plus élevés. Cet effet de réputation est alors pour elles un cercle vertueux, car l’argent rentrant, elles peuvent recruter des professeurs encore plus connus, investir davantage dans leur image ou encore offrir de meilleurs services aux étudiants.

Pour les autres universités en revanche, qui sont plus « petites », moins bien dotées et moins centrales, c’est la spirale infernale : elles devront proposer des frais moins élevés, sans quoi personne ne sera incité à s’y inscrire. Conséquemment, elles ne pourront participer à la course à l’image, aux services et aux professeurs « stars », et resteront toujours à la marge.

Or ce jeu de concurrence entre les universités, qui met fin à la relative homogénéité que l’on connaît dans un système financé publiquement, met également fin à l’homogénéité des diplômes. Un bac en communication, en droit ou en sciences pures « vaudra » plus sur le marché du travail s’il émane d’une université ayant l’image d’être un « gros joueur », à la fois sélective, performante et à la pointe du savoir, que s’il émane d’une université des marges. À la rigueur même, peu importera le diplôme et les notes obtenues, on ne regardera que l’université et l’on dira « Waw, il vient de …, il doit être bon! ».

Et là encore, ce sont les familles les plus aisées qui tirent leur épingle du jeu. Car ce sont elles qui pourront envoyer leurs rejetons dans ces universités. Les rejetons des foyers modestes, quant à eux, iront étudier dans les universités à réputation modeste, pour finir par occuper les emplois que les mieux titrés leur auront laissés.

Conclusion

On peut retourner la question de l’accessibilité aux études comme on le veut, la seule voie qui favorise l’équité, c’est à dire une possibilité pour les plus modestes d’entreprendre des études et d’accéder au savoir, c’est la gratuité scolaire. Tous les autres systèmes, qu’ils passent par une épargne subventionnée ou par un endettement rétroactif, finissent par favoriser les familles les plus aisées.

Par ailleurs, ces autres systèmes ont des effets pervers: soit qu’ils déséquilibrent l’offre universitaire et instituent une inégalité entre les diplômes; soit qu’ils transfèrent des deniers publics vers des institutions privées, dont l’objectif premier affiché n’est pas l’intérêt collectif mais le profit. Et lorsque ces deux systèmes sont institués en même temps, comme c’est le cas partout où les frais de scolarité sont déplafonnés, ces effets pervers se cumulent sans pour autant que l’effet bénéfique recherché – l’accessibilité de tous aux études – soit atteint.

Joan Sénéchal
Professeur de philosophie contre la hausse

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